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Interview de Gérard ESSOMBA.
"Mon âge me donne le droit de dénoncer certains abus"
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 17/05/2006

Les comédiens africains ont été à l'honneur au Festival panafrichain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) 2003. Au travers du thème "Le comédien dans la création et la promotion du film africain", cette 18è édition leur a été consacrée. Ils y ont été invités en grand nombre. Pour faire le point de cette fête du 7è art, qui plus que le Camerounais Gérard Essomba, l'un des comédiens africains les plus anciens et les plus célèbres, était le mieux indiqué ? Nous l'avons rencontré dans les salons de l'hôtel Indépendance de Ouagadougou. Il s'est prêté volontiers à nos questions. Le comédien est resté égal à l'homme : il n'a pas sa langue dans la poche, et son ego est toujours aussi haut placé. A vous d'en juger.

Le Fespaco a décidé de valoriser le comédien africain tout au long de cette 18è édition. Vous devez en être fier…

Les organisateurs du festival de Ouaga, Baba Hama qui en est le secrétaire général en tête, ont décidé de placer cette édition sur le comédien africain. Mais la question qui se pose est celle de savoir s'il existe vraiment des comédiens africains aujourd'hui. Et cette question-là se pose à messieurs les réalisateurs. Quand on leur donne de l'argent pour faire des films avec des acteurs, ils mettent une petite part de côté, ils vont chercher un compatriote, un petit "deuxième bureau", une cousine, et font leur petite merde dont ils savent très bien au départ qu'elle ne sera achetée nulle part.

N'est-ce pas dû au fait que les têtes d'affiche comme vous coûtent cher ?

Les têtes d'affiche sont des locomotives à travers ces personnes qu'on appelle stars du cinéma. Or aujourd'hui, que voit-on sur le continent africain ? Les seules stars sont celles qui jouent au football. Et ces jeunes-là teintent leurs cheveux. Il y en a qui portent même des perruques blondes. Cela veut dire que l'Africain a un problème d'image. Qui va donner cette image des acteurs sur les écrans, sinon nous ? Trois questions sous-tendent donc le Fespaco par rapport au comédien africain : d'où vient-il ? Qui est-il ? Où va-t-il ? Vous savez, il m'est arrivé une anecdote à Paris. Des Américains cherchaient des acteurs africains pour tourner Le devoir de violence. Ils m'ont demandé s'il en existait. Je leur ai dit qu'il était très difficile de répondre à cette question, parce qu'il y a des gens capables de dire : "On va prendre des footballeurs, ils sont plus connus que les acteurs du continent". Savez-vous quelle est l'étendue du fossé qui s'est creusé entre ces gens (les footballeurs - Ndlr) et nous ?

Ils se sont adressés à vous parce que vous êtes un acteur africain…

Oui, je suis un acteur africain, mais où m'ont-ils vu ? Nulle part. Ils sont venus chez moi parce que quelqu'un leur a dit qu'il y a un acteur qui habite là. Comment voulez-vous qu'il existe des acteurs s'ils ne tournent pas ? D'ailleurs, on se pose la question de savoir si les réalisateurs eux-mêmes existent. J'ai dit un jour à une chaîne allemande que le continent africain peut compter au trop une cinquantaine d'hommes et de femmes dignes du nom de réalisateur. Le reste, c'est des gens qui viennent se masturber. Et ils viennent avec plusieurs intentions : refaire une carrière politique à partir du cinéma ; refaire autre chose pour gagner de l'argent. De grâce, qu'ils ne viennent pas faire de la démagogie en nous disant qu'ils sont là pour faire la culture africaine.

Avec de tels propos, vous devez être redouté des réalisateurs…

Dans ce Fespaco, des bruits courent que je suis en train de démolir le cinéaste. Parce que je dis tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Mon âge et mon expérience me donnent quand même le droit aujourd'hui de dénoncer certains abus. Vous savez, quand vous faites un film et que vous dites à un comédien, je vous donne 1000 F par jour, c'est quoi 10FF ? Même pas 2 euros. C'est très inquiétant pour des gens qui parlent de culture, et qui ne la font pas.

Quel regard portez-vous sur le cinéma africain aujourd'hui ?

Concernant le cinéma africain, je ne peux pas dire que son bilan soit lourd, ni qu'il soit totalement léger. Ces dix dernières années, les Africains ont quand même fait des films ayant surpris non seulement l'Europe, mais aussi l'Amérique. Un film comme Pièces d'identité a fait le tour des universités américaines. Parce que le thème choisi est celui de la perte de l'identité des Africains à partir du moment où ils traversent la Méditerranée pour se rendre en Europe. C'est un film qui a très bien marché et qui m'a permis de gagner sept prix d'interprétation.



Vous avez un homme comme Henri Duparc qui a fait des films ayant retenu l'attention des Européens et des Japonais. Avec lui, j'ai fait Rue Princesse, qui m'a rapporté un prix. Il y a aussi des gens comme Souleymane Cissé qui a fait Yeelen. J'étais à côté de lui lorsqu'il avait été ovationné à Cannes, alors que Gérard Depardieu venait de se faire siffler avec Sous le soleil de satan. J'étais heureux et je me suis dit : c'est un cinéma qui décolle. Mais pourquoi ce cinéma ne décolle que dans les zones dites sahéliennes ?

Et quel est votre avis sur le cinéma camerounais ?

J'ai été invité aux états généraux de la culture au Cameroun en 1991. A l'époque d'un ministre qu'on appelait "Zéro mort". Peut-être aurait-il pu faire de très bonnes choses. Mais cette conférence a été noyée par les professeurs de l'Université. On n'y a pas laissé la possibilité aux artistes de placer un mot. Nous avons un malheur chez nous au Cameroun. Plus on est bardé de diplômes, plus on brandit une carte de visite qui devient illisible. A tel point qu'on se demande qui balaie les rues de ce pays. Quand ces gens sont venus noyer les états généraux de la culture, nous en sommes ressortis avec le résultat que 1991 à 2003, on n'est pas parvenu à apporter un seul film au Fespaco.
Lors de l'hommage que le Cameroun m'a rendu à l'hôtel Hilton, j'ai suggéré qu'on retienne 1% par an de toutes les recettes d'entrées aux stades de football du pays. Versé dans une caisse autonome contrôlée par les artistes, cet argent permettra aux réalisateurs, écrivains, scénaristes, de fonctionner, sans demander de l'aide à l'Etat. En Afrique, le Cameroun est l'un des pays qui possèdent un potentiel culturel énorme. Mais aujourd'hui, on ne chante O Cameroun, berceau de nos ancêtres (titre de l'hymne national -Ndlr), que dans les stades. Le Cameroun est allé cinq fois en phase finale de la coupe du monde de football. Quarante ans après les indépendances, il n'est pas capable d'apporter un film au Fespaco. J'en ai honte. Si Jean-Marie Téno n'avait pas été là, le Cameroun aurait été totalement inexistant.

Le cinéma africain est confronté depuis des lustres au problème de distribution. Entrevoyez-vous une solution ?

J'ai eu un problème d'humeur ici pour avoir parlé d'une série dont je ne veux plus répéter le nom, pour ne pas créer d'animosité entre son réalisateur et moi. J'ai dit : vous faites un film ici à Ouaga en moori (la langue la plus parlée au Burkina Faso - Ndlr). Sorti d'ici, qui va le voir ? Le Camerounais ne s'y reconnaîtra pas. Le Gabonais ne comprendra rien. Le Tchadien non plus. Si vous avez de l'ambition, faites des séries comme le font les Américains ou les Sud-Américains.

Il y a le sous-titrage…

Est-ce que vous savez qu'il y a des gens qui ont du mal à lire les sous-titrages. Tout le monde ne peut pas suivre. Les gens ont besoin d'entendre quelqu'un qui parle.

Là se pose donc le problème du doublage qui coûte cher...

Le doublage ! Nous avons des gens ayant beaucoup d'argent. Qu'ils investissent donc tout cela en Afrique. A l'inauguration d'Image, ce bel outil ouvert par le cinéaste burkinabé Gaston Kaboré avec une co-production canadienne, j'ai dit : on va y former des scénaristes, des machinistes, des cameramen, tout ce dont l'Afrique entière a besoin pour son cinéma. Peut-être qu'on y fera des films sous-titrés, ou doublés. Mais le doublage, c'est encore pour l'Europe.


Peut-on dire qu'avec ce 18è Fespaco consacré au comédien, c'est le début de la star system africaine ?

Si c'est un nouveau départ du cinéma africain, j'aimerais que les dieux nous entendent. J'ai vu des artistes mourir de misère. Est-ce que à partir de ce festival les choses vont évoluer ? Alors je vous dis, ce n'est pas dans les salons de l'hôtel Indépendance que vous seriez venu m'interviewer. C'est à l'hôtel Silmandé. C'est un grand hôtel luxueux. Et je me serais fait le plaisir de vous offrir une bouteille de champagne. Peut-être dans dix ans, si Dieu me prête vie.

Quel est l'état de vos rapports avec l'homme politique ?

A la 19è édition du Fespaco, si Dieu me donne vie, et que je puisse y participer, je souhaiterais qu'on ait une rencontre avec quelques ministres de la Culture du continent. Cheick Oumar Sissoko est arrivé dernièrement. C'est un ancien réalisateur. Il est aujourd'hui ministre malien de la Culture. Quand cet homme m'a embrassé, toute la salle s'est levée. Est-ce que je pourrais en dire autant de mon ministre de la Culture ? Il n'y a pas de raison qu'un homme comme Abdou Diouf m'écrive, et que je ne puisse pas rencontrer Paul Biya, mon président. On ne peut pas avoir joué Toussaint Louverture devant une quarantaine de chefs d'Etat de la Francophonie, et demeurer inconnu dans son propre pays ? C'est un scandale !


Je voudrais organiser une exposition à l'Institut Goethe de Yaoundé où est basé le ciné-club Gérard Essomba. Je commence à avoir la dent très longue. Et cette longueur de dent me donne envie de dire : j'ai droit, je voudrais qu'on me donne la part qui me revient. Je ne suis pas un belliciste, je ne suis pas un séditionniste, je suis un nationaliste. J'aimerais que les choses changent.

Pourriez-vous faire le bilan de ce Fespaco ?

Le bilan ! Malheureusement je suis obligé de prendre l'avion dans quelques heures. Voyez-vous, je n'ai pas les moyens de rester. Je voyage par charter. Ceci pour vous dire qu'un acteur international comme moi, une star, comme on dit, je suis obligé de prendre le charter qui va m'emmener d'abord à Marrakech. Je serais à Paris à 8h ou 9h demain matin. A partir de là, vous vous demandez quelle star est Gérard Essomba ? Ce ne sera pas le cas de Richard Bohringer qui peut prolonger son séjour au Burkina Faso, puis par la suite, aller tirer du lion je ne sais où.

Propos recueillis à Ouagadougou par Jean-Marie MOLLO OLINGA(Cameroun)

NB : Interview parue dans le quotidien camerounais Mutations N° 871 du 24 mars 2003.

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