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Fools, ou la structure d'une tragédie
Fools, de Ramadan SULEMAN
critique
rédigé par Kamel Ben Ouanès
publié le 10/07/2006

La silhouette d'un vieux fou traverse un horizon d'arbustes décharnés. Il lève les mains vers le ciel et invoque le providence : "Monsieur, pardonne-leur". Il s'agit là de la scène inaugurale du film de Ramadan Suleman, Fools, une scène qui programmera l'ensemble du film et le ponctuera de bout en bout à la fois comme un leitmotiv narratif et une métaphore obsédante.
Le vieux fou est un ancien combattant que l'expérience des massacres et les horreurs de la violence meurtrière ont profondément traumatisé. Quand il a regagné le bercail, il avait déjà la conduite d'un esprit troublé et l'âme d'un visionnaire, conformément à l'image archétypale du fou détenteur de sagesse.
Placée sur cette ligne médiane entre l'historique et le mythique, la parole du fou, dans cette première scène de Fools renvoie autant à la parole du Christ qu'au massacre de la nation Zoulou par les blancs. Dans ce sens, les exactions perpétrées par les tenants de la ségrégation raciale sont doublées par les stigmates (d'où le titre du film) du péché. La preuve que la faute politique est aussi une faute morale. Et c'est précisément ce motif de la faute et de l'éventualité de son rachat qui ont structuré le dispositif narratif du film.
En effet Fools est construit à la manière d'une tragédie antique.
Le déroulement de l'action est ponctué d'une façon régulière par l'intervention du choeur, incarné ici par le vieux fou.
Dans le Township de Charteston, le professeur Zamani a violé une de ses jeunes élèves. Pire encore, il s'est désengagé de la lutte contre la politique de l'apartheid et s'apprête, comble du péché, à prendre part aux festivités marquant l'anniversaire du massacre des Zoulous par les Boers… Zamani apparaît donc comme l'homme du péché, de la faute et du dévoiement. Il est l'antihéros par excellence. L'homme par qui le scandale arrive.
Cependant, Zamani est-il pour autant un être définitivement perdu et englouti dans l'abîme du crime et du forfait ? Pas tout à fait ! Et c'est là que la silhouette du vieux fou revient et surgit dans un incontournable leitmotiv, comme pour rappeler la voie du salut et le chemin du rachat.
Fools est-il un film chrétien ? Peut-être non. Mais il est sûrement traversé par une vision manichéenne où l'antagonisme entre le bon et le méchant (comme l'illustrent les face à face entre Zamani et le jeune Zani, frère de la jeune fille victime du viol) impose une sorte de hiérarchie ou de classement par ordre de fidélité aux valeurs morales et au patriotisme.
Dans l'une des dernières scènes du film, Zamani affronte la colère redoutable de l'homme blanc, sous le regard béat de la foule. S'il accepte ainsi de subir l'affront d'être battu sans broncher, c'est une façon pour lui de montrer publiquement qu'il a changé et qu'il est en rupture avec sa conduite passée.
En tout cas, la configuration formelle du film, c'est-à-dire ce va-et-vient entre l'action et son commentaire, ou entre l'enchaînement du drame et les interventions du vieux fou, a permis à Ramadan Suleman d'élargir l'événementiel (en l'occurrence l'histoire de l'apartheid) à la dimension de la condition humaine.
En effet, à l'instar de la tragédie, Fools part de l'histoire pour épouser l'universel ; car le cinéma que Ramadan Suleman s'applique à réaliser n'est pas seulement un cinéma politique ou un cinéma de la résistance, mais un cinéma conçu dans la perspective d'un dialogue entre la réalité et la culture africaine avec l'humanisme universel.

Kamel BEN OUANÈS (Tunisie)

Article publié dans la Revue Le cinéphile (Tunis), éditée par l'A.T.P.C.C., Mars 2006.

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