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Ce n'est pas du velours !
Satin Rouge, de Raja AMARI (Tunisie)
critique
rédigé par Zouhour Harbaoui
publié le 23/08/2005

A la sortie de son film Satin Rouge, en 2002, on pensait qu'avec la benjamine du cinéma tunisien, à savoir Raja Amari, 30 ans, le spectateur tunisien allait sortir du carcan des histoires de femmes. Malheureusement, il en a été autrement. Espoirs déçus sur tous les plans ! La benjamine n'a fait que suivre la trace, "mal tracée", de ses aînés. A croire que la nouvelle génération de cinéastes, représentée à l'époque par Raja Amari, n'avait aucune imagination…

Satin Rouge est l'histoire d'une femme, veuve, qui élève sa fille adolescente, et par un concours de circonstance va se retrouver "danseuse de cabaret".

Lilia (Hiam Abbass) fait de la couture entre ménage du matin et feuilleton mexicain. Sa fille Salma (Hend El Fahem) valse entre ses cours au lycée (qu'on ne voit jamais), ses cours de danse orientale et les révisions chez sa copine Hela (Nadra Lamloum), prétexte pour rejoindre son amant Chokri (Maher Kamoun).

Un soir, Lilia voit Chokri raccompagner Salma. Le lendemain, elle l'aperçoit dans la rue et décide de la suivre. Chokri entre dans un cabaret, où il est "derbakj"(c'est-à-dire qu'il est percussionniste sur une derbouka).


A la nuit tombée, Lilia, croyant que sa fille a été entraînée dans le cabaret, se rend sur les lieux, y pénètre et découvre un monde entre chair et beuverie ; un monde où son corps ne veut plus obéir à son esprit.

Et la voilà danseuse de cabaret sur les conseils de la "meneuse de revue" Folla (Monia Hichri). Lilia, dans cette liberté des sens retrouvés, ira même jusqu'à avoir des rapports sexuels avec l'amant de sa fille, dont elle bénira le mariage par la suite.

Bien que le scénario, écrit par Raja Amari, ait obtenu le prix Junior du meilleur scénario de la ville de Paris en 1999, ceci n'est pas une référence pour réaliser un film potable. Et Satin Rouge n'est même pas un film "potable" !

Gratuité des images

Rien qu'à regarder l'affiche – une femme pleine de rondeurs, habillée en danseuse "du ventre", et cachant son visage à l'aide de son bras, avec pour fond des silhouettes et un comptoir de bar – on a l'impression qu'on se moque des spectateurs.

Cette affiche peinte rappelle, sans conteste, la couverture de certains livres de l'Egyptien Najib Mahfouz, où tout est mis en œuvre pour racoler le client.

Et puis cette affiche se veut être une contradiction, alors qu'elle nous donne un sentiment de lâcheté. Cette femme, qui dénude son corps tout en se voilant la face, prouve qu'elle n'assume pas ses actes. Est-ce cela la liberté ?

Pour en venir aux images véhiculées par le film lui-même, nombres d'entre-elles sont gratuites, c'est-à-dire qu'elles ne servent à rien pour la compréhension de l'histoire – si compréhension il y a !

Ces prises de vue surplombant la médina de Tunis, quels effets ont-elles sur le long-métrage ? Aucun ! A part, peut-être, d'en faire un film commercial pour étrangers en manque d'exotisme ! Ou encore de rallonger Satin Rouge plus qu'il n'en faut. Et les scènes de cabaret ? Elles auraient pu être, nettement, plus courtes ! D'ailleurs ces scènes de cabaret ont dû être tournées en une seule et uniquement journée, puisque on y voit toujours les mêmes têtes – même, si c'est bien connu, les bars et cabarets connaissent des habitués – tournées aussi à la va-vite sans être soignées. Elles donnent le tournis et la nausée.

Quant aux scènes de baisers enflammés et de relations intimes sont-elles vraiment la "levée de tabous", comme l'avait déclaré, à la première du film, le producteur tunisien Ahmed Baha Eddine Attia ? Pas du tout et même loin de là ! Faut-il rappeler qu'une scène de L'homme de Cendres de Nouri Bouzid était beaucoup plus osée que la "coucherie" offerte à nos sens par Raja Amari ?

Finalement quels tabous ont été dévoilés ? Des baisers brûlants et bruyants ! ? Pour cela pas besoin d'aller au "cinoche" pour en voir ! Des beuveries à la gloire de Bacchus, où les yeux des hommes lançent un regard affolé pour une simple chair ? On en a déjà eu le droit ! Des femmes aguicheuses qui pensent que la liberté passe par la chair, nous voyons ça tous les jours et pas besoin d'aller dans un cabaret pour cela !

Le seul passage qui pourrait lever le voile sur un tabou (et encore !)c'est lorsque Lilia se donne à Chokri, sachant très bien qu'il est le copain de sa fille !

Alors qu'on arrête de nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Nous ne sommes pas débiles à ce point !

Un coche raté !

Il semblerait que Raja Amari soit tombée dans la facilité sans exploiter à fond son ou ses sujets. La jeune réalisatrice n'a pas réussi à faire émerger la véritable cause de la métamorphose de Lilia. Raja Amari a voulu, peut-être, nous montrer comment une "femme rangée" trouve sa liberté. Or, ce n'est point ce sujet qui aurait été le plus intéressant à traiter, mais la rivalité mère-fille que la réalisatrice n'a pas su traduire ! C'est par cette rivalité que Lilia commet une sorte d'inceste, puisqu'elle a un rapport sexuel, même une fois, avec le futur mari de sa fille ! A part la rivalité, nous ne voyons pas pourquoi la mère s'est jetée dans les bras de Chokri, alors qu'elle avait d'autres prétendants. A moins qu'elle voulait prouver qu'elle était libre de choisir son partenaire…

Raja Amari a aussi raté le coche au niveau de la psychologie de Lilia. D'effacée du monde, cette femme devient égocentrique et diaboliquement manipulatrice, quitte à se prendre pour une "salope", et cela se voit dans deux scènes. La première lorsque Salma présente son copain à sa mère ; la seconde, lors du mariage, lorsque Lilia danse crûment devant son gendre.

Le problème est que la réalisatrice n'a pas montré l'itinéraire de ce changement psychologique. La transformation a été trop rapide, alors que les scènes sont lentes.

Le personnage de Salma sonne totalement faux. Trop polie, trop bien élevée, elle n'élève jamais la voix même quand sa mère la gifle, elle lui dit juste : "Maman, tu m'as fait mal" avec un ton totalement plat sans trémolo de douleur.

Se dénuder pour payer sa liberté ! ?

Doit-on voir, à travers Satin Rouge, le prix à payer pour qu'une femme (ou les femmes) tunisienne atteigne sa liberté ? Salma se dénude devant son amant : est-ce pour être libérée des contraintes morales que lui fait subir, indirectement, sa mère ? Lilia se dénude devant l'amant de sa fille : est-ce pour être libérée de sa condition de veuve et de femme au foyer sans histoire ?

Assez de ces considérations primitives qui font que la femme doit se dévêtir pour acquérir sa liberté ! On peut être totalement indépendante sans pour autant montrer sa chair.

En règle générale, celles qui désirent obtenir leur liberté à travers leur corps sont prisonnières dans leur tête. Et comme le dit l'expression "l'habit ne fait pas le moine".

D'autre part, nous ne voyons pas l'aboutissement de Satin Rouge. Où Raja Amari veut-elle en venir ? Elle avait juste déclaré à l'époque de la sortie de son film qu'elle voulait faire un film sur la danse orientale…

On se demande, aussi, et là il faut remettre chaque chose dans son contexte et dans son domaine, pourquoi la réalisatrice a choisi une actrice palestinienne (Hiam Abbass) pour incarner une Tunisienne ? Ce choix a été malheureux pour le personnage de Lilia. Le dialecte tunisien étant différent de celui palestinien, l'actrice a dû parler très doucement et lentement pour pouvoir s'exprimer à la Tunisienne. Son texte ne coulait pas de source et on avait l'impression que Lilia était légèrement attardée mentale. Peut-être que Hiam Abbass a tout simplement été imposée par la production française…

Assez !

Assez, et cela dans un contexte général, de films tunisiens sur la femme ! Assez de les prendre pour des dindons de la farce ! Assez que les réalisateurs tunisiens se servent de la gent féminine pour abreuver d'images exotiques et érotiques voilées des esprits européens encore englués dans des mirages orientalistes, rêvant de femmes dociles ou bêtement rebelles. Assez qu'on essaie de les analyser comme des souris de laboratoire, ou de les façonner comme le désirent certains, faisant d'elles des poules sans cervelles, des bêtes de cirque ou de foire qu'on exhibe à travers de fausses images pour faire plaisir à ceux qui ont payé leur droit d'entrée.


Arrêtez de "prostituer" l'image de la femme tunisienne. Elle n'a rien demandé !

Zouhour HARBAOUI (Tunisie)

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