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L'artiste, la belle, et le méchant
Wooden camera (La caméra de bois), de Ntshavheni WA LURULI (South Africa)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 06/07/2005

Le deuxième long métrage du Sud-Africain Ntshavheni Wa Luruli, auteur de Chikin Biznis, paru en 2003 et intitulé La caméra de bois a été programmé en ouverture du 8e festival Ecrans noirs du cinéma d'Afrique francophone. Œuvre métisse, ce film écrit en français et produit par le Français Olivier Delahaye, a été réalisé en anglais en Afrique du Sud. Il a obtenu l'Ours de Cristal du meilleur film pour les jeunes générations au festival de Berlin 2004.

Histoire aux apparences d'un conte moderne de 90 minutes, elle commence avec la chute d'un individu d'un train. Comme par hasard se trouvent là deux gamins de 14 ans: Sipho et Madiba. Sur l'individu accidenté, et même déjà décédé, de l'argent liquide, mais surtout une caméra et un flingue. La rencontre des deux enfants avec ces deux objets dont l'un est chargé de donner la mort, et l'autre de montrer la vie, constitue l'élément déclencheur dont va se servir le réalisateur pour construire son conte. Un flingue et une caméra : deux mondes, deux destins.

Dans une Afrique du Sud minée par des décennies d'une politique d'apartheid dont elle tente peu à peu de s'affranchir, Wa Luruli donne sa vision - futuriste - de ce que doit être son pays. Et si d'emblée il filme les mouvements et les images d'un apprenti caméraman à partir d'une caméra portée, c'est pour mieux montrer les secousses qui ont pendant longtemps ébranlé le pays. Le film qui commence donc tambour battant conduit le spectateur dans les dédales miséreux des townships, où le doux Madiba fait l'apprentissage d'un art auquel il semble se destiner. Un nom pas du tout innocent, quand on sait que c'est le petit nom de Nelson Mandela, qui à lui tout seul, par son histoire, incarne le passé, le présent, et le futur de l'Afrique du Sud.

A l'opposé de l'artiste Madiba, son ami, le dur Sipho. Son admiration devant l'arme à feu fait tout de go penser qu'il porte en lui les germes de la violence. Ne représenterait-il pas la vieille Afrique du Sud ? Pour le condamner, Wa Luruli l'enfonce dans une voie dont on ne sort que difficilement. Drogue, racket, et autres actes de banditisme sont pour lui les ingrédients d'une vie sur l'instant. Au contraire de son ami, Madiba, qui a choisi de mener une vie qui se construit. Une vie d'apprentissage. D'où les propos du père de Madiba : "L'école vous empêche de faire des bêtises". Cette école qui a été refusée pendant très longtemps à plusieurs autres petits Sipho au pays de Nelson Mandela! Dès lors, quelle solution leur restait-il pour survivre ? Sans vouloir justifier outre mesure cet état des choses, le réalisateur en choisissant de montrer les qualités de ce Mozart condamné ne démontre-t-il pas à souhait qu'il y avait - ou qu'il y a - lieu de sauver cette catégorie d'individus ? Tel semble être le rôle de M. Shawn qui "enseigne tout". Et à tout le monde. Fidèle dans son amitié avec Madiba, Sipho est également capable d'aimer sincèrement une femme, la jeune et belle Estelle, quitte à braver l'autorité de son père. Et celle-ci n'arrive pas là, simplement comme une belle plante qu'on introduit dans le décor.

Non seulement elle est brièvement la pomme de discorde entre Sipho et Madiba qui veulent chacun se réserver l'exclusivité de son amitié, mais elle semble être le pendant positif de Sipho. Ne dissuade-t-elle pas l'ami de son père qui veut dénoncer ses fréquentations en lui brandissant l'arme du chantage ? Hésite-t-elle un seul instant à utiliser la même arme pour obtenir de son père ce qu'elle veut ?

Superbement interprétés, Madiba et Sipho forcent l'admiration du public dont ils finissent par arracher la sympathie. Au contraire d'Estelle dont la prestation quelque peu hésitante et pas toujours naturelle, qui ne semble avoir été adoptée que sur ses prises de position contre son père.

Construit sur des antagonismes (de trajectoires, de race, de milieu social, etc…), La caméra de bois de Ntshavheni Wa Luruli qui se veut un film intense, est cependant, par moments, desservie par la qualité relative des images. Surtout au début du film. Ce qui ne l'empêche pas de porter ce message d'espoir qui est finalement la vision du réalisateur de cette Afrique du Sud qui doit se dessiner en noir, blanc, et métis. Et comme dans tous les contes africains, celui de Wa Luruli qui commence avec un train arrivant avec un mort et s'achève avec un train partant avec un. Couple mixte (ce qui vient soutenir la vision du réalisateur) finit par cette sagesse: "Il faut regarder derrière pour voir le passé". Comme pour dire, "avance, mais n'oublie pas d'où tu viens".

Jean-Marie MOLLO OLINGA

CINE-PRESS, Cameroun

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