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Tata, Mariam, Abir, Donia et les autres
El banat dol (Ces filles-là), de Tahani RACHED (Egypte)
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 14/07/2006

Présenté hors en sélection officielle hors compétition à Cannes 2006, El banat dol est un documentaire de 68 minutes qui nous plonge dans l'univers d'adolescentes qui vivent dans les rues du Caire.

Documentariste engagée, grande amie de la Tunisie, proche de la FTCA (elle était membre l'année dernière du jury du FIFAK), Tahani RACHED s'attaque à la question de la marginalité sociale, économique, sexuelle.

Tata, Mariam, Abir, Réda et les autres sont doublement marginales, exclues socialement vivant dans la rue El Orabi du Caire ; femmes dans un univers d'hommes fait de violence et d'oppression.

Elles sniffent de la colle, fument pour oublier rient pleurent, aiment, se rebellent, s'entraident devant l'adversité, enfantent, vivent tout simplement. Un quotidien très dur où il s'agit de lutter pour sa survie, de se prémunir contre les hommes , les enlèvements et les viols collectifs, contre les brimades de la police, la folie d'un père venu laver l'honneur de la famille bafoué par  sa fille tombée enceinte hors mariage.

Tata est le personnage le plus attachant, elle règne en maîtresse sur son troupeau, à la fois mère et sœur pour ses copines, elle est aussi père et grand frère face aux hommes, armée de son rasoir, teigneuse et bagarreuse mais aussi femme, fragile et amoureuse de Ragab emprisonné qui lui manque cruellement. Mariam aime aussi un homme qui a été gentil avec elle, l'a hébergée croyant dans un premier temps que c'était un garçon. La loi de la rue impose à ces femmes d'adopter des attitudes masculines pour survivre. Ceci n'enlève rien à leur féminité qui est saisie dans leurs rapports aux enfants dans ces moments où elles se font belles, papotent, confient leurs chagrins d'amour à la caméra. Le montage du film travaille d'une manière significative cette ambiguïté identitaire condition de survie pour ces adolescentes.

Et il y a Abla Hend, une femme extraordinaire qui s'est attachée à ces enfants à un moment de sa vie où elle pensait ne pas pouvoir enfanter, diplômée de tourisme, cette femme s'est rapprochée de ces enfants, par humanité comme elle dit. Volontaire et courageuse, adoré et respectée par cette petite communauté, ses visites sont autant de rayons de soleil pour ces filles qui n'ont peut être jamais connu l'amour maternel.

Hind parle mais écoute beaucoup, essaie de résoudre les différents, conseille et ne juge jamais, elle évolue dans ce no man's land avec une liberté qui en dit long sur son statut auprès de ces filles.

Mais tout n'est pas aussi sombre et cette marginalité est parfois volontaire et synonyme de liberté pour Rèda par exemple, rebelle à l'autorité paternelle, qui trouve dans la rue est dans son élément naturel. Le film est traversé de moments où ces filles chantent et  dansent sur le capot d'une voiture, accompagnées en cela par copains et copines sous les lumières de la ville les corps libres et déchaînés, débordants de vie.

Comment on tombe dans la marginalité ? Aucune explication n'est donnée et c'est tant mieux ; l'écueil du sociologisme est évité, la caméra est à l'écoute de ces filles pleines d'humanité, elle ne juge pas, toujours à la bonne distance très souvent en mouvement sans sensiblerie ni misérabilisme, attentive aux sourires et aux larmes, à la lumière et à l'obscurité.

La tentation aurait été grande de basculer dans le pamphlet politique qui aurait fait de ces filles un prétexte à un discours qui les dépasserait. L'impuissance des pouvoirs publics est évidemment en toile de fonds. L'État est absent , hors-champ, alors que la police constitue la seule manifestation concrète du pouvoir aux yeux de ces adolescentes.

El banat dol est de toute évidence l'aboutissement d'une expérience humaine d'une grande intensité, le dispositif est totalement adopté par les adolescentes et la caméra finit par se faire oublier. Il montre aussi des voies à explorer par le documentaire arabe dans son travail sur les marges très souvent ignorées de nos sociétés.

Ikbal ZALILA (Tunisie)

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