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Les princes de l'imaginaire
Le Prince, de Mohamed Zran (Tunisie)
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 16/07/2005

par Francis Mbagna et Jacques Bessala Manga (Cameroun)

La voix enrouée de Mohamed Zran à la présentation d'ouverture de son film Le Prince au Cinéma Théâtre Abbia était empreinte d'émotion. Sans doute, était-ce parce qu'il évoquait le poète Gargouz Raouf, tant ils partagent la même passion de la culture, le même cri de détresse pour sauver la pensée et les hommes qui la font. Le Prince est ambigu jusqu'au bout, le rôle principal étant difficile à attribuer à l'un des protagonistes, tous magistraux dans leur jeu respectif, tant et si bien que l'on retient, pour être simple, qu'Abdel est le prince qui a donné son titre au film. Principalement parce qu'il réalise un rêve inaccessible à priori : épouser une femme riche, belle et libre.

Le Prince ne fait référence ni à une cour royale, ni au pouvoir. La présentation panoramique de l'avenue Bourguiba de Tunis témoigne de la difficulté à identifier ce prince. La toile sur laquelle Zran brode les destins de ses princes met en avant deux êtres qui n'ont que leur rêves comme fortune. D'un coté, Abdel le fleuriste, non moins prince de la rue, l'avenue Bourguiba en l'occurrence, haut lieu de détente et de lèche-vitrine, où l'animation en rajoute à la détermination d'échapper au quotidien agressif dont il faut tirer le meilleur, à condition d'y croire fortement. De l'autre, Gargouz Raouf, promoteur culturel, directeur d'une revue sur le déclin, la mal nommée "l'inconnu" de son titre évocateur et fataliste, dont les financiers ne sont pas convaincus de la rentabilité. Mais les rêves, chacun les vit à sa manière. Raouf n'en demeure pas moins accroché à ses nobles convictions.

Du début à la fin, le film n'est qu'un long poème, déclamé dans un univers chatoyant de fleurs, dont Abdel est passé maître dans l'art de confectionner les bouquets. Les parfums qui l'enivrent toute la journée à son comptoir de fleuriste ne l'empêchent pas d'être sensible au charme ravageur d'une autre fleur, Donia, directrice à l'Amara Bank. Mais entre son rêve et la réalité, il y a une mer à franchir. L'opportunité que lui offre le hasard d'une livraison chez la jolie passante finit par créer le détonateur qui va attiser le feu qui couve en lui. Dès lors, tous les risques sont permis : absences injustifiées à son travail, mensonges auprès de la sécurité de la banque où travaille sa belle. Et c'est aussi le début de tous ses tourments.

Le réalisateur ici, sous le prétexte d'une passion amoureuse, fait cohabiter diverses manières de réaliser ses rêves. Pendant que Abdel est primaire dans ses désirs, Raouf est raffiné à l'extrême. Leur égérie commune, c'est Donia. D'un côté, elle subit les assauts du livreur de fleurs dont elle ignore qu'il est en réalité son amoureux mystérieux. De l'autre, elle partage la passion de la littérature de Rimbaud notamment, dont Raouf se fait un plaisir de lui déclamer quelques vers particulièrement choisis. Mais en femme de tête, Donia ne se laisse pas démonter par ces assauts répétés, et semble éprouver un malin plaisir à laisser courtiser, confortée qu'elle est par l'indépendance que lui confère son statut social.

Déjà reconnue pour l'excellence de ses documentaires qui l'ont révélé au grand public, et confirmé par son premier long métrage de fiction, Essaïda, son écriture idéaliste laisse de la place à un imaginaire captivant et s'inquiète du risque qu'il y a à vivre sans la créativité. Le Prince est une accusation à peine voilée contre les structures financières qui annoncent la faillite programmée des industries de l'imaginaire, et la méprise à les assimiler à de simples marchandises. Le réalisateur ne s'en cache d'ailleurs pas quand il déplore, et nous avec lui, que les œuvres de qualité soient projetées à Yaoundé devant un public aussi maigre, dont on ne saura jamais assez justifier l'absence. En tout état de cause, le prince de Mohamed Zran est tout identifié : c'est Gargouz Raouf qui répond le mieux aux aspirations de son créateur et c'est surtout par lui que passe son appel à ce que nous soyons fidèles à nos convictions intimes.

Francis Mbagna et Jacques Bessala Manga

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