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Talking about trees
Cultiver l'amour du cinéma au Soudan
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 14/12/2019
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Suhaib Gesmalbari, réalisateur soudanais
Suhaib Gesmalbari, réalisateur soudanais
Scène du film
Scène du film

LM Documentaire de Suhaib Gasmelbari,
France / Soudan / Tchad / Allemagne, 2019
Sortie France : 18 décembre 2019


Même si on y tourne peu, le Soudan reste un pays traversé par le cinéma. Et Talking about trees de Suhaib Gasmelbari vient le rappeler en bravant les pressions. Car le Soudan est une République fédérale secouée par des coups d'États militaires dont celui de 1989 où Omar el-Bechir s'est installé au pouvoir, mettant en coupe réglée la liberté d'expression. Depuis la sécession du Sud en 2011, et les mouvements de protestation qui ont chassé le dictateur en 2019, le pays tente de se réorganiser.
C'est dans ce moment particulier que le film de Suhaib Gasmelbari s'illustre dans les festivals, de la Berlinale 2019 où il décroche le prix documentaire et le prix du Public, jusqu'aux JCC de Tunis où il obtient le Tanit d'or de sa catégorie. Le réalisateur, né en 1979, au Soudan, savoure ces distinctions en prévision de la distribution en salles, favorisée par une coproduction entre la France, le Soudan, le Tchad et l'Allemagne. Exilé pendant neuf ans, il est revenu pour réveiller le cinéma local avec Talking about trees.




Les héros sont quatre réalisateurs de la première génération qui ont fondé le Sudanese Film Grup pour entretenir la flamme du 7ème art. Suliman Ibrahim, formé au VGIK de Moscou, s'est fait remarquer avec Et pourtant la terre tourne, récompensé à Moscou en 1979. Son complice Ibrahim Shaddad, lui, a étudié le cinéma à l'université de Babelsberg (Allemagne), et a signé des films comme La Corde, primé à Damas en 1987. Après des années d'exil, il est revenu s'installer au Soudan. Mar Al-Hilo a eu son diplôme de cinéma au Caire avant de devenir producteur puis directeur exécutif du Sudanese Film Grup. Comme lui, Eltayeb Mahdi a appris le cinéma au Caire où il a en un Prix du court-métrage pour Le Tombeau en 1973. "C'est vraiment la génération qui portait l'espoir d'un vrai cinéma d'auteurs très idéalistes", souligne Suhaib Gasmelbari.
Révoltés et passionnés, les cinéastes s'engagent au Ministère de la Culture où ils créent une section cinéma et peuvent tourner avec du matériel léger. Mais le coup d'État de 1989 interrompt tout car le Front national islamique qui se développe se méfie des images et des projections qui rassemblent les gens. La visite des locaux du Sudanese Film Grup en 2015 est l'occasion de découvrir le matériel 35mm rouillé, les bobines de films entreposées à côté de vieilles VHS ou le projet d'un film, Les Crocodiles de Ibrahim Shaddad, compromis par le coup d'Etat.

Les quatre compères reviennent sur leurs impressions d'exil ou leurs interrogatoires lorsqu'ils sont restés au pays comme Suliman Ibrahim. Mais leur quotidien est tourné vers l'avenir. "Ils font des projections itinérantes et se débrouillent toujours pour échapper un peu à la censure", explique Suhaib Gasmelbari. Les séances dans les villages avec Les Temps modernes de Charlie Chaplin, 1936, sont faites pour transmettre le goût du spectacle, celle de Heremakono - En attendant le bonheur de Abderrahmane Sissako, 2002, pour défendre l'Afrique.
Alors les membres du Sudanese Film Grup visent un autre objectif qui sert de fil conducteur à Talking about trees. Ils veulent organiser une projection publique dans une des anciennes salles de cinéma de plein air. La bataille est rude pour trouver un propriétaire qui accepte et l'accord de celui du Cinéma La Révolution permet d'engager le projet. Les vétérans nettoient le fond d'écran, restaurent la banderole de la façade, sondent les spectateurs pour choisir un film attendu. Car les salles de cinéma ont fermé sous l'impulsion de l'Etat, et le public a déserté. Alors Django unchained de Quentin Tarentino, 2012, peut attirer du monde.

Une projection test, en privé, est compromise par la puissance des haut-parleurs des huit mosquées environnantes qui diffusent les appels à la prière à tour de rôle. Conscients de devoir composer avec l'environnement, les agitateurs de l'image doivent aussi composer avec les contraintes administratives. Il faut renouveler la licence de la salle, aller à mairie, au Ministère de la Culture, jusqu'à se retrouver à la Sécurité Nationale… L'issue de cette épopée est l'un des enjeux du film, en évoquant aussi les conséquences d'une politique obscurantiste.
"Ce sont des temps où parler d'arbres est presque un crime parce que c'est faire silence sur tant de crimes", énonce l'un des protagonistes du film, justifiant le titre choisi par Suhaib Gasmelbari. Il cultive un style posé, cadrant soigneusement ses scènes, multipliant les angles de vues et les plans de coupe pour mieux saisir les démarches des quatre cinéastes, conférant un rythme poétique à l'aventure. Leur autodérision transfigure les situations. "Malgré la censure et malgré la police, on a pu obtenir quelque chose de cinématographique", se réjouit Suhaib Gasmelbari en insérant des extraits des premiers films des vétérans. Un rappel du passé pour encourager la production actuelle puisque selon son auteur, Talking about trees, "c'est un film sur l'amour du cinéma."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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