AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 004 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
La paix qui tient à une note de tambour
La nuit de la vérité, de Fanta Régina NACRO
critique
rédigé par Massamba Mbaye
publié le 21/04/2005

Paru dans Le Matin (DAKAR, Sénégal) du vendredi 08 avril 2005

Après dix années de guerre civile, les Nayaks et les Bonandés ont décidé de faire la paix. Le président qui appartient aux Nayaks va faire une visite de réconciliation dans le fief des Bonandés tenu par le colonel Théo chef des rebelles.

Le président est en compagnie de sa femme. Une femme au port altier qui, malgré sa majesté, est en proie à une haine intérieure qui pointe parfois en perlant son visage d'une larme.

Mais enfin le moment est aux réjouissances : il faut trinquer pour la paix. Une paix très précaire car ce sont de très petits détails, un visage, un enfant qui passe, qui font monter la pression avant le coup de tambour qui rompt radicalement les apparences de liesse… En fait, cette paix en voie d'être scellée n'efface pas les bruits des sortes de "tambours de la mémoire" pour reprendre le titre d'un ouvrage sénégalais. Et la vérité n'est pas encore épuisée d'où l'incertitude de la réconciliation.

Avec La nuit de la vérité, la réalisatrice burkinabé Fanta Régina Nacro signe son premier long-métrage sur un thème d'une rare violence dans les faits. Mais elle le réinvestit avec une certaine pudeur préférant la puissance d'évocation filmique aux images crues. Les massacres qu'elle évoque en flash-back sont, entre autres, rendus par des corps en lambeaux charriés par les eaux d'une rivière.

Ailleurs, elle donne un visage aux bourreaux qui émasculent avec une lumière de folie dans les yeux mais ne s'attarde pas sur les victimes. Avec une intensité dramatique progressive, elle reconstitue des histoires et relate toute l'ambivalence de ceux qui ont commis des atrocités.

Un homme qui a sauvé la femme d'un viol va étriper et émasculer un enfant. Comment faut-il alors le comprendre quand il dit en demandant pardon : "Non, je n'étais pas moi-même !" ? Elle pointe également le jeu des femmes dans le pouvoir voire la société, leur puissance réelle qu'elle soit positive ou négative.

C'est une femme qui refuse d'enterrer sa haine, c'est une femme qui apaise, c'est une femme qui fige également la mémoire en se réfugiant dans l'art des fresques murales…

Au final, Nacro a reçu, entre autres, le prix du meilleur scénario au dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) ainsi que le prix spécial long-métrage de l'Uemoa et d'autres prix en dehors du continent. Ce qui rend davantage dans son propos un thème qui n'est pas le propre de l'Afrique et qui traverse l'histoire de tous les peuples dans ses périodes sombres de folie. Et la réalisatrice est une sorte de témoin privilégiée car elle dédie ce film à son propre oncle qui a connu le même sort qu'un des héros du film, qui est d'ailleurs un militaire authentique : il a fini sur un barbecue.

Et pourtant cette scène est l'un des plus beaux tableaux du film. Il est permis malgré tout d'espérer.

Massamba MBAYE

Films liés
Artistes liés