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SONIA CHAMKHI (SCENARISTE, DIALOGUISTE ET REALISATRICE)
"L'opportunité de faire des films est assez réduite"
critique
rédigé par Zouhour Harbaoui
publié le 03/07/2005

Scénariste, dialoguiste, réalisatrice, auteure, Sonia CHAMKHI a plusieurs cordes à son arc dans les domaines cinématographique et littéraire, malgré ce que peuvent dire certaines mauvaises langues.

Elle a son actif des écritures de scénarios pour d'autres tels que Chambre avec vues, réalisé par Mounir Baâziz ou encore des adaptations de scénarios comme celui, en préparation, du réalisateur Abdellatif Ben Ammar, Les trous du palmier.
Avec Sonia, nous sommes revenues sur son tout dernier court métrage, à savoir Nesma wa rih.

Zouhour HARBAOUI : Tu es scénariste, dialoguiste et co-réalisatrice du court métrage Nesma wa rih, comment t'es venue l'idée de cette fiction ?

Sonia Chamkhi : J'ai écrit Nesma wa rih en 2000, juste après Chambre sans vue qui a également eu l'aide du ministère de la Culture et dont la réalisation a été assurée par Mounir Baâziz en 1999 (production Alya Film). Pour le premier comme pour le second, les protagonistes sont des jeunes dont l'âge oscille entre 20 et 28 ans. Cet âge où tout est normalement possible : l'amour, le travail, la liberté de choisir et de construire sa vie… Or, dans les deux films toutes ces choses de la vie qui garantissent la dignité humaine s'avèrent douloureuses, inaccessibles… Qu'il s'agisse des personnages dans Chambres sans vues ou de Mouna et Omar dans Nesma wa rih, il est toujours question de jeunes hommes ou femmes desservis par des conditions économiques et sociales et qui tentent désespérément d'arracher leur part de bonheur en dépit de la solitude et de la privation. Il ne s'agit pas d'une idée de fiction mais d'une implication réelle dans la vie des gens de ma génération.

Z. H. : Tu prends exemple sur la vie, alors ?

S.C : Autour de moi beaucoup de jeunes luttent pour une vie digne. Il leur faut affronter le chômage, la précarité économique et toutes ces mutations sociales qui les obligent à réinventer leur quotidien et leurs rêves... Je pense les comprendre, partager certaines de leurs frustrations et j'espère trouver le ton juste pour traduire leur désarroi, leurs émotions et leur quête du bonheur... Je raconte en quelque sorte des bribes de leur vies non pas pour illustrer une idée mais pour donner à voir, à sentir, à aimer des jeunes hommes et femmes qui le temps très court d'une fiction nous font accéder à leur intimité, à leur intériorité, à leur humanité.

Z.H : Que raconte Nesma wa rih ?

S.C : Nesma wa rih raconte l'histoire d'un amour avorté entre deux jeunes Tunisiens d'aujourd'hui : Mouna qui travaille comme placeuse dans un bus urbain et Omar qui pense trouver dans l'exil clandestin une solution à son chômage et à la précarité qui en découle.
C'est d'abord l'histoire d'un couple amoureux mais déchiré, confronté à la séparation, à l'impossibilité d'une vie commune. Ces conditions sociales défavorables ne les empêchent évidemment pas de s'aimer mais elles les obligent à un amour marginal où la sexualité, l'enfantement deviennent porteurs de douleurs, de frustrations et d'échec.

Z.H : Crois-tu que le sujet pourrait intéresser les Tunisiens sans les choquer ?

S.C : En racontant leur histoire, en cherchant à traduire leurs émois, je n'ai pas cherché à choquer, mais je ne me suis pas non plus imposé une autocensure… J'ai cherché à trouver le ton juste, à réincarner leur langage, leur manière d'exprimer ce qu'ils vivent… Alors si certaines choses risquent de choquer, elles seront peut-être un stimulateur pour soulever le débat et faire bouger les choses. Je peux comprendre que l'avortement ou encore la misogynie peuvent déranger mais alors au lieu de faire la politique de l'autruche, il est peut-être temps de se poser des questions sur les raisons et les tenants de cette réalité sociale que nul n'ignore mais qu'on lègue au silence, au non dit et au tabou.

Z.H : Pourquoi as-tu choisi le titre Normal pour la traduction de Nesma wa rih ?

S.C : Parce que justement contrairement à ce que peuvent penser ceux qui sont tentés par le conservatisme de bon aloi et la négation de la réalité de tous les jours, un jeune de la condition de Mouna et de Omar (c'est-à-dire la plus part des jeunes des innombrables agglomérations défavorisées des grandes villes du pays) trouverait Normal le "destin" de ces deux anti-héros : Omar abandonne Mouna ? Normal, il n'a pas les moyens d'aimer !
Il s'exile clandestinement en Italie et compte récidiver malgré le refoulement ? Normal, ici il est humilié tous les jours ! Mouna est importunée par des mecs, Normal, elle n'a qu'à bien se tenir, et puis un mec qui n'est pas macho, n'est pas viril ! … Voilà, ce vocable Normal, qui a d'ailleurs donné l'idée à Lotfi ben Sassi de surnommer les jeunes Tunisiens les Normaliens, m'a semblé tout à fait en phase avec le film, les protagonistes et le contexte social… Et j'aimerai dire que je ne l'emploie pas du tout dans un sens péjoratif… Je ne m'autorise pas ce luxe de juger… Que chacun puisse se débrouiller comme il peut pour supporter les aléas de la vie et je pense que ces jeunes ont beaucoup plus de courage, d'acharnement à vivre que veulent bien le reconnaître ceux qui dans leur coupole de verre sont à l'abri de l'injustice sociale et de la privation.

Z.H : Apparemment tu travailles beaucoup avec Lassaad Dkhili, pourquoi ?

S.C : J'ai rencontré Lassaad quand je faisais mes études de cinéma à Paris voilà plus de dix ans. Durant de longues années, nous avons rêvé ensemble de faire des films. Des affinités artistiques et intellectuelles nous rapprochaient. J'ai pensé lui confier la réalisation de Chambre sans vues mais les choses se sont déroulées autrement, alors lorsque l'occasion de faire ensemble Nesma wa rih s'est présentée, nous l'avons saisie et réalisé ainsi notre désir de travailler en commun et de pratiquer enfin tous ces choix que nous partageons : faire un cinéma de proximité qui parle des gens simples, un cinéma populaire mais suffisamment porté par une exigence esthétique et artistique pour ne pas céder aux facilités populistes, commerciales ou autres.

Z.H : Tu as également co-réalisé avec lui un documentaire, Douz, la porte du Sahara, comment s'est déroulée cette expérience ?

S.C : Après le tournage de Nesma wa rih, j'ai été sollicitée pour tourner un documentaire sur Douz, comme Lassaad était en Tunisie alors qu'il réside habituellement en France, nous avons saisi cette opportunité pour retravailler ensemble car nous étions réconfortés dans notre complémentarité et notre entente professionnelle. Après avoir mené l'enquête, défini notre problématique et rédigé notre scénario, nous avons ensemble élaboré nos repérages, nos castings et notre découpage technique préliminaire, ensuite Lassaad s'est chargé de superviser les prises de vues et moi le montage. Cette expérience a enfanté un documentaire dont nous sommes satisfaits et qui – du Festival International des Films de Femmes de Créteil à celui de Maghreb Si loin Si proche de Perpignan – ne cesse de récolter une estime et une reconnaissance qui réconfortent nos choix et nous prouvent combien l'art dépasse toutes les frontières et tous les préjugés.

Z.H : Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées sur la conception de Nesma wa rih ?

S.C : Sur le plan créatif, Nesma wa rih a vraiment été une expérience heureuse, fertile et d'une grande fraîcheur. J'avais porté le scénario durant une assez longue période, je connaissais l'univers de Mouna, de Omar et des autres protagonistes. L'atmosphère du film qui à mes yeux est un enjeu créatif important, je la possédais. Raison pour laquelle, le casting, le repérage des lieux ont été presque naturels, immédiats. Pour le tournage Lassaad et moi avions été prévenants, nous avons évidemment un découpage technique précis mais nous avons également établi un story board. Nous avons étudié et fait des choix précis pour tous les éléments de la mise en scène, le décor, la lumière, la direction des acteurs… Et en cela nous avons été épaulés par une équipe technique vraiment professionnelle et par des comédiens de haute volée : Khaled Belkhiria, Karim Ben Hamouda, Hachemi Joulak, Ali Ben Abdallah, pour ne citer qu'eux ; au-delà de leur savoir faire attesté, ils ont été concernés par le film. Quant aux comédiens à l'instar de Fatma Ben Saidane, Slah M'Saddek, Hassen Harmassi et la jeune Néjoua Zouhir ils ont apporté à Nesma wa rih leur talent et leur générosité…
Ceci ne veut pas dire non plus que nous n'avions rencontré aucune difficulté. Comme tout concepteur nous avons eu quelques frustrations, pour le son, par exemple dont la qualité est tout juste moyenne vu l'état délabré de l'auditorium de la SATPEC. Mais en dépit de tout et malgré que la sortie du film, dont le montage était achevé depuis Novembre 2002, a été retardée de trois années en raison notamment de la fermeture des laboratoires de Gammarth, Nesma wa rih est pour moi l'heureux début d'une expérience créative que j'espère tenir, améliorer et porter jusqu'à l'aboutissement, elle inaugure pas mal de mes choix artistiques qui j'espère seront réconfortées dans mes projets futurs.

Z.H : Justement qu'en est-il de tes projets en tant que scénariste d'abord ?

S.C : Il y a quelques mois, j'ai entamé une collaboration à l'écriture avec le réalisateur Abdellatif Ben Ammar pour l'adaptation d'un long métrage de fiction. Entre temps, j'ai déposé à la commission d'aide à la production du ministère de la Culture de la Jeunesse et des Loisirs (NDRL : actuel ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine), le scénario d'un court métrage de fiction intitulé le Berger de Ferrailles. J'ai également soumis à la lecture un scénario de téléfilm Omr El Gazel au producteur Néjib Ben Ayed.
En réalité, plusieurs scénarios sont d'ores et déjà prêts mais comme l'opportunité de faire des films est mine de rien assez réduite, j'essaye de les proposer aux moments opportuns et je cherche d'autres voies pour faire parvenir toutes ces histoires qui m'habitent. C'est ainsi que pour la toute première fois, je publie un roman de langue française intitulé La Saison des Cartons qui sera édité prochainement par les éditions Clairefontaine.

Z.H : Et en tant que réalisatrice ? Nous avons eu écho de l'acceptation de votre court métrage de fiction Le Berger de Ferrailles par la commission d'aide à la production du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine.

S.C : Le berger de ferrailles s'inscrit dans la même optique que Nesma wa rih, il se veut le porte parole des gens humbles dont il nous tarde encore de connaître l'immense humanité. Sa réalisation me donnera l'occasion d'exprimer par le cinéma, c'est-à-dire par un matériau de la sensibilité, les ressources cachées de l'amour, du don de soi et de la quête de l'accomplissement par delà toutes les exclusions et les préjugés sociaux.

Zouhour HARBAOUI (Tunisie)

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