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entretien avec Khaled W. Barsaoui
"Je suis pour un cinéma de cœur"
critique
rédigé par Mehrez Karoui
publié le 17/09/2005

Le cinéaste tunisien Khaled W. Barsaoui est actuellement au Maroc pour participer à la 3éme édition du Festival du Court Métrage Méditerranéen de Tanger (du 10 au 16 Septembre) . Son court métrage Presque un rêve figure dans la compétition officielle. Par ailleurs, il prépare la sortie de son premier long métrage Par delà les rivières.





· Un machiniste gagne facilement mieux sa vie qu'un réalisateur.


· On ne peut pas parler de "cinéma tunisien" car en Tunisie il existe autant de cinémas que de cinéastes.


· Faire la Télévision avec les intentions du cinéma et faire le cinéma avec les moyens de la Télévision.


· Donner 400 milles dinars à un citoyen pour faire un film est à la fois un luxe et une chance inouïe.


· Je suis pour un cinéma de cœur et non de profession.


· Je produis mes propres films non pas par vocation mais par nécessité.


· Radio "Mosaïque" est une fausse solution à un véritable problème.



Avec un physique imposant, une allure d'athlète, souvent en jean et portant des espadrilles, Khaled W.Barsaoui semble plutôt un homme réservé et timide. Sur son visage de séducteur se dessine toujours un sourire complice comme pour surmonter cette timidité embarrassante. Avare en paroles, il préfère laisser son travail parler de lui. A 49 ans, cet enfant de Jendouba est considéré encore comme "jeune cinéaste" ; une aberration qui suscite chez lui une vive indignation. Après vingt ans de carrière dans l'audiovisuel, ce cinéaste qui se réclame toujours d'un "cinéma de cœur" parvient enfin à gagner une reconnaissance et une légitimité qui lui ont ouvert le chemin pour entreprendre la réalisation de son premier long métrage Bîne el'widyène (Par delà les rivières). Depuis son documentaire De Carthage à Ouaga (1990), Barsaoui a su se faire oublier sans pour autant cesser d'accumuler et de multiplier les expériences à gauche et à droite. Préférant œuvrer dans le silence et avec beaucoup de persévérance, il a réalisé pas moins de cinq courts métrages de cinéma avec une riche expérience à la télévision dont un téléfilm de 90 min intitulé La fille du kiosque. Ses thèmes de prédilection sont l'enfance et l'Histoire. Il se veut un témoin sur son époque, d'où son parti pris pour le documentaire. Une passion qu'il explique par la nécessité de porter un regard sur ce que nous étions et surtout sur ce que nous aurions pu être.







Mahrez Karoui : Parlons des débuts. Qu'est–ce qui vous a amené vers le cinéma ?

Khaled W.Barsaoui :
Ce n'était pas à priori dans mes intentions, autrement dit cela n'a pas été prémédité. Dans ma jeunesse, je n'ai jamais pensé un jour devenir cinéaste. D'ailleurs je n'ai pas fait d'études cinématographiques. Le cinéma faisait partie de mes loisirs et j'étais mordu de cinéma pas plus.


M.K. : A quel âge avez – vous commencé à voir des films ?

K.W.B. :
J'avais à peu près cinq ans. Mes parents fréquentaient régulièrement les salles obscures et ils me prenaient avec eux. Je ne me rappelle pas les films mais je porte toujours le souvenir des lumières et des images en noir & blanc ce qui fait que je garde aujourd'hui beaucoup de tendresse et d'affection pour les salles obscures. Par la suite, je n'ai raté aucun film qui passait à Jendouba. C'était avant l'avènement de la télévision et pour ma génération le cinéma était la seule et unique fenêtre sur le monde. Jendouba était un petit village entouré de montagnes, glacial en hiver, infernal en été et le cinéma était la seule échappatoire. Nous nous arrangeons toujours pour avoir de quoi payer l'entrée et à la sortie nous essayons d'imiter les acteurs et de rejouer certaines scènes du film pour séduire les petites filles du quartier.


M.K. : Est–ce que vous vous rappelez du film qui vous a marqué au point qu'en sortant vous vous êtes dit : je veux faire du cinéma ?



K.W.B. :
Cela m'est venu beaucoup plus tard. C'était à Alger où je faisais mes études universitaires et en particulier la cinémathèque. C'était essentiellement le cinéma allemand : celui de Fassbinder, de Herzog et de Wim Winders. Ces films m'ont donné l'envie de faire du cinéma mais c'est la FTCA et le Festival de Kélibia qui m'ont donné la possibilité de le faire. En 1981, je suis venu à Kélibia couvrir le festival pour le compte la revue de cinéma Les deux écrans. C'était mon premier contact avec le cinéma amateur et j'ai vu des œuvres magnifiques faites avec des moyens de fortune en Super 8.


M.K. : Mais que faisiez–vous en Algérie en 1981 ?

K.W.B. :
J'étais renvoyé de l'université tunisienne suite aux mouvements estudiantins vers la fin des années 70. J'étudiais la sociologie et c'était l'époque où on renvoyait les étudiants pour des raisons politiques. Choisir l'Algérie pour continuer mes études était une façon pour moi de refuser l'émigration en Europe et particulièrement en France. J'ai eu une maîtrise en sociologie et j'ai même entamé un DEA que j'ai vite abandonné pour le cinéma.


M.K. : Le séjour en Algérie a–t–il joué un rôle fondamental dans votre formation cinématographique ?

K.W.B. :
Parallèlement aux études, je fréquentais la cinémathèque d'Alger et les ciné–clubs dont je connaissais les membres avant même que j'aille en Algérie grâce aux stages organisés en Tunisie par la FTCC (Fédération Tunisienne des Ciné–Clubs). Et puis, il y avait la cinémathèque, un bijou unique en l'Afrique du Nord. A cette époque j'ai commencé à écrire dans EL MOUDJAHID et à la revue Les deux écrans.


M.K. : Pour un cinéaste issu du cinéma amateur, comment définissez – vous la différence entre cinéma amateur et cinéma professionnel ?

K.W.B. :
Le cinéma amateur est un cinéma de cœur contrairement au cinéma professionnel qui donne l'impression d'être structuré. Cela fait aujourd'hui plus de vingt ans que je suis professionnel et je parfois je me dis que pour moi ce n'était peut-être que du temps perdu et que j'ai emprunté le mauvais chemin. Souvent je le regrette vraiment même si je suis conscient que je n'avais pas le choix puisqu'on nous a évincés de la fédération (FTCA) qui faisait à l'époque l'objet de certaines convoitises et d'enjeux qui n'ont pas de rapport direct avec l'art. Certains membres étaient contraints de quitter la FTCA et de fuir la répression des camarades. Aujourd'hui, mon désir est de revenir à une forme de création qui ne soit pas tout à fait amateur dans le sens péjoratif du terme mais qui soit plus libre car l'amateurisme pour moi est synonyme de liberté d'autant plus que le cinéma trouve actuellement beaucoup de difficultés au niveau du financement ; le public se fait de moins en moins nombreux dans les salles et la Télévision achète rarement nos productions.


M.K. : A côté des courts métrages que vous avez réalisés, qu'avez–vous fait d'autres ? Parlez–nous de votre expérience à la télé ?

K.W.B. :
En fait, Un certain regard n'était pas mon premier film car avant j'ai fait De Carthage à Ouga, un documentaire de 20 minutes sur les JCC 1990. Je suis très reconnaissant à Abdelatif Ben Ammar car sans lui je n'aurais peut–être jamais pu faire ce film. C'était un film du ministère produit par Ben Ammar qui a misé sur moi et m'a farouchement défendu. Par la suite, cette collaboration a continué et nous avons travaillé énormément ensemble à une époque où j'avais beaucoup de mal à me trouver une place dans le cinéma. J'étais son assistant et son bras droit.


M.K. : Donc ce documentaire était votre première expérience professionnelle ?

K.W.B. :
Absolument. Entre–temps il y avait la guerre du Golf en 1991 et c'était la période des vaches maigres. J'ai passé à la télé où j'ai fait de la régie sur le feuilleton EDDOUAR de Abdelkader Jerbi. Ensuite, Abdelatif Ben Ammar a crée Ben Duran que j'ai intégrée comme réalisateur attitré et directeur de production. J'ai réalisé une quinzaine de courts métrages (films promotionnels, spots publicitaires). J'ai assuré aussi la direction de production de la série FAOUANISS avec Aïda Boubaker. En 1995, j'ai crée ma propre boîte de production.


A.S : Avez–vous eu l'occasion de travailler sur des productions étrangères ?

K.W.B. : Mon expérience avec le cinéma étranger a débuté bien avant. Vers la fin des années 80. J'ai travaillé sur des films de Franco Rossi et de Verneuil. Avec Ben Duran nous avons fait plutôt les clips (Cheb Khaled et Amina Annabi), mais surtout des productions tunisiennes. A partir de 1995, je suis devenu free lance si je peux dire. C'est avec Ben Duran que je devais en principe réaliser mon deuxième court de fiction L'enfant qui voulait voir la mer. Mais quand j'ai crée ma propre boîte de production, Ben Ammar m'a amicalement légué le film pour que je puisse le produire moi–même. Ensuite j'ai produit Saveurs et lumières, réalisé par mon ami Arbi Ben Ali. Parallèlement, j'ai continué à travailler avec Ben Duran et CTV sur des pubs, des productions étrangères telles que Star Wars et In desert and widerness un film polonais. En fait, en Tunisie, quand on est réalisateur, on ne peut pas vivre de son travail. Un machiniste gagne facilement mieux sa vie qu'un réalisateur. Il peut travailler sur deux, trois voire quatre longs métrages par an tandis qu'un réalisateur, s'il peut faire un long métrage par an, il est alors "fils du bey".


M.K. : Votre court métrage Un certain regard dégage une certaine maîtrise du rythme surtout au niveau du montage et des mouvements de la caméra ce qui laisse prévoir en vous un cinéaste de l'action. Qu'en pensez–vous ?

K.W.B. :
L'action et le rythme font partie du dispositif du cinéma. Mais je crois que mes autres films sont différents. Toutefois, j'avoue que le long métrage que je prépare ressemblera beaucoup à Un certain regard qui a été peut–être un peu "clipé" (à la manière du vidéo–clip) par rapport à l'époque. Maintenant, je pousse un peu plus loin parce que nous avons un public dans sa majorité composé de jeunes et pour les surprendre et les étonner, il faut accorder une bonne place à l'action au cinéma tout court, pour les interpeller.


M.K. : Comment vous est venue l'idée de faire un documentaire sur les peintres italiens ?

K .W.B :
C'était à l'occasion d'une exposition sur les peintres italiens de Tunis. Je voulais montrer combien la Tunisie pouvait être une terre d'accueil et un pays de tolérance et que quelque part on a raté certains rendez–vous avec l'Histoire. Là aussi je voulais porter un regard sur une partie de notre Histoire, un petit éclairage qui servira peut–être à rappeler aux gens ce que nous étions et surtout sur ce que nous aurions pu être.


M.K. : On a souvent tendance à définir le cinéma tunisien comme un "cinéma d'auteur". Comment vous vous situez par rapport à cette définition ?

K.W.B. :
A mon avis, on ne peut pas encore parler d'un "cinéma tunisien" car en Tunisie il existe autant de cinémas que de cinéastes. Je trouve que nos cinéastes ne se ressemblent pas et c'est peut–être la richesse du cinéma tunisien mais aussi sa pauvreté !? Nous manquons de paternité. On se cherche encore.


M.K. : Après tant d'attente, voilà que s'offre à vous l'occasion de réaliser votre premier long métrage. Peut–on parler d'injustice (comme disait Maurice Pialat) en pensant aux films que vous auriez pu faire en vingt ans de carrière ?

K.W.B. :
Non. Je ne me considère ni victime ni martyr. Bien au contraire, donner 400 000 dinars à un citoyen pour faire un film est à la fois un luxe et une chance inouïe. De ce point de vue je ne suis pas ingrat. Je suis du moins reconnaissant à la législation tunisienne qui nous permet cela et je me sens un peu redevable aux contribuables. En fait, je n'ai présenté mon projet de long métrage que l'année dernière. Je ne l'ai jamais fait avant parce que j'estimais que je devais faire mes preuves. Je pense qu'aujourd'hui je peux dire que je suis arrivé à cette maturité qui me permet d'affronter une telle expérience quoique bien sûr avec la même peur et la même anxiété parce que la responsabilité est trop lourde. Le court métrage est un plaisir et la pression n'est pas aussi forte que pour un long métrage. J'ai 400 000 Dinars du ministère et 100 000 Dinars de la Télévision, mais il faut encore que je trouve le reste du budget (50%) dans un pays où les structures de production font encore défaut. Je produis mes propres films non pas par vocation mais plutôt par nécessité car je me définis d'abord comme réalisateur et non comme producteur, même s'il m'est arrivé de produire le film de mon ami Arbi Ben Ali. Je suis pour un cinéma de cœur et non de profession.


M.K. : Vous avez évoqué la situation hélas peu heureuse du cinéma tunisien ; dans ce contexte, vous arrive–t– il parfois de vous dire pourquoi je fais des films et pour qui ?

K.W.B. :
Effectivement. J'ai réalisé environ 40 heures de productions audiovisuelles. En terme de quantité, je me définis plus comme vidéaste que cinéaste. Mon travail à la télévision s'inscrit dans une orientation précise. Je me suis dit que peut–être je pourrais apporter un témoignage sur une période historique bien déterminée. Je vais porter un regard et un témoignage sur mon époque. Je fais une sorte d'œuvre de mémoire. Je travaille sur l'Histoire.


M.K. : Souvent en Tunisie quand on évoque le passage d'un cinéaste à la télé, on a tendance à parler de concessions du moins sur le plan artistique. Avez–vous fait ce genre de concession ?

K.W.B. :
Je n'en ai pas l'impression quoique je me sentais déjà un peu moins libre. Certainement il y a des thèmes, des situations, et des plans qu'on ne peut pas faire à la télé pour des raisons que tout le monde connaît. Le cinéma offre beaucoup plus de liberté. J'essaie de me positionner au milieu. Nous n'avons pas la télévision que nous méritons et nous n'avons pas non plus le cinéma que nous souhaitons. La fille du kiosque était un peu ça : faire la télévision avec les intentions du cinéma et faire le cinéma avec les moyens de la télévision. Toutefois, je trouve qu'on n'accorde pas une grande importance au documentaire (et c'est quand même aberrant à mon sens) que je trouve fondamental voire vital pour notre mémoire et pour les nouvelles générations. Nous avons besoin d'un regard porté sur nous mêmes et sur notre histoire.


M.K. : Quels enseignements avez–vous tirés de l'expérience du téléfilm La fille du kiosque ?

K.W.B. :
Cette expérience pour moi est comme un baptême. Je pense que venant de nulle part, sans formation ni légitimité, j'avais une peur bleue car un téléfilm est en fait un long métrage de fiction. C'est rare qu'un scénariste producteur accepte de confier la réalisation à un cinéaste qui est encore à sa première expérience. Pratiquement à dix ans d'intervalle Nouredine Ouerghi a fait ce que Abdelatif Ben Ammar a fait avec moi pour le documentaire De Carthage à Ouga. Il m'a défendu et soutenu sans réserve. Nouredine et moi étions aussi des amis et je crois que c'est cette confiance mutuelle qui nous a permis de travailler ensemble puisque Nouredine Ouerghi a accepté que j'intervienne sur son scénario. Il y a eu une véritable collaboration exactement comme avec Ben Ammar. Indépendamment de ses conséquences, cette expérience m'a libéré. J'ai fait un long métrage dans les temps et avec la technicité qu'il fallait et je pense que quelque part j'ai tiré un grand bénéfice. C'était un exercice qui me préparait au long métrage de cinéma.


M.K. : Mais c'était aussi l'occasion d'embrasser un public plus large ?

K.W.B. :
C'était ça le pari peut–être : comment toucher un public gagné d'office par des produits médiocres. Il y a une sorte de maldonne entre les créateurs qui viennent du cinéma et le public de la Télé et c'est aussi parce que nous ne produisons pas assez. Je n'avais ni l'expérience ni les instruments qu'il fallait. A mon avis la Tunisie est une mosaïque et je pense que la Télévision doit le montrer car notre public est intelligent. Encore faut–l'habituer à voir des œuvres différentes. Mon téléfilm je l'ai fait avec les moyens du cinéma. J'ai fait sortir ma frustration de cinéaste. La prochaine fois je serai plus attentif à cet aspect.


M.K. : Et le téléfilm ?

K.W.B. :
Si la télé le souhaite. Mais je préfère qu'on me propose un scénario car je respecte le travail du scénariste. J'écris des films qui me sont personnels mais j'aimerais bien qu'on me produise et qu'on me propose des scénarios.


M.K. : Que pensez – vous de l'autorisation des chaînes privées de télévision ?

K.W.B. :
Je demeure optimiste mais j'aimerais bien qu'elles ne ressembleront pas à la radio "Mosaïque" qui est une fausse solution à un véritable problème. Notre société est suffisamment mûre pour pouvoir se prendre en charge politiquement, économiquement et artistiquement. Le dernier programme de TV5 sur la Tunisie (13 et 14 Mars 2004) composé essentiellement de productions tunisiennes, a montré que nous sommes capables de produire des choses intéressantes. Nous méritons un peu mieux de la part de notre Télévision. Certes ces nouvelles chaînes apporteront du sang nouveau mais j'espère qu'il soit régénérateur. La société tunisienne doit faire confiance à ses artistes et ses intellectuels et leur donner le temps et les moyens de jouer leur rôle.

Propos recueillis par Mahrez Karoui


Filmographie :


- De Carthage à Ouga, 1990, documentaire, court métrage


- Un certain regard, 1992 , fiction, court métrage


- L'enfant qui voulait voir la mer, fiction, court métrage


- Les rescapés de la dérive, documentaire, court métrage


- La fille du Kiosque, téléfilm, 90 min, fiction


- Presque un rêve, 2003, fiction, 15 min


- Par delà les rivières, fiction, long métrage (sortie prévue fin 2005)


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