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Diable de femmes !
Les saignantes, de Jean-Pierre Bekolo
critique
rédigé par Francis Mbagna
publié le 24/08/2006

Atelier de Yaoundé - 10ème FENCAF (Festival Ecrans Noirs).

En énième projection payante à Yaoundé, Les saignantes, un long métrage de science fiction franco camerounais, paru en 2005, continue son bonhomme de chemin, dans la fulgurante carrière commerciale que lui a déblayé tout le débat sur sa sortie ou non, à cause des extraits jugés hostiles au régime ou prétendument osés.
Film avant gardiste s'il en est, ce troisième long métrage de Jean Pierre Bekolo reste fidèle à son goût pour la provocation et la dérision, une satire sociale.
Sous les dehors d'une histoire apparemment banale de sexe, de femme, de marché public, d'argent, et de pouvoir, se cache les mésaventures bien particulières de Majolie (Adèle Ado). Professionnelle au dessus de la classe du plus vieux métier du monde, ses prouesses font mourir d'amour "un grand" dans son lit. Et voilà son quotidien déjà bien difficile, enrichi d'une tragédie : la nécessité de se débarrasser du corps désormais inerte du secrétaire général du DCC décidément encombrant. Tout le reste du film s'articule autour d'escapades à la recherche des solutions, quelles qu'elles soient.
Un questionnement récurrent matérialisé par des intertitres, façon Jean Luc Godard, relance la tragédie de Majolie. Chouchou (Calmel) vient à sa rescousse. Bien que les images numériques du film soient par moment effrayantes, le regard de Bekolo, lui, ne l'est pas. Le film futuriste de Bekolo se déroule en 2025, mais il demeure très difficile de le détacher du Cameroun d'aujourd'hui, par les partis pris du réalisateur, comme les scènes exclusivement tournées de nuit. Tout ce qui se fait loin de la lumière n'augure t il pas vénalité, corruption et autres vices?
Cela n'est possible que dans l'univers dramatique qui échappe à toute tentative de classification, mise en exergue par les acteurs. Parce qu'en 2025, dans ce pays là, les mœurs sont tellement relâchées que recourir au Mevoungou, un rituel de purification pour des situations catastrophiques, est convoqué en renfort pour expurger cette société où les règles n'ont ni cadre d'expression, ni d'homme capable de résister à l'horizontal des besoins de la chair, un pays où on jure la main sur le sexe, et l'exception, d'une banalité renversante.
Le spectateur éprouve une gêne à apprécier la relation de l'histoire. Heureusement, il est de temps en temps rattrapé par des lieux communs de son environnement, sous des formes et des attitudes, à l'instar des expressions fonctionnant comme des codes pour faciliter la compréhension et renforcer l'appartenance au milieu. "DGP" n'est-il pas l'abréviation de "deuil d'une grande personnalité" ? La touche de Bekolo s'affine, au détriment de la linéarité du récit. Un véritable patchwork qui rappelle bien que le réalisateur qu'il est aujourd'hui, a fait ses premiers pas au montage. Cinéma expérimental ou nouvelle approche de l'écriture cinématographique, Les saignantes ne dérangent pas que par le contenu jugé sulfureux. Mais le réalisateur de Quartier Mozart tisse la toile dramatique de son regard sur sa société sans se gêner, face au tableau dans lequel ses réactions attendus peuvent conduire. Film politique, assurément, la société est passée au scanner, avalanches de scènes de nuit pour traiter des sujets graves : la corruption au service de l'ascenseur social.
Beauté des couleurs, jeu excellent des acteurs, Les saignantes sont plus magiques que futuristes, les événements successifs défient la logique et le rationnel. Projeté devant un public avide de comprendre, Les saignantes attire toujours les foules, curieuses de savoir de quoi retournent les scènes des filles transfigurées en ninjas sur les dernières images.

Francis Mbagna

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