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Hommage aux proverbes africains
Prince Loseno, de Jean-Michel KIBUSHI NDJATE WOOTO
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 17/03/2006

Le cinéma d'animation africain est encore jeune, très jeune. De sa naissance sur le continent à une époque récente, il a toujours été considéré comme un genre cinématographique simplement ludique pour enfants ou adolescents. Fort heureusement, peu à peu, depuis le Nigérien Moustapha Alassane, pionnier du film d'animation africain d'après les indépendances, jusqu'au Congolais (RDC) Jean-Michel Kibushi Ndjate Wooto, le cinéma d'animation sort lentement et inexorablement de ces a priori, pour s'attaquer aux problèmes d'ordre politique, social, culturel ou moral du continent.

Possédant des formes expressives, des caractéristiques esthétiques et des techniques originales, tels que le fait remarquer Benjamin Benimana dans un article intitulé L'esthétique du cinéma d'animation africain(*), "il opère par combinaison organique des possibilités techniques du cinéma avec les potentialités des arts plastiques, dramatiques, chorégraphiques". De plus, exploitant non sans bonheur "la mythologie, le conte, la légende et bien d'autres genres de la littérature orale", le film d'animation africain se nourrit également du folklore et des croyances peuplant la vie quotidienne des Africains.

"Tombe le bananier, pousse le bourgeon"

S'inscrivant dans ce sillage, Jean-Michel Kibushi a réalisé de 1991 à 2005 sept courts métrages d'animation (Le crapaud chez ses beaux-parents, 1991, 16 mm, 8 min ; Le crapaud chez ses beaux-parents, l'orange blanche, 1992, 16 mm, 14 min ; Kinshasa septembre noir, 1992, Beta SP, 77 min ; Muana Mboka, 1999, 35 mm, 14 min ; L'âne et le chat, 2000, Beta SP, 4 min ; Rica-Wissembourg, 2001, 35 mm, 1,15 min). Le dernier, Prince Loseno, s'inspire d'une approche du conte étiologique africain. Dans un royaume situé au cœur de l'Afrique, le roi Muakana Kasongo Ka Ngolo cherche un héritier pour lui succéder. Et pendant la cérémonie du couronnement, le prince assiste, médusé, à la mort brutale de son père.

Dans ce chassé-croisé entre la vie et la mort, entre la naissance (au pouvoir) et la disparition (d'un règne), Kibushi Ndjate Wooto développe un récit renvoyant au référent précis qu'est la société africaine et ses réalités culturelles. Et malgré sa simplicité et sa linéarité apparentes, Prince Loseno aborde une foultitude de thèmes allant de la question de succession à la tête des Etats, au modèle étatique lui-même, en passant par les guerres de l'ombre pour contrôler le pouvoir. Entre Mama Yakumba qui peut guérir ou jeter le mauvais sort, Lokoto le conseiller, qui peut tourner et retourner sa langue pour dévoyer le roi, et les trois premières épouses qui se disputent le leadership et les faveurs du roi, c'est la guerre larvée.

Fresque de la vie réelle de palais, ce conte moderne qui use abondamment de plans larges, et qui ponctue agréablement presque chacune de ses respirations d'un proverbe, n'en est-il pas en réalité un hommage ? Ainsi, "si le coq ne change pas de poules assez souvent, le poulailler va se dépeupler". Il faut donc se dépêcher de trouver une quatrième épouse au roi, celle qui pourra lui donner l'héritier tant attendu, les trois autres étant stériles. Ceci doit se réaliser dans la paix et le dialogue, car lorsque "les lèvres gâtent les choses, c'est la langue qui répare". Kibushi fait ici l'apologie de la tradition de l'oralité africaine, qu'il faut sauvegarder à travers un contenu éducatif ou même simplement culturel. Prince Loseno, comme conte moderne, raconte certes une histoire, mais par le plaisir et l'émotion qu'il procure, il apparaît comme une revendication de la culture et du patrimoine authentique africains.

L'univers sonore de ce film, dont la richesse et la qualité des musiques sont caractéristiques du travail de Kibushi, confère à Prince Loseno des images… musicales fortes. Elles peuvent être tour à tour mélancoliques (par exemple lorsque Dipepe quitte son village pour aller épouser le roi, la séparation étant souvent triste) ; joyeuses et tenant de la comptine à la naissance du Prince ; ou véritablement festives (les balafons qui accueillent Loseno à la cour) ; ou à nouveau mélancoliques (les pleurs en chansons qui accompagnent la mort du roi). "La naissance et la mort étant jumelles", le prince se doit de garder sa dignité, bien que vivant en direct le décès de son père. Et s'il reste assis, imperturbable, sur son trône, n'est-ce pas parce qu'il est logique que "tombe le bananier, et que pousse le bourgeon" ? Le roi peut partir après avoir rempli sa mission. Et Loseno, la vie, continue.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Président de Ciné-Press,
Cameroun.

Prince Loseno - réalisé par Jean-Michel KIBUSHI NDJATE WOOTO - Belgique / RDC - 2004 - Animation - 29 min - 35 mm -

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