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Du cinéma "américain" aux couleurs africaines
Le fleuve, de Mama KEÏTA (Guinée)
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 04/08/2006

D'emblée il y a le choc cru. De la violence et de la culbute. Comme pour casser tout amalgame avec une certaine vision du cinéma africaine" qui sent la brousse". Là, le film commence par une séquence imagée qui fait référence à un cinéma familier, connu, urbain et universel. Celui qu'affectionne l'habitant de la ville et qui le représente le plus. Mais ce n'est qu'un petit leurre de départ. Petit car ce film ne coupe pas le cordon avec l'Afrique, elle y est représentée mais à travers un récit à deux vitesses ou deux parallèles. L'une ancré à la géographie nostalgique exposée du continent, et l'autre portée par un lieu de vie haché européen. Ça se fait à coups d'aller retour par le biais des flash-back. Et le genre choisi pour ce type d'entreprise filmique le plus approprié est le road movie. Le tout fonctionnant comme si le réalisateur voulait faire un film moderne, largement acceptable, normalement, coulant tel n'importe quel film type ! Il ne voulait pas faire un film africain avec tout ce que comporte cet adjectif d'exotique et de classificateur ! Juste un Africain faisant un film pour tout le monde, en y mettant tout ce qu'offre le cinéma (et ce qu'il appris bien sur). Car le réalisateur a fait ce film dans l'esprit de films du genre, mélange de road movie, de film-poursuite et de "série noire" .
Un garçon d'une banlieue française, roulant sur les routes vers le grand sud, fuyant après avoir assassiné le malfrat dealer qui a assassiné son meilleur ami. Il a tout à fait l'air du mec gentil mais non dupe, qui a grandi dans la dureté de la rue et l'indifférence mais sachant se défendre. Un Stomy Bugsy, rappeur de son état, dans ses grands jours. Il se trouve là au fond d'une Afrique qui ne lui dit rien, même si la couleur de sa peau le lui rappelle. Or la rencontre d'une belle cousine et leur voyage à deux le long des pistes poussiéreuses et rougeoyantes l'obligera à s'y intéresser. Un autre lieu, une autre histoire, une autre vie. Aurélie Coulibaly, bien balancée et attendrissante saura faire. Elle est cette voix (et voie) désintéressée, humaine et offerte qui saura donner l'échange. Jusqu'à l'ultime étape qui est la source de tous les fleuves de Afrique de l'ouest.
DEUX MONDES
Ainsi le film fait à travers ses pérégrinations réelles (le grand voyage dans les routes) et symboliques (les rêves cauchemars et les visions des souvenirs du héros reprises tout au long du film) une opposition entre deux mondes, deux réalités. Une Europe du meurtre et de la débauche et de l'autre une Afrique des sources et de la tendresse, mais sans idéalisation naïve. Cette Afrique où se réfugie notre fuyard saura aussi le saouler, le voler, le malmener. Sans intention de départ à ce qu'il paraît mais l'idée d'opposition le marque assez. La fuite se fait vers la sécurité et l'abri.
Le fleuve veut de la sorte sortir des sentiers battus par les cinéastes africains de la première heure. De ce fait, il raconte une histoire qui a des relents locaux du terroir, mais où tout un chacun peut trouver son compte. Les héros sont standardisés, un vengeur, des tueurs, une nana amoureuse et couveuse mais appartenant à l'époque n'ayant rien avoir avec la bonne femme affichant des seins lourds et une croupe généreuse.
Aussi on rencontre des histoires de bagarres, des saouleries, de jalousies, de filles,... Ouim tout un monde contemporain calqué dans une Afrique certes encore empêtrée dans les us campagnards mais dont la jeunesse est bien collée à son époque... Au fait, s'il n'y avait pas au départ la notion africaine on aurait transposé aisément l'histoire ailleurs.
Il est clair que le film est confectionné dans l'esprit d'un road-movie réel, à l'occidentale. Il est aussi simple d'y voir un peu de Tarantino, de B. de Palma, de Scorsese du début même. Notre héros endosse un destin personnel de mal de vivre sans le déclarer et même si le réalisateur ne montre que son côté "voyou" sympa qui ne pense qu'à sauver sa peau. Il est un modèle repris à un imaginaire cinéma plus grand. De ce fait, l'identification se fait sans transition.
Le cinéaste réussit à accrocher le regard et les esprits à son histoire. Il montre une grande maîtrise de ses moyens et sait ressortir ce qu'il y a d'émouvant dans les gestes et ce qu'il y a de solennel dans les situations. Les événements coulent à un rythme soutenu, ne laissant aucun vide ni aucune suspension dans le débordement des faits, chose que ne saurait supporter un road movie. L'exemple est donné par les scènes de rencontre avec la famille de la cousine où les choses auraient pu traîner avec surtout l'intervention du personnage de la mère, africaine attachée à ses habitudes ancestrales. Non, au contraire le rythme a été sauvé. Il demeure cet esprit de faire qui prévilégie le ton assidu et la promptitude à ne pas traînailler sur l'attrait de la lenteur. Car la temporalité dans ce qu'elle a de pressé est cet autre versant du choix de ce film, et le fait en échappant à chaque fois à la lenteur qui caractérise les paysages africains où les temps ont tendance à s'arrêter, suspendues dans un pan de la culture ancienne.
Ce film africain essaie de faire opposition donc, d'abord au cinéma des pères, puis à la vision culturelle originaire qui tente des choses, et enfin à la schématisation simpliste du continent noire et de ses habitants. La vie française du réalisateur et de la plupart des protagonistes y est sûrement pour quelque chose. Mais le fait est que tout ça ne cache pas "la morale" tapie derrière le film, celle de se purifier. Le titre du film est à ce sujet très évocateur. Nos deux héros s'arrêteront à la fin dans une région des cascades, celles qui alimentent les fleuves, qui prodiguent l'eau. La scène de la baignade à deux, nus et amoureux vers la fin, après une période d'hostilité et une antipathie qui ont duré le long du voyage, est un signe qui ne trompe pas. La pureté est là, quelque part au sud et il faut y parvenir pour se réaliser en tant qu'être. Aussi il est normal que la rencontre du héros avec son frère venu le rejoindre se fait dans la complicité joyeuse.

M'barek HOUSNI (Maroc)

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