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À la recherche de la vérité
All about Darfur (Tout sur le Darfour), de Taghred Elsanhouri
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 26/09/2006

Née au nord du Soudan dans la province de Dongola, Taghred Elsanhouri vit en Grande Bretagne depuis 1979. Venant de la sociologie, elle est entrée au cinéma par et avec un long métrage, son tout premier film, All about Darfur (Tout sur le Darfour). Mais, contrairement à ce que peut laisser suggérer le titre, la réalisatrice déroule, tout au long des 81 mn de son documentaire, des portraits intimes de victimes de l'un des conflits les plus meurtriers d'Afrique, et donne la parole aussi bien aux politiques qu'à l'homme de la rue, aux enseignants d'université et aux déplacés.
Région potentiellement riche en gisements d'uranium et des hydrocarbures, le Darfour suscite diverses convoitises. Habité par une population musulmane d'origine arabe et africaine, le Darfour fut annexé au Soudan après l'assassinat en 1916 de son sultan par des agents anglais. À l'époque, s'il n'y a pas de conflit racial proprement dit, il y a régulièrement des conflits entre Arabes nomades éleveurs, et Africains sédentaires agriculteurs. Qui se disputent les pâturages et les terres cultivables. Mais, toutes ces bisbilles se règlent à l'amiable. D'ailleurs, des liens familiaux se tissent entre eux par le biais du mariage, si bien que l'on retrouve Arabes et Africains dans une même famille regroupant à la fois nomades et sédentaires.
Cependant, l'ingérence des autorités et des marchands de canons est venue "bouleverser les traditions tribales de fraternité et de règlement à l'amiable des conflits… Maintenant, c'est à coups de kalachnikov que les tribus règlent leurs différends". Les ambitions politiques des uns et la soif du gain des autres ont fait basculer le Darfour dans une guerre civile alimentée par la division entre musulmans arabes et musulmans africains, entre musulmans blancs et musulmans noirs, "pour accréditer l'idée que les Arabes tuent les Africains". Au final, plus de trois cent mille morts et deux millions de déplacés. Taghred Elsanhouri veut comprendre, de l'intérieur, l'origine et les différentes articulations de ce conflit, et tente d'en dégager les solutions. A-t-elle le courage nécessaire pour affronter une zone de conflit ?
All about Darfur répond sans ambages à cette question. La réalisatrice a effectué son reportage hors du Darfour. A Khartoum surtout, mais aussi à Elfasher et à Abo Shoak Camp. Auprès des déplacés. Dès lors, elle ne pouvait nous en donner qu'une parcelle de vérité. A travers sa caméra numérique fixe, Elsanhouri se positionne dans Tout sur le Darfour face au spectateur, pour l'amener à en suivre le processus de réalisation, c'est-à-dire les obstacles rencontrés et les défis relevés. Elle réussit ainsi à donner sa vision, une vision empreinte d'émotion, et à exprimer son point de vue sur les conséquences de ce conflit. Néanmoins, mieux que ce point de vue, la caméra de Taghred Elsanhouri se met à la quête des causes de ce conflit présenté par la presse occidentale comme un conflit racial opposant Arabes et Africains. Simpliste ! Il s'agit donc pour elle d'une mission réparatrice.
En se plaçant devant et derrière la caméra, en donnant la parole au peuple soudanais, la réalisatrice lui sert comme une plateforme endogène, une sorte de tribune pour dire ce qu'il pense et comment il vit cette guerre. Et pour accompagner ces propos, Elsanhouri travaille non pas en trois temps comme le font la plupart des cinéastes, mais en deux temps. Elle utilise quelques plans moyens, et une multitude de plans serrés. Le film devient par conséquent intimiste, avec une succession de gros plans de visages meurtris par la peine, la douleur et la tristesse, à l'exemple de Teresa. Celle-ci parvient à émouvoir le spectateur avec ses larmes, tant elle symbolise le drame qui se déroule chaque jour dans cette partie du continent noir. Dans la foulée, on s'interroge sur la sobriété de l'usage général des mouvements d'appareil. Tout sur le Darfour en tant que sujet grave, ne déploie pas toute la panoplie technique qui aurait dû l'accompagner. Ne serait-il pas qu'un film pour la télévision ? Qu'à cela ne tienne, le film se focalise sur le propos des intervenants, au détriment de l'image. On y parle donc beaucoup. Et il apparaît que le conflit de cette région aride de l'ouest du Soudan a des sources multiples. Ici viennent se heurter à la fois des intérêts économiques, le contrôle ou la conquête du pouvoir entre Janjaweed armés par le pouvoir en place et les rebelles, le problème des terres, la prééminence de l'identité culturelle par rapport à l'intégration nationale, la question ethnique et l'absence de sentiment national, entre autres. Comment peut-on alors s'en sortir ? Telle est l'autre préoccupation de la réalisatrice.
Des voies sont explorées. Mais s'achèvent toutes en cul de sac. La communauté internationale traîne les pieds, et les Américains ne font pas l'unanimité, du fait de leurs antécédents. "Donnez-moi un seul exemple au monde où l'intervention a été salutaire", demande un déplacé, avant de préconiser : "Nous devons résoudre le problème du Darfour nous-mêmes". Comment ? Un infime espoir demeure tout de même, celui qui ramènera un jour les belligérants à la raison, celui des mariages entre communautés - "We are mixed race" - "Nous sommes un mélange de races". N'a-t-on pas vu qu'un Jaali peut être proche aujourd'hui d'un Dongola ? Et puis, il y a aussi la possibilité de s'inspirer de l'exemple suisse, une nation construite sur des micro-nationalités.
Sans être un chef-d'œuvre, le film de Taghred Elsanhouri est parlant à plus d'un titre, dont le moindre n'est pas de nous prévenir de tous les Darfour latents disséminés ici et là en Afrique. C'est certainement la raison pour laquelle il lui a été attribué le prix Chairperson's au Festival international du film de Zanzibar en juillet 2005.

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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