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Un polar made in Africa
Roues libres, de Sidiki Sijiri BAKABA
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 24/06/2005

En 1997, un fait-divers ébranle la Côte d'Ivoire. Deux handicapés braquent un taxi et le prennent en otage. Alors que la police aurait pu s'assurer leurs personnes, ils sont plutôt froidement abattus. Sidiki Sijiri Bakaba s'en est inspiré pour faire un film. Un polar à l'américaine sur ces êtres qui vivent à même le sol (pour la plupart) et envers qui nous n'avons le plus souvent qu'un regard condescendant.

Roues libres est un film qui se déroule de façon linéaire. Sans intrigue secondaire. Se situant dans le cinéma de genre (policier), il tranche nettement d'avec ce cinéma africain qui puise son inspiration dans la culture et la tradition du continent. Contrairement à ce dernier qui privilégie la parole, Sidiki Bakaba fait place nette à l'image. Abidjan au bord de la lagune est ainsi "funèbrement" mais superbement filmée de nuit.

Ce qui définit les contours d'une scène où va se dérouler un drame inhabituel.


Soudain, deux handicapés (sans jambes) armés de revolvers braquent un chauffeur de taxi, et le prennent en otage. Comme dans la réalité. L'appétit venant en mangeant, commence alors pour eux une folle nuit de braquages, de violence et de rêves. Avec la complicité du taxi, qui, visiblement, apprécie. Comment vivent réellement les handicapés ?


Pour répondre à cette question, Sidiki Bakaba introduit sa caméra dans leur univers et nous met de ce fait à leur niveau. Celui d'êtres qui, bien que voyant le monde d'en bas, ont les mêmes aspirations (légitimes) que tous les autres humains. Ils veulent être bien vêtus, veulent bien manger, boire du champagne, faire l'amour, et même, pourquoi pas, marcher, si besoin, avec des prothèses. Mais, parce que les autres ne leur portent aucune attention, ils se servent d'armes à feu. Presqu'à leur corps défendant. Comme pour leur rappeler qu'ils existent. Et puis, comment des gens aussi faibles et démunis que ces handicapés arrivent-ils à se procurer des armes à feu, au prix qu'ils coûtent ? Avec une autre catégorie d'individus, Eliane de Latour dans Bronx-Barbès s'était déjà, elle aussi, épanchée sur le même sujet. Avec le même réalisme. Mais à l'opposé de cette dernière, Bakaba suscite l'émotion du spectateur en lui apprenant par exemple que certains de ces handicaps sont le fait de pratiques mystiques de certains parents, mus par des ambitions individualistes. Tel est le cas de Rock, marié malgré lui de manière surréaliste à une belle mulâtresse, dont elle dit heureusement que "son corps disgracieux enveloppe une âme si pure". Les handicapés, relève le film, ont du bon. Ils savent protéger les leurs. Surtout lorsqu'ils sont en pleine action, et qu'ils veulent les préserver d'éventuelles bavures.


Rock, encore une fois, bénéficie par deux fois de cette magnanimité. Le public ne l'apprécie-t-il pas lors de la séquence sous le pont pendant le contrôle de police ? Séquence au suspense à couper le souffle, digne d'une mise en scène de Hitchcock.


Après avoir mis en scène tous les éléments d'un polar classique, Bakaba y ajoute l'ingrédient introduit dans les films noirs aux Etats-Unis dans les années 70 : la course-poursuite de voitures. Elle se termine ici sur une plage, où le commissaire Blazo n'hésite pas à faire un carton de ceux qui lui ont donné des insomnies. Rattrapé par la vengeance des "namaras", Blazo les rejoint dans leur handicap physique. Mais, lui il a la tête sur les épaules, et ne sera jamais comme eux. Bien que "jetés dans la rue comme des chiens" par des parents ayant honte d'eux, il n'y a pas lieu que les handicapés perdent espoir. "Quand il y a la vie, il y a espoir". Et si on perd espoir, on est condamné à la mort.


Sans être un chef-d'œuvre, le film de Bakaba grâce à sa maîtrise technique (son, lumières, cadrage, etc), au jeu sympathique des handicapés et à la beauté des images, se laisse regarder. Sans ennui.

Jean-Marie MOLLO OLINGA (Cameroun)

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