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Polygamie Oyé ; polygamie en bas.
5x5 (Cinq x cinq) , de Moussa Touré (Sénégal)
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 01/05/2005

Le dernier film du réalisateur sénégalais Moussa Touré : Cinq X cinq a été présenté avant sa sortie en salle à un public d'amis venus nombreux en ce mardi 26 avril 2005 au théâtre Daniel Sorano à Dakar. Ce long métrage documentaire est le sixième film de Moussa Touré.


Depuis qu'il a découvert les avantages de la caméra numérique, le réalisateur Moussa Touré creuse son sillon dans le documentaire avec des images prises sur le vif, le tout donnant à son travail un aspect de cinéma vérité. De ce point de vue, il s'inscrit dans le prolongement de la grande école documentaire soviétique fondée par Dziga Vertov en 1924 et qui prône un cinéma dégagé de la fiction et braqué sur la vie réelle, sans préoccupation artistique, sans volonté de composition préalable. Après Nous sommes toutes nombreuses qui rend la parole aux femmes victimes de viol en période conflit et "Poussière de ville", Moussa Touré avec Cinq X cinq pose sa caméra dans la concession d'un polygame hors du commun.


Apparemment, Jean Diallo est un homme heureux au milieu de ses cinq épouses et ses vingt cinq enfants. Il est vrai que cinq fois cinq font bien vingt cinq. Jean a donc bien appris ses tables de multiplication. Homme haut en couleur, il est du genre " moi, je". Et comme un coq en pâte, sans soucis, ni regret, il est confortablement assis dans ses convictions. Sur son front, une écriture invisible indique : "Président de la maison" et en tant que tel, sa grande cour-village lui doit respect, amour et soumission. Jean fait chambre à part, dans un décor chiche (un lit, des couvertures et un mobilier sommaire) mais plus chiche encore est celui des ses épouses qui à tour de rôle viennent réchauffer ses nuits. Pourtant à l'écouter parler, à chacune de ses tournées de photographe, il rentre à la maison les poches gonflées de billets de banque en plus de sa pension de retraite. Seulement, la caméra ne montre jamais Jean retrousser ses manches pour effectuer quelque travail que ce soit mis à part son filet de pêche qu'il raccommode et les poissons qu'il ramène. Pourtant, Jean, torse bombée, se prend pour "l'homme aux douze métiers", un sait-tout-faire y compris remettre en état de marche sa vieille voiture sans roues, ni accélérateur, rongée en partie par la rouille. Jean Diallo a le verbe sympathique et coloré. Il tient son chapelet mais cite la bible.


En contrepoint, de cette bonhomie de Jean Diallo, ses cinq épouses sont autant de miroirs déformants qui révèlent l'envers du décor. Dans leur rire, leur sourire, leur silence, leur gêne, leur regard fuyant, elles expriment à demi mot leur mal vivre, leur joie éphémère. La discrétion et la pudeur leur empêchent d'étaler ce qu'elles ont gros dans le cœur. Mais l'image est tenace en ce qu'elle sonde à votre insu le tréfonds de l'âme. La caméra de Moussa Touré passe de la Résignée, à la Malheureuse ; de la Séductrice à la Doyenne, et enfin de la Rieuse pour revenir à la Malheureuse. Les enfants eux ne prennent pas de gants. Ils ne se voient pas polygames. Le manque de confort, l'absence d'attention et de tendresse paternelle, la promiscuité leur font dire que leur père est un irresponsable.


Avec presque amusement et sur un ton badin, le réalisateur Moussa Touré enferme femmes enfants et mari dans un huit clos, les isolant du reste du village pour parler de sexualité, de désir amoureux, de frustration, de manque d'argent, de promiscuité, de l'avenir. Le cœur du spectateur balance entre dépit et fascination. Il rigole des certitudes de Jean, va jusqu'à l'applaudir pour son coté " sans soucis" mais ne rêve certainement pas de sa vie. Comme le dit l'une de ses épouses : " Le poids qui repose sur ses épaules est trop lourd pour lui".Reste à voir si le cinéma vérité de Moussa Touré trouvera un ancrage auprès des jeunes réalisateurs à cause de son coté art brut.


Baba Diop


Journaliste


Sud quotidien, Dakar (Sénégal)

par Baba Diop (Sénégal)

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