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L'Algérie face à son histoire récente
Rencontre avec Belkacem Hadjaj
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 09/04/2005

L'exploration de la mémoire semble hanter les réalisateurs depuis les débuts du cinéma algérien. Ils célèbrent d'abord la résistance face à la colonisation, avant de s'orienter vers des sujets ancrés dans le quotidien. Soucieux d'accompagner les mutations du pays, ils tournent des films réalistes où l'évocation récurrente de l'histoire contribue à entériner les résolutions du présent. Puis l'ouverture recherchée par les artistes, se resserre après 1988. Le cinéma algérien, étouffé par les troubles sociaux, ne se manifeste alors que par des sursauts d'auteurs.
Belkacem Hadjaj est de ceux là. Il signe Machaho, en 1996, l'une des trois premières fictions tournées en berbère. Son nouveau long métrage, El Manara, 2004, retrace l'histoire du pays depuis 1988, en suivant trois amis d'enfance. Asma, devenue mère, se rappelle ses relations de jeunesse avec Fawzi, journaliste engagé, et Ramdane, étudiant en médecine. Leurs parcours permettent de revivre l'enchaînement des faits qui ont précipité l'Algérie dans la violence. Belkacem Hadjaj reconstitue cette époque pour alimenter un débat parmi les jeunes.

Michel Amarger: - "Que désigne El Manara ?

Belkacem Hadjaj*: C'est un rituel qui se déroule à une centaine de kilomètres d'Alger, à l'est, sur la côte. A la tombée de la nuit, il y a une grande lanterne avec des bougies, suivie d'une procession, qui traverse la ville. On la met sur un bateau et elle part. C'est un rituel méditerranéen qui porte les marques de la période pré islamique. Il est représentatif de cette sorte de fusion des pratiques cultuelles qui existaient avant que l'Islam n'arrive.

- C'est la raison pour laquelle vous appuyez le récit du film sur ce rituel ?

* L'histoire du film commence en 1988 et s'achève en 2004. On traite de la période douloureuse où il y a eu la dérive de l'intégrisme islamiste qui a été poussé jusqu'à sa limite, celle de la violence incontrôlée, brutale et barbare du GIA. Il fallait qu'on montre ce qu'était l'Islam maghrébin que nos ancêtres ont toujours pratiqué depuis des lustres. A un moment donné, des gens sont venus dire : il faut jeter tout ça parce que ce sont des hérésies. Il fallait le rappeler pour que ça serve de repère par rapport à cette mécanique qui n'a mené qu'à la dérive. Une des hypothèses pour l'expliquer, c'est que la génération qui a été embarquée, n'était pas ancrée, n'avait pas de repères. Elle pouvait être manipulée précisément parce que le lien qu'elle pouvait avoir avec son passé, avec sa culture lointaine, ancestrale - que ce soit en terme de croyance religieuse ou de culture générale - a été rompu.

- Pourquoi concentrez vous le récit sur une fille et deux garçons jeunes ?

* L'enjeu, c'est la jeune génération. Dans l'alchimie de la société algérienne, dés qu'on touche à une problématique, la femme est là. J'ai pris trois personnages parce que je voulais montrer comment la société a été déchirée par les événements. Au delà, on peut considérer que la fille renvoie un peu à l'Algérie qui est l'enjeu de ces deux jeunes gens, partis dans deux directions opposées. Ça renvoie à des choix de société, ce qui est une problématique permanente en Algérie.

- Était-il indispensable de baliser leur parcours et l'évolution de leurs sentiments par des dates précises, inscrites dans le film ?

* On a beaucoup réfléchi avec les scénaristes, avant d'opter pour ça. La génération actuelle, née en 1980, avait 8 ans quant les événements d'octobre ont éclaté. Rien ne leur permet de savoir comment le mal a germé, a évolué et s'est développé. On a mis une sorte de voile sur cette période et je pense que c'est la pire des choses à faire. D'où la nécessité qui s'est imposée d'installer ces points d'ancrage.

- Pourquoi mettez vous, à l'intérieur de votre fiction, des photos et des images d'archives ?

* Je pense qu'il n'y a pas mieux qu'une image d'archives. Elle a un impact et une force d'évocation qu'il est difficile de retrouver dans la fiction. Ou alors il faut disposer de gros moyens et faire de grandes reconstitutions, ce que l'on n'avait pas.

- D'autres films algériens ont suggéré la présence des faux barrages, les camps des extrémistes, or vous, vous les montrez. Pourquoi reconstituer cela ?

* Je crois qu'il faut montrer. Et je ne montre pas des égorgements, la bestialité de ce qui s'est passé, parce que je crois que cela n'aurait aucun intérêt. Par contre, il y a des choses qu'il faut absolument montrer parce que la jeune génération ne sait pas ce que le pays a vécu. A la limite, je me demande si ce qu'on montre est suffisant. Il faut que les jeunes sentent la gravité de la chose, la douleur qu'a vécue la société parce que sinon cela reste des mots, de l'abstraction. Du coup les gens qui sont toujours là, aux aguets, pourraient les embrigader dans le même sens. Je considère que des films comme ça, il en faudrait des dizaines. Je veux m'adresser à la jeunesse et lui donner, de la manière la plus objective possible, les arguments des uns et des autres.

- Avez vous pu tourner sans problèmes, les scènes de foule, de camps, de faux barrages? Peut on reconstituer cela sans troubles, aujourd'hui, en Algérie?

* Il devient de plus en plus difficile de tourner dans des quartiers populaires. La caméra est assimilée à la télévision, qui est assimilée au pouvoir… Donc on n'est pas toujours bien vus. On est obligé de prendre des services de sécurité mais on peut tourner. Pour les scènes du maquis, les faux barrages, tournées de nuit, dans des forêts, il n'y a pas eu de gros problèmes de sécurité. On a pris la précaution d'avoir, la nuit, des forces de sécurité, au cas où… Les séquences du maquis ont été faites dans la forêt qui est aux faubourgs d'Alger. Mais toutes les nuits, il fallait qu'on déménage les décors. Il était hors de question de les garder en l'état car personne ne voulait assurer la garde. A l'époque des années de braise, cette forêt était occupée par un groupe de terroristes.…

- Alors vous vous sentez obligé de faire un film utile en abordant ce passé ?

* Malheureusement oui. J'aurais tant voulu faire des films où ma préoccupation de réalisateur se porterait sur l'écriture, l'esthétique… Dans une société comme la nôtre, il y a d'autres urgences, malheureusement. Le débat n'existe pas. Ceux qui ne le veulent pas disent : c'est passé, les Algériens se sont fait mal entre eux, on n'en parle plus. Ces gens là ne comprennent pas que c'est le fait de ne pas en parler qui risque de provoquer la même chose. "

par Michel AMARGER

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