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Entretien avec le cinéaste guinéen Cheik Doukouré
Après Paris, le pays mandingue
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 12/07/2006

Dans le cadre des 20è Journées cinématographiques de Carthage (JCC), nous avons rencontré Cheik Doukouré, le réalisateur de Paris selon Moussa - prix de la meilleure interprétation masculine au Fespaco 2003 - venu soutenir son film en compétition. Nous avons parlé de cette production, du cinéma africain, et de ses projets.

Comment se porte Paris selon Moussa ?

Paris selon Moussa se porte bien. Nous avons fait une sortie non conventionnelle parce qu'aucun distributeur ne s'était engagé. Mon film, fort, ayant un caractère particulier, ils n'ont pas trouvé comment attirer les gens dans les salles. Pourtant, ils l'ont trouvé bien. Ma co-production et moi avons donc imaginé une autre forme de distribution : la sortie de proximité, qui consiste à être proche des spectateurs.
Le 11 juin 2003, il a été porté à l'écran. Et en France, il a fait 12500 entrées. Ce n'était pas beaucoup, mais c'était inespéré de la part des distributeurs. Actuellement, je suis le film partout, et il continue de susciter des débats.

Quels rapports entretenez-vous avec Africa Cinémas qui doit, entre autres, aider à la circulation du film africain en Afrique ?

J'entretiens de très bons rapports avec Africa Cinémas. Mais, je relève comme des vices de forme, des ratés dans son comportement, qui est exactement celui des distributeurs européens. C'est-à-dire qu'ils ne prennent pas en charge les films qui ne sont pas passés à la télévision. Pour moi, c'est un mauvais calcul. Car pour que les Africains bouclent leurs budgets de production, il faut qu'ils passent par la télévision (TV5, CFI avant). Et pour cela, il faut plus d'un an. Ce n'est pas un bon critère. Ils doivent tout faire pour que les films africains passent dans de bonnes conditions dans les salles.

Il faut donc repenser le côté commercial des films ?

Le cinéma, quoi qu'on en dise, est une industrie et l'a toujours été. C'est un art, bien sûr. Mais en même temps, c'est une industrie quant au coût, en personnel et en matériel. Il faut donc qu'il soit rentable. Il est culturel, et la rentabilité doit aller au-delà du culturel. Le cinéma fait connaître un pays, un continent. Si les Etats-Unis arrivent à imposer leur mode de vie au monde entier, c'est grâce à leur cinéma. Hollywood en est un exemple palpable. La concurrence étant rude, il faut que les Africains y pensent. Les Occidentaux peuvent aider notre cinéma, mais ils n'accepteront jamais qu'il les concurrence. Nous avons un public. Nous pouvons être concurrentiels. Et cela leur pose un problème. On rejoint là les conditions de la mondialisation qu'on peut revoir, y compris au niveau du cinéma.

Quel est votre sentiment à l'égard de la FEPACI [Fédération Panafricaine des Cinéastes, NdF] ?

La FEPACI est partie d'une très bonne initiative. Mais, elle est à l'image du continent, où tout s'en va en lambeaux. Regardez l'Union africaine ! On y prend de bonnes résolutions, mais une fois rentré chez soi, on fait autre chose.
La FEPACI ne pouvait tourner qu'avec les dons des Occidentaux. Si les Africains ne font rien pour payer leurs cotisations, les autres passent à autre chose. Nous les cinéastes aimerions nous passer des Etats, mais, où un cinéaste qui fait un film tous les dix ans trouvera-t-il de l'argent pour payer ses cotisations ?
La FEPACI devrait avoir une gestion tournante - au niveau du secrétariat général - de tous les pays d'Afrique où on fait le cinéma. Et ce ne sont pas seulement les cinéastes qui doivent la gérer. D'autres hommes de culture pourraient aussi le faire. Même les gestionnaires de métier.

Après Paris selon Moussa, quels sont vos projets ?

Je m'apprête à tourner à partir de février-mars 2005. Maïla est le titre de ce film dont l'histoire, relative à l'initiation des jeunes filles mandingues (Guinée), se situe dans les années 40. Dans ce film, je pars du principe qu'avant les indépendances, l'Afrique avait une culture et un mode de vie propres, qui permettaient aux Africains de se suffire à eux-mêmes. Aujourd'hui, on lui impose une démocratie à l'occidentale, une façon de s'habiller ne relevant pas de son choix, des femmes musulmanes voilées, toutes choses qui n'appartiennent pas à notre culture. Avant, dans ces années-là, nous étions libres de nos choix culturels, vestimentaires, artistiques, économiques, politiques. Actuellement, ces choix, mieux, ces diktats ont fait que l'Afrique s'est coupée de sa racine. On va trouver que c'est nostalgique, mais je voudrais amener une réflexion en faisant un retour en arrière. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est parce que nous avons abandonné nos idéaux, nos religions, nos habitudes, pour adopter d'autres modes de vie. Le film va donc montrer l'Afrique de cette période-là, qui est beaucoup plus en conformité avec nos cultures que tout ce que nous subissons en ce moment. Après Maïla, je voudrais aussi faire Ballon d'or N°2 courant 2005, dont je viens de terminer l'écriture.

Vous utilisez la technique du numérique. La maîtrisez-vous déjà ?

Je ne la maîtrise pas encore. J'ai simplement une volonté et une facilité d'écriture à l'ancienne. J'écris avec ma plume. Mais, mes co-auteurs qui maîtrisent cette nouvelle technique me font aller assez vite.

Le numérique va-t-il sauver le cinéma africain ?

Non, pas du tout ! Peut-être va-t-il tout au plus permettre plus de productions. Le coût d'utilisation d'une caméra numérique sophistiquée est presque le même que celui de la caméra film. Et avec le film, il y a facilité de conservation.
Cependant, toutes ces méthodes ont chacune ses avantages et ses inconvénients. Actuellement, il faut écrire un scénario s'adaptant à la caméra numérique avec laquelle on n'a pas cette profondeur de champ. Le film fait ses preuves depuis la nuit des temps. Il ne faut pas tout de même rejeter cette nouvelle technique qui utilise une caméra plus malléable. C'est une évolution.
Par ailleurs, en Afrique, il n'y a pas beaucoup de salles équipées pour le numérique. Cela veut dire qu'il faut revoir presque toutes les salles du continent. C'est un lourd travail qu'il ne faut pas ignorer.

Que pensez-vous de ces 20è JCC ?

C'est le plus vieux festival du continent. Il permet de voir surtout des films d'Afrique blanche qu'on n'a pas en aussi grand nombre au Fespaco.
L'organisation est le problème de toutes les grosses manifestations. Cela est inhérent à tous les festivals. Il faut essayer de voir l'écart entre les JCC et le Fespaco qui commence en février prochain. C'est un problème qu'il faut résoudre tous les deux ans. Si on pouvait alterner… Une année à Carthage, et une autre au Fespaco, les nouveaux films auraient là une chance d'être vus. On n'y reverrait plus les mêmes films. C'est un problème d'organisation de budget valable aussi bien pour Ouagadougou que pour Tunis.

Avez-vous, pour conclure, un problème personnel à exprimer ?

Les productions sont de plus en plus difficiles. Nous ne trouvons plus d'argent. Les pays africains (secteur public et privé) ne s'investissent pas dans leur cinéma au moment où il a de plus en plus envie d'être fait. La France qui aidait va vers l'Asie (la Chine avec son milliard d'habitants) et l'Amérique latine. Ils n'attendent plus rien de l'Afrique où le désespoir prend peu à peu la place de l'espoir. Pourtant, nous cinéastes montrons ce continent dans sa diversité. Il y a une réflexion à mener à ce niveau avec les décideurs privés et gouvernementaux.

Par Jean-Marie MOLLO OLINGA (Cameroun)

Propos recueillis en octobre 2004 à Tunis

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