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Rêverie d'un promeneur solitaire
Bled Number One, de Rabah AMEUR-ZAIMECHE
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 09/08/2006

Un jeune algérien revient au pays. Curieux, solitaire, il parcourt les allées de son village natal en espérant retrouver de l'espoir. La chute sera mortelle.

Le plan séquence qui ouvre le second film de Rabah Ameur-Zaimeche est hypnotique. Une caméra qui pénètre dans un village isolé, des badauds curieux de découvrir cet étranger, un soleil de plomb qui heurte la sensibilité de ces âmes égarées et le spectateur avide d'en savoir plus. Tout est dit dans cette séquence, le cinéaste filme ce qu'il découvre et son film sera placé sous le signe de la curiosité.

Deux étapes, deux histoires, deux personnages viennent hanter ce film.
Il y a d'abord Kamel. Il revient de France. Le mot expulsion ne sera jamais prononcé. L'Algérie est la terre ensanglantée de ces origines et il est en pas peur fier. Les années de guerre civile sont encore dans les mémoires. Les esprits du terrorisme sont des derviches tourneurs qui embrasent les plaines de ce far-west désertique. Kamel le devine, le ressent mais n'en souffle pas un mot. Les traditions se découvrent devant lui, les relents amoureux se dévoilent sous son regard discret et la folie des corps se matérialise sans crier gare.
Cet homme aux deux statuts (étranger et autochtone) promène sa solitude dans les recoins de ce village qu'il ne reconnaît plus. Fardeau pour les uns (incompréhension et rejet des villageois), accalmie pour les autres (Louisa, sa cousine belle et aimante), Kamel glisse quelques regards vers des territoires perdus (L'Algérie de son enfance), des zones dangereuses (l'intégrisme religieux), des rites complexes (les traditions familiales). L'Algérie dans son immense contradiction lui offre un cadeau empoisonné, son microcosme effrayant. Kamel se résigne à l'accepter.
Et Louisa, qui veut faire de la chanson son métier, rejetée par un mari bureaucrate, ignoble et arriviste. Elle a tout perdu, son fils, sa dignité et sa famille. Elle ne peut qu'errer, emportant sa folie destructrice dans ses bras, fuyant cette société lourde et aveugle. On la retrouve à Constantine dans un hôpital psychiatrique (le même qui servit de décor à Malik Bensmaïl pour Aliénations). Elle respire de nouveau, défait le nœud de ses cheveux, pleure beaucoup et renaît. La musique, passion interdite, l'emmène elle aussi vers une promenade solitaire (très belle séquence de concert).

Sociologue de formation, Ameur-Zaimeche plante un décor qui lui permet de découper au scalpel toute une géographie humaine qu'il redécouvre en la filmant. Vérité de l'instant présent, vérité d'un cinéma que l'on peut contempler, caresser et s'approprier. Passeport pour un état des lieux, possibilité infinie de se faire une idée sur ces représentations, liberté de mouvement. La parole cède la place à l'imaginaire. Très peu de discours, des voix, des regards, le vent qui se lève, balayant les rues poussiéreuses et Kamel, corps malade qui ne peut contenir sa folie, sa colère et qui doit partir. Le droit que nous propose Ameur-Zaimeche, c'est de réfléchir sur ce que l'on voit. Dessein noble et courtois car humaniste.
A l'instar de ses confrères coléreux qui scrutent l'Algérie avec beaucoup trop de démagogie (Al Manara de Belkacem Hadjadj ou L'Autre monde de Merzak Allouache), Ameur-Zaïmeche laisse parler le silence. En parfait cinéaste, il oriente son road-movie vers des sentiers perdus ou l'onirisme a posé ses armes. Véritable terre d'accueil, son film nous entraîne vers des images que l'on croyait perdu à tout jamais (le rituel du taureau égorgé), vers une réflexion subtile (jamais le mot terrorisme est exprimé) et vers un érotisme romantique (les scènes de plages).
Film libre et bagarreur, Bled Number One est une expérience sensorielle qu'il faut revoir une seconde fois pour mieux cerner la détresse d'un pays en mal d'identification, en mal de cinéma !

Samir ARDJOUM (France)

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