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Plaidoyer pour la liberté
Moolaadé, de SEMBÈNE Ousmane (Sénégal)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 25/06/2005

Deuxième œuvre d'un triptyque intitulé "Héroïsme au quotidien", le neuvième long métrage de l'octogénaire Sembène Ousmane est un film fort. Très fort. Retenu dans la sélection officielle du festival de Cannes dans la catégorie "Un certain regard", il traite de la question de l'excision.

Sembène Ousmane utilise la beauté des images, la pureté du son – les sifflements du fouet par exemple -, et le jeu magistral des premiers rôles, pour accompagner la résistance d'une femme à une tradition ayant la peau et la pratique dures.

Collé Ardo Gallo SY, deuxième épouse et "favorite" d'un polygame, est excisée, comme toutes ses coépouses. A cause de cela, elle a perdu ses deux premiers enfants. La troisième, Amsatou , n'a eu la vie sauve que grâce à une césarienne. Unique fille, sa mère la protège contre cette agression faite aux femmes, contre cette "atteinte à la dignité de la femme", pour reprendre l'expression de Sembène. D'ailleurs, cette pratique ne permet "ni d'être une bonne épouse, ni d'être une bonne mère". D'où vient-il alors que tant de passions se déchaînent autour d'elle ? Que toute fillette doive la subir, pour être épousée ?

Toujours est-il que dans le village de Collé Ardo, quatre fillettes requièrent et obtiennent sa protection. Devenant de ce fait des "Bilakoro", autrement dit, des impures.

Si Collé s'oppose avec autant de vigueur à cette amputation, ce n'est pas uniquement parce qu'elle en a souffert dans sa chair. C'est aussi parce qu'elle est ouverte sur le monde. Avec ses semblables, elle peut écouter la musique à la radio, mais surtout des prêches d'un imam disant que l'excision n'est pas le fait de l'islam. Contrairement à la croyance courante. Elle écoute aussi des informations sur RFI et Africa N°1. D'où l'importance et la fréquence de l'achat des piles dans ce bled reculé. Pour alimenter ou "ressusciter" des appareils tenant parfois plus d'auberges à cafards que de postes de radio. Et cela dérange les hommes. Qui confisquent et brûlent lesdites radios. "Nos hommes veulent enfermer nos esprits", réalisent-elles.

Dès lors, Moolaadé quitte la strate d'un film qu'on peut assimiler à un simple plaidoyer contre l'excision, pour franchir l'étape supérieure : celle d'un film sur la liberté. La liberté de la femme dans un monde d'hommes. Des hommes qui se comportent comme des roitelets. Et la quête de la liberté menant toujours à une confrontation féroce, le village entre en ébullition. Collée Ardo est publiquement flagellée par son propre mari.

Cette séquence étale, s'il en était encore besoin, la maîtrise de l'art cinématographique du réalisateur. Bassek Ba Kobhio ne dira-t-il pas : "c'est son meilleur film depuis vingt ans".

Les expressions de visages (de Collé, de son mari, des autres femmes) lors de la séance de flagellation sont rendues avec un tel à-propos que l'émotion des spectateurs est à son comble. Le réalisateur fait tant et si bien monter la douleur que le public semble anesthésié lorsque la maman de la petite Diatou pleure son unique fille, morte elle aussi. d'excision. Se pose alors avec Sembène la question de savoir s'il n'est pas cruel de pratiquer l'excision sur de toutes petites fillettes qui ne sont pas libres de se défendre, qui n'ont pas leur mot à dire. Qu'importe !

Pour les hommes, il faut perpétuer la tradition. Avec les sept exciseuses (les sept péchés capitaux ?) vêtues de chapes rouges, couleur de sang, et aux mines patibulaires. Encore un rendu en images digne du maître Sembène, surtout quand il les oppose à l'innocence de petites filles couvertes de blanc. Et pour perpétuer cette tradition, aucun obstacle n'est toléré. Tous ceux qui s'y opposent sont soit battus, soit assassinés. Cependant, ceux qui gagnent des combats sont-ils toujours ceux qui donnent des coups ?

L'arrivée d'Ibrahima "le parisien" dans ce contexte aurait laissé penser à un soutien à cette communauté de femmes rebelles. Que non ! Cela déçoit quelque peu le spectateur. Il l'est davantage par son jeu et sa diction "coincés". N'étant pas au même niveau que ceux qui lui donnent la réplique, Sembène aurait dû trouver mieux que cet interprète d'Ibrahima. Heureusement, après l'autodafé des postes radio, il est celui qui, grâce à son antenne de télévision, apporte une vue sur le monde extérieur. Pour un changement radical de mentalités.

Jean-Marie MOLLO OLINGA

Correspondant permanent Afrique Magazine (Paris)
Cameroun.

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