AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 004 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
La bête et l'ange
TSOTSI (Tsotsi) , de Gavin HOOD
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 11/05/2006

TSOTSI (Tsotsi) - réalisé par / directed by Gavin HOOD - Afrique du Sud / Royaume Uni - 2004 - 1h20 - couleur - 35 mm - Fiction - Drame -

"Tu connais des bandits, toi, qui finissent par être humains comme ça ?". Réagissant à chaud au sortir de la projection de Tsotsi, film d'ouverture d'Afrika Film Festival de Leuven (Belgique), édition 2006, l'un des nombreux spectateurs de cette soirée inaugurale relevait ainsi, par son questionnement, toute l'ambiguïté de la dernière réalisation du Sud-Africain Gavin Hood.



Adaptation du roman éponyme d'Athol Fugard publié dans les années 80, Tsotsi est un conte moderne retraçant une semaine de la vie d'un jeune gangster impitoyable de 19 ans, mu simplement par son instinct de survie.



Comme les personnages du romancier et dramaturge irlando-sud-africain Fugard, ceux de Gavin Hood, par leur jeu, leur être et leur paraître dénoncent les absurdités et les souffrances engendrées par la politique d'apartheid. Pauvres et vivant en marge de la société "civilisée", ils doivent cependant, eux aussi, exister. Présentés de temps en temps sous une lumière blafarde, mais régulièrement de nuit (l'essentiel du film s'y déroule), ils sont, à l'image du protagoniste, "isolés, sans futur et à l'identité incertaine". Tsotsi n'a-t-il pas oublié jusqu'à son nom, ne répondant plus qu'à un vulgaire vocable qui ne signifie rien d'autre que voyou, gangster, bandit ? Gavin Hood, comme d'ailleurs celui qui l'a inspiré, ne prolonge-t-il pas finalement cette difficulté à se situer en difficulté existentielle ? D'où certainement l'agressivité extrême du héros, surtout lorsque Boston, un instituteur raté, lui demande son identité, et que cet état de chose provoque en lui une très forte pression psychologique évacuée par une violence insoutenable et heureusement brève. Après cet acte, Tsotsi avance dans la nuit comme un dé qu'on roule, et qui doit bien s'arrêter sur un numéro, au hasard. Malheureusement pour une mère d'enfant qui, sous une pluie drue, n'arrive pas à ouvrir le portail de sa villa cossue fonctionnant pourtant à l'électronique - ambiguïté ! - elle sera la victime imprévue de cet élément déclencheur dont se servira Hood pour construire son récit.



Par une mise en scène très simple, le réalisateur nous sert une oeuvre très psychologique dans laquelle il campe magnifiquement ses personnages au travers de gros-plans durant la séquence d'exposition, c'est-à-dire au début du film. On peut par exemple lire la peur inspirée par les gangsters lors du meurtre dans l'autobus, sans que la victime, terrorisée, pousse le moindre cri. On vit une scène identique lors de l'enlèvement (imprévu) du bébé. Crime abominable s'il en est, mais qui se révélera être le chemin de Damas d'un être sans état d'âme. Quelle ambiguïté ! Mais, en ce monde, la possibilité de rachat vient juste une fois.



Une fois la puissante BMW de l'infortunée Dame arrachée, Tsotsi est surpris par les pleurs d'un bébé couché sur la banquette arrière. Déstabilisé, il perd le contrôle d'un véhicule qu'il maîtrise d'ailleurs approximativement. Celui-ci percute un arbre et s'immobilise. Le bandit s'éloigne, mais est rattrapé par les cris du bébé. Il hésite, puis revient sur ses pas. A son seul regard, le bébé se tait. On eût dit que lui aussi a été terrorisé. Le fait que Tsotsi revienne sur ses pas pour s'occuper du bébé (comme il l'a aussi fait avec le vieux mendiant paralytique) ne signifie-t-il pas que même les bandits ont un code d'honneur ? Le réalisateur ne voudrait-il pas par-là nous montrer qu'ils sont bête et ange ? Et que le malheur, pire, l'instinct qui les guide par moments fait qu'en voulant faire l'ange, ils fassent la bête ? Au contact du poupon, le visage fermé du voyou ne s'illumine-t-il pas pour laisser transparaître l'émotion intérieure qui l'étreint ? Tsotsi se reconnaîtrait-il à cet enfant ? "Il est à moi", ne cesse-t-il de répéter à Miriam qui, progressivement, prend goût à l'allaiter.



Et c'est ici qu'il faut relever, pour le souligner, que le thème de l'enfant est un thème récurrent dans la filmographie de Gavin Hood. Dans des registres différents, certes, mais on le retrouve dans des œuvres antérieures : dans A Reasonable Man ("Un Homme Raisonnable", 1999) où un bébé de 1 an est tué par erreur ; ou dans W Pustyni i w puszczy ("In Desert and Wilderness", 2001), où des adolescents de 15 et 9 ans sont enlevés par des rebelles. Tsotsi, au-delà du portrait graveleux d'un gangster, n'apparaît-il pas en fin de compte comme la quête de cette mère que ce dernier n'a pas vraiment eue?

Pendant 94mn, Gavin Hood réussit à créer et à entretenir le suspense. Pour ce faire, il emprunte à plusieurs genres cinématographiques (le thriller, le film noir, le drame policier, et le film de suspense proprement dit) dont on retrouve tous les ingrédients dans une séquence interminablement filmée, qui utilise un montage parallèle très efficace alternant des plans brefs de policiers mettant, ici, en joue, un malfrat, là, ce malfrat serrant un bébé contre sa poitrine, et plus loin, un père apeuré qui craint une bavure. L'émotion du spectateur, tétanisé, est alors à son comble.



Soutenu par la musique "kwaito" sud-africaine (équivalent du hip-hop américain), qui rythme vigoureusement le film, Tsotsi est servi par un casting de rêve. Presley Chweneyagae y interprète avec bonheur - au point de susciter la sympathie - le rôle de Tsotsi, et Terry Pheto celui de Miriam dans lequel elle est "si criante de vérité qu'on la croirait arrachée au réel". Ce film vient démontrer, s'il en était encore besoin, l'importance du vivier d'acteurs sud-africains. Et ce n'est pas un hasard, s'il a déjà reçu de multiples récompenses.

par Jean-Marie MOLLO OLINGA (Cameroun)

Films liés
Artistes liés