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Douce France
Indigènes, de Rachid Bouchareb
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 25/09/2006

Rares sont les films attendus à ce point. Indigènes, dernier film de Rachid Bouchareb (Cheb, Little Sénégal), est une œuvre de guerre réalisée en temps de paix qui a le mérite de présenter de nouveaux visages au sein d'une période largement filmée au cinéma. La seconde guerre mondiale vue du côté des soldats étrangers, ceux qui provenaient des nombreuses colonies françaises (Algérie, Tunisie, Maroc, Afrique Noire…), enrôlés afin de combattre l'ennemi Nazi pour sauver la Mère Patrie. Totalement invisible pour le cinéma français jusqu'ici, ces tirailleurs et autres goumiers se sont très vite retrouvés dans la case politiquement incorrecte. Il ne faisait pas bon de retracer cette époque de l'Histoire de France, de peur de déclencher un changement radical dans la conscience des nouvelles générations. Depuis quelques années, on assiste à un réveil sociétal, un pardon plus ou moins avoué. Des figures sont montrées, un bouillonnement artistique se fait sentir, la présence de ces soldats oubliés redevient fondamentale. Dernièrement, le cinéaste Pierre Javaux, pour n'en citer qu'un, nous donnait son point de vue dans Les Enfants du pays. Le résultat quoique maladroit avait le mérite d'éclaircir quelques zones d'ombre (méconnaissance des fonctions premières de ces soldats, présents dans toutes les guerres depuis 1870).
Pour toutes ces raisons, le film de Bouchareb était attendu. Celui qui réunirait un cinéma profondément intimiste (Little Sénégal, subtile réflexion sur la quête de l'identité) et populaire (sensibiliser un large public). Le résultat n'est pas forcément à la hauteur de nos attentes. Des convictions certaines mais un objet filmique qui ne remplit pas suffisamment le cahier des charges cinématographiques préférant la voie facile du didactisme apprivoisant. Nécessité de vouloir tout dire et de tout montrer. Volonté de clamer une vérité, celle d'une amnésie volontaire de la part de l'administration française mais aussi du paysage artistique qui s'éternisait depuis près d'un demi-siècle. Rien que pour cela, Indigènes mérite des applaudissements. Malgré cela, de trop nombreuses pistes de lectures s'éparpillent dans une œuvre lyrique où le fleuve des bons sentiments prend le dessus sur la réflexion. Le film prend des allures de juge impartial ne laissant aucune respiration au spectateur, aucune issue de secours, aucun recul nécessaire. Difficulté qui se traduit par un schéma narratif troublant, dénaturant les intentions d'un auteur qui voulait à tout prix filmer les retrouvailles de toute une génération avec sa mémoire voire son identité.
Le générique du début est significatif de cette approche. Des dizaines d'images filmées au début du siècle dernier envahissent l'écran, aperçu colonialiste de la vision de l'autre. Etranger malmené, incompris et assouvit, ce très beau déluge visuelle tient parfaitement ses promesses cinématographiques et installe subtilement la thématique du film à venir. Puis le noir & blanc s'efface progressivement afin que la couleur puisse prendre ses marques. Reconstitution historique évidente d'une période qui fut relatée seulement dans quelques trop rares livres d'histoires. Bouchareb nous présente en quelques séquences les principaux personnages auxquels le spectateur pourra/devra s'identifier. Quatre visages familiers, quatre acteurs issus de l'immigration, quatre têtes qui ne pouvaient refuser leurs rôles. Les civilités terminées, le film peut débuter.
Indigènes, de par sa construction narrative, est à rapprocher de tous ces films de guerre qu'Hollywood produisit durant son âge d'or et dont Spielberg reprit l'atmosphère avec Il faut sauver le soldat Ryan (1998). Après une courte introduction où s'enchaînent quelques vignettes de présentation des principaux protagonistes, Bouchareb installe progressivement les aléas d'un quotidien dont l'intérêt est de clarifier le rôle prédominant de ces indigènes. Les séquences faussement ordinaires sont là pour souligner les objectifs du cinéaste. Afin qu'elles soient compréhensibles, l'auteur choisit à tour de rôle un acteur qui deviendra le héros de la scène filmée. Par exemple, la séquence des tomates peut être considérée comme une scène de bravoure. Celle-ci remplit correctement ses fonctions : émotion des dialogues, interprétation fiévreuse de Sami Bouajila et surtout réussite de la mise en propos (tous les soldats ont droit aux tomates car tous sont égaux). Tout comme son homonyme américain (Spielberg), Bouchareb ne laisse pas le temps au spectateur de poser ses marques sur la scène en question. Le but est de créer un sentiment de dégoût, de provoquer une forme de tristesse qui anéantirait le spectateur, lui ôtant toute réflexion afin de l'emmener vers une gratuité sentimentale.
Là où cela devient dangereux, c'est lorsque le révisionnisme pointe le bout de son nez. La première séquence du film se déroule dans un village algérien. Des dizaines de badauds sortent de leurs maisons, arguant la foule à s'enrôler dans l'armée française afin de les aider à délivrer la Mère Patrie du joug nazi. Erreur fondamentale. Il y eut quelques algériens volontaires qui combattirent sous le drapeau français, ils ne représentèrent qu'une minorité. La majorité avait choisi cette option car l'administration française leur avait promis l'indépendance si les Alliés remportaient la victoire. Bouchareb omet de le dire. Décision grave car ambiguë. Un spectateur lambda, totalement étranger à cette Histoire serait convaincu que tous ces soldats étrangers ont choisi d'agir de la sorte afin d'aider ceux qui les ont colonisé. Double erreur.
Bouchareb ainsi que le producteur Jamel Debbouze, ont réalisé ce film afin de clamer à tous ces enfants d'immigrés nés en France qu'ils sont fondamentalement français. L'intention est indispensable donc louable. Mais est-il possible de concilier deux époques, deux notions d'identité et surtout deux générations différentes dans un même film ? Prendre à parti un microcosme et lui donner des arguments antinomiques ne peut que donner un résultat invraisemblable voire trompeur. Ces nombreuses pistes de lecture déréalisent l'œuvre escomptée, l'enfermant dans une bulle patriotique où le manque de distance affaiblit la vision finale. Indigènes sera uniquement utilisée comme un outil pédagogique, réveillant une certaine mémoire pour les générations futures.

Samir Ardjoum

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