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La foi de Mère Courage
Yesterday, de Darell James ROODT
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 20/09/2006

L'Afrique du Sud est l'un des pays où la pandémie du sida fait le plus de ravage au monde. Dans un contexte rural où l'analphabétisme le dispute à la pauvreté, comment se vit cette terrible maladie ? Telle est la question à laquelle tente de répondre le Sud-Africain Darell James Roodt dans Yesterday.

Roodt aurait voulu rendre hommage à une femme, une Africaine, véritable Mère Courage, qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Yesterday est le nom que son père lui a donné, parce qu'il "préférait hier à aujourd'hui". Autrement dit, hier (yesterday, en anglais), était plus beau qu'aujourd'hui. Le réalisateur ne le soutient-il d'ailleurs pas, lorsqu'il choisit de montrer, par exemple, des images de flash-back, lors de son retour de Johannesburg, où elle était allée inviter son mari à passer le test du sida ? Là-bas, le contact avec celui qu'elle ne voyait que de façon intermittente fut froid, dur, et s'est achevé par un pugilat. John Khumalo, son mari, l'avait correctement molestée. Pendant ce voyage retour, elle n'avait eu de cesse de se souvenir des moments d'attention de John. Quand il la couvait de cadeaux. Hier.
Lorsque le film de Darell J. Roodt s'ouvre, c'est l'été. Il vente sur un paysage lunaire filmé en plongée. De la profondeur de champ jaillissent une mère et sa fille : Yesterday et Beauty. Sur leur chemin, elles croisent deux institutrices cherchant du travail. Le décor est planté. Yesterday, qui ne va pas tarder à apprendre qu'elle est séropositive, sait que la vie est comme l'eau : "elle ne monte pas, elle descend". À quoi bon alors changer son comportement, si inexorablement, on arrêtera un jour de vivre ? Lorsque le docteur lui annonce la triste nouvelle, elle l'accueille stoïquement par une simple interrogation : "Je vais arrêter de vivre ?" Il lui faut alors s'accrocher à quelque chose en quoi elle a foi, sachant qu'avec la foi, on peut soulever des montagnes. "Tant que ma fille n'ira pas à l'école, je ne mourrai pas", relève-t-elle, comme un défi.

À partir de ce moment, le réalisateur nous entraîne dans une configuration technico-esthétique - de l'art en somme - qui vient servir agréablement la trame du film. Pour ce faire, Roodt use avec intelligence de deux sortes de mouvements d'appareil : le plan d'ensemble, et la prise de vue en plongée. Si le premier mouvement décrit une espèce de ligne d'horizon que s'est fixée Yesterday en décidant de s'accrocher à la vie tant qu'elle n'a pas vu sa fille entrer à l'école, ligne d'horizon perceptible grâce à la profondeur de champ, le deuxième vient simplement, chaque fois, nous rappeler la douleur, la souffrance de cette Héraclès au féminin, qui porte sur ses frêles épaules, le poids de sa famille.

En effet, Yesterday n'a jamais été à l'école. Elle connaît les handicaps résultant de cette situation. En mère responsable et élevant seule sa fille, elle veut l'en préserver. A travers elle, elle se projette vers l'avenir, un avenir radieux. Beauty nous apparaît alors comme la plus belle chose qui soit arrivée à Yesterday sur cette terre. Cette terre qui l'a tant fait souffrir, et sur laquelle elle a tant enduré ! Cette terre sur laquelle elle marché, marché, et encore marché, pour rencontrer un médecin ! Cette terre qu'elle a dû bêcher et semer, pour obtenir à manger ! N'a-t-elle pas eu à couper du bois, puiser de l'eau, entre autres, pour satisfaire ses besoins primaires, alors qu'elle était déjà malade ? N'a-t-elle pas dû s'occuper seule de son grand malade de mari, raillé et isolé de tous, et à qui elle avait déjà pardonné - "c'est du passé, n'y pense plus" -, alors que elle aussi souffrait ? S'il ne lui reste que l'amitié d'une institutrice dans cet environnement hostile, où les étrangers ne sont pas facilement acceptés, n'est-ce pas pour le réalisateur une manière de stigmatiser l'ignorance et les comportements dus à l'analphabétisme ? Indubitablement, Roodt veut montrer à cette Afrique du Sud-là l'importance d'envoyer ses enfants à l'école.

Construit entre deux étés, l'été étant une période de chaleur et d'amour, Yesterday n'est-il pas aussi un film sur l'amour ? L'amour d'une femme pour son mari, l'amour d'une mère pour sa fille, l'amour d'une institutrice pour une malade. Si ce film s'achève sur un doux sourire, n'est-ce pas pour montrer que c'est l'image que l'on doit laisser dans ce monde, que c'est l'image que l'on doit emporter dans l'au-delà ? D'ailleurs, malgré toutes ses difficultés, Yesterday ne sourit-elle pas assez souvent ? Ce n'est pas un hasard, si Darell James Roodt a donné son nom au film. Elle le porte de bout en bout, sobrement, mais efficacement.

Réalisé en association avec la Fondation Nelson Mandela qui a engagé une croisade contre le sida, Yesterday se veut non pas une prise de position de son auteur sur cette pandémie, mais une ouverture au dialogue sur la question, dans un pays où les a priori et les préjugés ont facilement cours.

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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