AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 939 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Pour la liberté de presse
Bab el Arch (Noce d'été), de Moktar LADJIMI (Tunisie / France)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 18/01/2006

Originaire d'un pays réputé pour sa capacité extraordinaire à museler la presse, le Tunisien Mokhtar Ladjimi, après des courts et des moyens métrages de fiction durant les années 80-90 (La Voyante, Balles de sang, Satellite 7, La Sentinelle, Chasseur) et des documentaires (La nuit du henné, L'Orient des cafés, Mille et une danses orientales, Le cinéma colonial) où il allie à la fois "une approche esthétique et le désir de fournir une information ethnographique et historique", a commis en 2004 Bab El Arch, traduit en français par Noce d'été.

Film abordant tout en finesse la question de la pratique du métier de journaliste par rapport à la liberté d'expression, il propose à la première personne la vision du réalisateur, et exprime ses préoccupations intimes.

Bouleversant les normes machistes qui confinent souvent la femme à un rôle inférieur par rapport à l'homme, et laissant par exemple l'initiative de l'expression sentimentale à ce dernier, Ladjimi met face à face une rédactrice en chef, Sara, et un simple reporter, Hamid. L'une est une femme libre parce que libérée, et l'autre un célibataire endurci. Est-ce à dire que la pratique du journalisme serait incompatible avec la vie de ménage ? Si à l'observation de la praxis quotidienne on peut répondre par l'affirmative à cette interrogation, relativement à la gent féminine, le réalisateur ne semble pas s'en éloigner non plus. Dans une autre optique. Et si telle ne semble pas être son intention, comment comprendre alors qu'il ait fait de Sara une impénitente séductrice, qu'il habille de rouge vif, couleur de l'amour ardent, dans une boîte de nuit, lieu de tous les vices potentiels ? N'est-ce pas pour exprimer le besoin de libération ? Si à l'opposé de cette femme qui boit et fume, il présente une autre, Rym, timide et réservée, soumise à ses parents et élevée pour le mariage, n'est-ce pas pour promouvoir, encore une fois, l'indépendance d'esprit qui doit caractériser tout être humain, notamment ceux qui se destinent au métier de journaliste, métier de liberté par excellence, et qui doivent de ce fait demeurer eux-mêmes, en faisant litière du qu'en dira-t-on, au lieu de se compromettre tout en compromettant leur intégrité corporelle dans des actes hypocrites comme Rym ? C'est ce que ne comprennent pas les parents de Hamid, encore moins la police, qui s'offusque du fait qu'à 30 ans passés, il ne soit pas encore marié. "Qu'est-ce que tu attends ?", lui demande un agent. Traqué par sa famille qui veut le marier à tout prix, la solution pour Hamid résiderait-elle dans la fuite ? A partir d'ici, Mokhtar Ladjimi dresse le portrait de ce petit bourgeois tiraillé entre l'appel de la tradition et son désir de ne vouloir ressembler à personne, et de s'assumer par son travail. Il ne se gêne pas de venir peser sur les mœurs, les mentalités, les préjugés qu'il remet en cause.

Techniquement bien réalisé, ce film qui s'ouvre sur de longs travellings d'immeubles surmontés d'antennes paraboliques géantes, fait croire d'emblée à un besoin d'ouverture sur le monde extérieur, à la liberté de s'informer. Mais, leur démantèlement transformé en vol, business illicite "d'un gros poisson", et l'article y afférent qui est censuré par la rédaction ne viennent-ils pas rappeler la triste réalité ? "Il faut accrocher le public sans heurter les autorités".

Par un style allégorique où "tout se répare… apporte ta tête, on la répare", le réalisateur nous suggère que le téléspectateur n'est pas libre de voir ce qu'il veut. Ni même le supporter de football d'être contre l'équipe de football officielle, "l'État dans l'État". Dans ce contexte, comment exercer ce métier, sinon clandestinement ? Cette option ne paraît-elle pas envisageable, lorsque Ladjimi vient nous proposer l'image de Hamid, les bras en croix, jouant les funambules sur rails comme solution de sagesse ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

Bab el Arch (Noce d'été) - réalisé par Moktar Ladjimi - Tunisie / France - 2004 - 1h34 min - Fiction -

Films liés
Artistes liés