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entretien avec FANTA REGINA NACRO
Cinéma d'urgence.
critique
rédigé par Hassen Euchi
publié le 25/01/2006

La nuit de la vérité est son premier long métrage. Réalisé en 2004, il a participé aux J.C.C de la même année, dans le cadre de la compétition officielle.


Fanta Regina NACRO a débuté sa carrière des 1992 avec des courts métrages, notamment :


Un certain matin, Fiction, 15 min

Puk Nini : Fiction, 32 min

Le truc de Konaté : Fiction, 33 min

Bintou, Fiction, 31 min

Living positively : Documentaire, 45 min


Primé dans plusieurs Festivals internationaux, LA NUIT DE LA VÉRITE est une fiction, très poignante, sur un des drames qui ont secoué l'Afrique : les guerres éthiques, etc…


Madame Nacro, que représentent pour vous les JCC ?


FRN :
Pour moi les J.C.C est un rendez-vous très important. C'est un des rares moments où on peut voir le maximum des réalisateurs du continent et le meilleur des films africains.
J'aime beaucoup les J.C.C, car ça me donne une dimension plus importante, met à ma disposition des films africains et arabes que je ne peux voir autrement, et me permet de voir une panoplie de positions et de regards cinématographiques qui nourrissent le mien.


Comment êtes-vous venue au cinéma?


FRN :
C'était un fait du hasard : quand j'étais toute petite, j'aimais bien raconter des histoires, et quand j'étais adolescente je rêvais d'être sage femme. Mais voilà, c'est l'amour du cinéma qui l'a emporté (puis j'ai choisi de faire l'école du cinéma au Burkina, puisque ça me permettait de raconter des histoires).


Où vous situez-vous par rapport à vos collègues Burkinabés ?


F.R.N:
J'ai de bonnes relations avec mes collègues. Je n'hésite pas, dés que je peux, à avoir des relations qui nourrissent mon imaginaire.
Vous savez, même si faire du cinéma est un travail collectif, la création reste toujours individuelle.


Pouvez- vous nous parler de l'état actuel du cinéma burkinabé ?


F.R.N :
Il commence à bouger. Le plus important, c'est qu'il y a des écoles de cinéma qui sont en train de se mettre en place. Mais ce qui est important aussi, c'est le développement des ciné-clubs, comme c'est le cas chez vous en Tunisie.
Par contre, et malheureusement, on a de moins en moins de salles, et aussi d'argent pour investir dans la production. C'est le vrai problème qui se pose maintenant.


Est ce que les films burkinabés et Africains en général ont suffisamment de chance de rencontrer le public ?


F.R.N :
Non, malheureusement, on n'a pas beaucoup de salles, il faut savoir que 90% de nos populations n'ont pas accès au cinéma, puisqu'ils vivent a la compagne, et il n'y a que 10% qui vivent dans les villes, et chaque fois qu'il y a un film africain qui passe, les gens vont voir parce qu'ils ont besoin des films et des sujets qui les concernent.
Malheureusement, on n'a pas une production assez importante et régulière.


Revenons à votre film La nuit de la vérité ; c'est votre premier long métrage. Est ce que c'est le couronnement de tout un processus qui a débuté par les courts métrages, ou c'était une nécessité ?


FRN :
Quand on est cinéaste, on rêve toujours de faire un long métrage. Pendant que je faisais mes courts-métrages, il y a eu la guerre en Yougoslavie, au Rwanda, Zaïre, Congo et plusieurs autres pays du continent africain. Donc, je commençais à m'interroger sur le pourquoi de cette atrocité et pourquoi on est arrivé à de tels actes si cruels et si insensés. Même si l'humanité a connu la guerre mondiale, ceci ne peut être comparé à ce qui se passe aujourd'hui, d'où la nécessite de faire un film sur les guerres ethniques.


Dans votre film, pourquoi toute cette insistance sur l'idée de la vengeance?


FRN :
Non, c'est une erreur. On voulait focaliser notre intérêt sur les génocides et les atrocités sur le continent africain.


Quand la guerre a éclaté en Yougoslavie, les gens disaient: "Ah ! C'est bizarre, les atrocités et les guerres ethniques ne sont pas une spécificité africaine".
En fait, je voulais une réflexion sur la condition humaine, car à mon avis, qu'on soit blanc ou noir, on a, tous, les mêmes émotions, les mêmes souffrances en tant qu'être humain ; c'est le cas de la femme du président qui a perdu son fils d'une façon très cruelle.


Évidemment ! Pourquoi cette abondance de séquences, de plans qui montrent les cadavres, les mutilés, le sang ? Y a-t-il dans tout ça quelque chose de très personnel qui vous troublait, ou qui vous a marquée ?


F.R.N :
Vous savez, la fin du film, c'est l'illustration parfaite de la mort de mon oncle qui a été brûlé vif. C'est à sa mémoire que j'ai fait ce film.
Parfois les gens me disaient "quand même, c'est un peu trop", de toute façon, c'était pour moi un moyen de montrer une part de la réalité, d'interpeller les gens, de comprendre. C'est très simple de tirer un coup de feu, de tuer, d'égorger peut être - mais attacher quelqu'un comme un mouton, et le faire rôtir comme si c'était un animal, et encore uniquement pour le plaisir, je trouve ça très atroce. Ce qui est important pour moi. C'est interpeller les gens et leur dire "que pouvons-nous faire devant de telles cruautés ?"


Gaston Kaboré disait en 1995 "le cinéma africain est un cinéma d'urgence, qui ne trouve sa véritable légitimité que dans une explication profonde de la réalité d'aujourd'hui plutôt que dans une plus-value artistique. La réalité est le cœur et le corps des films".
Pour vous, Mme Nacro, est ce que faire un film reste toujours dans l'urgence de l'immédiat ou faut-il repenser cette réalité par l'intermédiaire de l'art ?


FRN :
De toute façon, pour moi, l'un n'empêche pas l'autre ; travailler dans l'urgence ne veut pas dire ne pas donner une dimension artistique à l'œuvre.
Le langage cinématographique est un langage artistique et c'est par ce langage qu'on peut traiter nos sujets. Il faudrait que l'un accompagne l'autre et jamais l'un sans l'autre.


A la fin de votre film, dans une classe et pendant une séance de dictée, la maîtresse disait : "La vérité, je vous le dis, je ne vous oublie pas, votre souffrance est la mienne, car la même mémoire nous habite, et nous appartenons tous au grand jour".
Quelle vérité cherchez-vous à dévoiler à travers votre film?


FRN :
L'ultime vérité qui appartient à chaque esprit, la vérité est que je ne suis pas une représentation ; que je suis ce que je suis.


Vous avez sûrement entendu parler de la création de la fédération africaine de la critique cinématographique (FACC) en marge des J.C.C. Qu'attendez-vous de cette fédération quant à la promotion de la critique et la visibilité des films africains ?


FRN :
J'attends d'abord qu'elle accompagne nos films, nos projets, qu'elle fasse un travail honnête, pas un travail de complaisance, qu'elle ait de l'éthique, car souvent, malheureusement, dans notre continent, le critique, au lieu de travailler sur les films, dénigrent les autres. Une charte basée sur l'éthique n'empêche pas l'honnêteté. J'attends surtout une plateforme qui me permet d'évoluer dans mon travail et ce sont les critiques qui nous aident toujours à progresser dans nos démarches.

Ichi HSAN JCC (Tunisie)

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