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Le numérique va-t-il sauver le cinéma africain ?
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 05/07/2005

Festival Ecrans Noirs du cinéma d'Afrique francophone (FENCAF, Yaoundé, Cameroun), 2005. Bulletin n°1.

L'Afrique est pauvre. C'est une lapalissade ! Faire du cinéma coûte cher, très cher. C'est connu ! Comment, en étant aussi dépourvu de moyens financiers, peut-on espérer trouver sa place au soleil au travers d'un art aussi onéreux ?

Depuis plus d'une décennie, la révolution numérique semble apporter une nouvelle impulsion à la cinématographie africaine. Jadis apanage de néophytes faisant leurs premiers pas dans le septième art, la vidéo est venue "booster" les productions du continent, en faisant entendre une résonance particulière aux cinéastes, du point de vue économique.

Premier format numérique à s'être implanté en Afrique, le DV (disque volatile) [Digital Video / Vidéo Numérique, NdF] a vite montré ses limites. Sur le plan esthétique, il offre très peu de latitude de jouer avec les profondeurs de champ.

Sur le plan économique, le coût de la post-production, notamment le retour au format film est très coûteux et très complexe. Pour toutes ces raisons, l'arrivée de la haute définition (HD) est apparue comme une planche de salut. Ce surtout qu'elle est d'une "grande souplesse d'utilisation et dont le piqué d'image s'améliore sans cesse, se rapprochant du rendu d'un film sur pellicule", affirme Marc Bourhis de Sonovision Digital Film. Et l'œuvre de référence depuis peu, dans ce domaine, est le film Ouaga Saga de Dani Kouyaté. Préparé dès 2002, son tournage a duré six semaines. D'avril à mai 2003 à Ouagadougou, en décors naturels. Le film aurait pu être fait en super 16 mm - comme Urban Jungle de Jude Ntsimenkou - ou en Beta numérique, mais le choix s'est porté sur la HD. Pourquoi ? Agnès Datin, la productrice explique : "Avec la haute définition, nous pouvions envisager une diffusion cinéma de qualité, tout en profitant de la souplesse du numérique, pour ajouter des effets spéciaux". Invité lors du dernier Fespaco à parler de la haute définition relativement à son film, Dani Kouyaté a surtout insisté sur les bienfaits de cette technologie par rapport aux budgets serrés.

Ainsi perçu, le numérique peut permettre à la production africaine d'évoluer considérablement, en qualité et en quantité. Il peut apporter énormément, simplement par le fait qu'il peut favoriser l'intégration d'une chaîne complète, c'est-à-dire de la captation d'images à leur projection en salle, sans forcément passer par la pellicule. Il permet aussi de faire des copies de films, sans en perdre la qualité, et présente une meilleure séparation des couleurs. Par son mode d'enregistrement dit progressif, où toutes les lignes d'une image sont enregistrées en même temps, il assure une meilleure définition en cas de kinéscopage, c'est-à-dire de transfert sur pellicule.

BEAUCOUP DE LIMITES
Malgré ses multiples atouts, le numérique n'est cependant pas un concurrent direct de la pellicule. C'est Dominique Gentil, directeur de la photo sur Moolaadé d'Ousmane Sembène, tourné en 35mm, qui apporte cette nuance : "Le DV est un nouvel outil de communication, qui peut convenir en cas d'urgence d'une création. Les techniques numériques, plus légères, donnent davantage d'autonomie du tournage jusqu'à la post-production. Mais la richesse du résultat vient davantage du propos que de la force esthétique". En effet, par rapport à la pellicule, les capteurs électroniques des caméras numériques présentent plusieurs insuffisances, dont la moindre n'est pas la mauvaise réaction aux hautes lumières. La définition et le piqué de l'image sont moins nets que sur la pellicule. Pour les kinéscopages, le son numérique doit être retravaillé. Et cette technologie offre une grande latitude de piratage des copies.

Par ailleurs, le numérique génère ses propres pesanteurs avec les câbles et le moniteur. Et ce qu'on ne dit pas assez, comme le relevait le réalisateur et comédien guinéen, Cheick Doukouré, dans une interview en octobre 2004 à Tunis, tourner avec une caméra numérique performante revient aussi cher que tourner sur pellicule. De plus, le budget d'un film tourné en numérique, mais qui doit être transféré sur 35mm, doit tenir compte du coût final du kinéscopage. Ouaga Saga, au total, n'a-t-il pas atteint un budget d'environ deux millions d'euros (soit 1.310.000.000 Fcfa) ? Cette somme est-elle à la portée du premier cinéaste africain ?

Cela ne nous semble pas évident, quand on sait qu'elle se situe aux alentours des budgets des seules grosses productions en 35mm du continent, à l'instar de Ali Zaoua, Le silence de la forêt, etc. Certes, des productions internationales comme Vidocq, Star Wars, ou Deux frères, ont joué un rôle pionnier en étant entièrement tournées en haute définition. Mais, avec quels budgets ? sommes-nous tentés de nous interroger. Le cinéma est une affaire d'argent, de beaucoup d'argent. Cyrille Masso a achevé le tournage de Confidences (son premier long métrage) en HD il y a à peu près un an, mais le film n'est toujours pas sorti.

Le numérique est une chance pour le cinéma africain, entend-on facilement dire ici et là. Ceux qui le soutiennent sont-ils à même de reconnaître la qualité de ce cinéma-là dans les festivals internationaux, ou bien, sont-ils prêts à en assurer la promotion et la circulation ? La pellicule a encore de beaux jours devant elle. Le numérique va devenir incontournable pour l'Afrique quant à la quantité de ses productions. Celles-ci auront encore à relever le défi de la formation pour en maîtriser la qualité technique. Les cinéastes africains, du fait de leur pauvreté, ne doivent cependant pas bouder ce train qui part, de peur de rester sur le quai.

Jean-Marie MOLLO OLINGA (Cameroun)

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