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Dunia, de Jocelyne Saab (France/Liban)
L'envolée mystique
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 19/09/2006
Meriam Azizi
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Dunia
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Jocelyn Saab
Jocelyn Saab
Raja Amari
Raja Amari

Jocelyne Saab, réalisatrice et journaliste française d'origine libanaise, pour qui l'on recense depuis 1975 une vingtaine de documentaires, braque encore une fois l'œil de sa caméra sur l'actualité du monde arabe. Après une vie suspendue (1984) et L'adolescente sucre d'amour (1985). Dunia, entièrement tourné au Caire, vient confirmer le pouvoir du mode fictionnel à témoigner de la subsistance de certains tabous. Une audacieuse initiative qui n'est pas sans avoir provoqué un tollé en Egypte suite auquel le film se voit toujours refuser la licence qui permettra sa projection dans les salles égyptiennes.

Dunia, personnage éponyme du film apprend lors d'un concours de danse qu'elle est étrangère à son corps, à ses appels, à ses désirs. La rencontre avec le Dr. Béchir, défenseur des belles lettres et éminent penseur, lui ouvre l'accès à un monde empreint de poésie soufie, d'amour, de sensualité. Menue des préceptes que son maître lui a inculqués, la jeune cairote se détermine à briser la boule en cristal où elle demeurait prisonnière. Quand bien même elle subirait le regard odieux et répresseur de la société, Dunia parvient avec le langage de la danse à se réconcilier avec son corps.

La focalisation sur l'élément féminin est repérée dès la première séquence du film. En plein centre du Caire, scène rarissime, une femme taxiste se préparant à démarrer sa journée, donne immédiatement la tonalité de ce qui suit. Cet exemple, hommage à la femme libre qui tient, malgré les injures heurtant au quotidien ses oreilles, à s'assumer en tant qu'être humain de "la gent" féminine, prend une valeur hautement symbolique aussitôt que Hanen Turk qui campe le rôle de Dunia fait sa première apparition. Si la première s'inscrit dans l'absolu, la deuxième représente l'humain constamment tiraillé entre deux mondes : Le terrestre et le céleste, l'individuel et le social. Autrement dit, on est en présence d'un dilemme : retrouver son unité ou fondre dans la foule et accepter de se dissoudre dans le troupeau. Cette réflexion semble constituer la charpente de la structure filmique même si d'autres thématiques non moins majeurs gravitent autour. Comment atteindre la quiétude ?

Le film met alors en marche tout un processus d'apprentissage, celui de l'auto-révélation et de l'élévation. Les adjuvants dans cette épreuve dont le concours de danse est le premier avatar, prennent chacun un rôle et une place bien hiérarchisée aux côtés du candidat. A la tête du groupe se tient le professeur de poésie arabe et fervent militant des Mille et nuits, texte attaqué et jugé profane par les puristes. Vient à la suite, un couple de femmes bien épanouies, excepté une "légère" différence : l'une est une intellectuelle confirmé, l'autre la woman taxi-driver, est plutôt populaire. Au sein de ce couple, Dunia retrouve son sourire et un climat de complicité où les secrets de femme sont savoureusement confessés. Sous la houlette de cette triade détentrice de la clé de la vie, la novice se ressource, apprend à éveiller ses sens en s'abreuvant au fleuve du plaisir et de l'extase tant spirituelle que charnelle.

Par ailleurs, le film dégage un certain mysticisme, voire même un soufisme illustré par les cours de danse orientale où Dunia se transforme en un derviche tourneur en quête d'osmose avec l'univers. Dans la danse, moyen thérapeutique par excellence, la jeune cairote trouve la voie de l'émancipation. Pour assouvir ce désir de liberté, elle pénètre dans le temple hermétiquement clos de la sensualité féminine où des Almées plantureuses effectuent dans un mouvement lascif et vertigineux une démonstration intime. On ne saurait occulter la part et le rôle éminent de la musique, qui tantôt accompagne la danse, tantôt illustre par des mélodies grisantes la religion de l'Amour professée par Ibn Arabi, sans oublier le prophète de l'amour spirituel Jalal Eddin elRoumi.

L'évocation du vestige culturel arabe n'exclut nullement la volonté de le rajeunir. Aussi Mohamed Munir, sur une diversité rythmique, donne sa voix mielleuse et pleine de vibrations à des paroles grosses de palpitations amoureuses. Une création bien réussie et indéniablement prometteuse est ce mélange musical qui ponctue le film. Des mélodies orientales euphoniquement fusionnées avec des influences occidentales telles que salsa, bossa nova et hip-hop. Au plaisir auditif, s'ajoute au bonheur des yeux, une image esthétiquement haute en couleurs. Le rouge couleur du désir intense y prédomine. La robe de Dunia qui prend le mouvement scintillant des flammes n'est pas sans rappeler au spectateur averti, les danseuses du Satin rouge de Raja Amari.

Autant le désir est latent, autant ses signifiants sont extrêmement patents. Tout suggère et dit ce sentiment interdit mais personne n'ose l'afficher. Les scènes qui mettent le plus en avant ce paradoxe sont au nombre de deux. La plus marquante est celle où Dunia, d'un côté, refuse de goûter au plaisir charnel avec l'homme qu'elle aime, et de l'autre, elle l'envoûte par des mouvements de danse érotiquement très connotés. Depuis l'exemple de Dunia, à qui son mari reproche la froideur jusqu'à la scène de la capture de la petite fille par sa grand-mère et une voisine, la question de l'excision, bien qu'elle ait offensé les milieux puritains et qu'elle semble de par la gravité du sujet, tourner l'attention du spectateur vers une réalité sociale alarmante, n'est que secondaire. Elle est au service d'un thème plus global : le désir assassiné.

Le dernier plan du film prouve l'évolution du personnage de l'insensibilité à l'égard de ce sentiment à la prise de conscience de la force vitale qu'il procure à l'être humain. L'image du bout de tissu rouge que Dunia portait solidement noué à son poignet, envolé dans le ciel, est dans ce sens significative du thème de la libération mais encore de la renaissance du corps et de l'esprit.

Jocelyne Saab semble vouloir, le processus de l'identification au personnage de Dunia aidant, conduire le spectateur à poser un nouveau regard sur la culture arabe, à s'apercevoir de son discours apologétique qui constamment rehausse les valeurs féminines. En somme, le film offre une invitation à rattraper ce que le monde arabe a perdu en matière de références littéraires, artistiques et spirituelles, à reconsidérer cet héritage et plus que tout à le recontextualiser.

Meriam Azizi

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