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Comment on devient enfant de la rue
Kato Kato, de Idrissa Ouédraogo
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 30/10/2006

Lorsqu'il arrive au cinéma, Idrissa Ouédraogo veut faire des films socio-éducatifs, "mais toujours avec un souci de cinéaste", précise-t-il. Après son premier court métrage, Poko (1980, 22 mn, 16 mm), qui remporte le Prix du court métrage au Fespaco en 1981, Ouédraogo n'a plus arrêté. Il tourne un film chaque année. Depuis Le Choix (1986), son premier long métrage sélectionné au Fespaco et invité à la Semaine de la Critique à Cannes en 1986 jusqu'à La colère des dieux (2003), l'homme a tourné pas moins de 32 films, séries télévisées y compris. Avec Kato Kato, son tout dernier film, le célèbre réalisateur burkinabé reste fidèle à ce cinéma de proximité dans lequel les Burkinabé, et par ricochet les Africains, se reconnaissent forcément.

Le film qui répond à la question de savoir comment une fillette échoue dans la rue, est en réalité un drame à plusieurs facettes. Drame social, il est aussi un drame sentimental, mondain, et même psychologique. Ainsi considéré, on pourrait imaginer que le film de Ouédraogo va dans tous les sens, au risque d'obéir au dicton qui dit : "qui trop embrasse, mal étreint". Que non ! Le spectateur assiste à un film parfaitement maîtrisé, mené habilement par un cinéaste usant à merveille d'une esthétique de narration faite de ce que le cinéaste sénégalais Moussa Sène Absa appelle "belle digression", et qui caractérise si bien le cinéma africain.

Dans Kato Kato, sous-titré Un malheur n'arrive jamais seul, cette "belle digression" raconte les tribulations d'Ali, un instituteur dont le salaire ne permet pas de joindre les deux bouts, et qui refuse pourtant que sa femme travaille aussi. Parce qu'elle doit s'occuper de Kouroumi, leur bébé. "J'ai besoin de travailler, de m'épanouir", supplie-t-elle. Obligé par conséquent de s'endetter pour sauver la vie de leur enfant atteint de la fièvre typhoïde, il va se faire voler cet argent par des gamins de la rue, parmi lesquels une jeune adolescente. Reconnue par hasard dans la rue, Azeta, l'épouse d'Ali crie "au voleur !". La petite voleuse détale tel un lièvre, mais dans sa fuite, elle est victime d'un accident de la circulation. Et entre de suite dans le coma. Ali, "l'instituteur (qui) enseigne les vertus essentielles", a un problème de conscience. "Si ma femme n'avait pas crié "au voleur !"...", manifeste-t-il, dans sa désolation. Pour se consoler, il prend sur lui de s'occuper de Bintou qui, visiblement, est abandonnée à elle-même, et qui pis est, a perdu la parole à la suite de son accident. En attendant donc de retrouver ses parents, aidé en cela par Bill, Sam et Eric, ses compagnons d'infortune, Ali recueille sa voleuse chez lui. Cette situation sera-t-elle supportable par cette famille nucléaire désargentée, et devant s'encombrer d'une charge supplémentaire ?

Cet état des choses va distendre inévitablement la relation du couple. Surtout que Bintou se révèlera, avec son éducation manquée, une rivale pour Azeta. Cette dernière craquera, et abandonnera foyer conjugal et bébé à son mari. Ali doit désormais jouer à la fois le rôle du père et de la mère. La quadrature du cercle. Son travail en pâtit. Il faut absolument retrouver les parents de la petite.

À ce niveau, Idrissa Ouédraogo convoque la technique du montage narratif inversé. Il remonte alors le temps au travers d'un flash-back, pour raconter le plus clairement possible comment Bintou en est arrivée là. Elle a échappé au viol de son beau-père - "Je vais juste te gâter", la flatte-t-il - véritable brute qui ne se gêne aucunement de frapper son épouse paraplégique. Dès lors se dégage la force symbolique de ce film de Ouédraogo. "L'homme naît bon, mais c'est la société qui le corrompt". Le réalisateur, au travers de son sujet, montre l'impact de l'environnement familial, éducationnel, relationnel sur le devenir comportemental, moral, intellectuel et même physique des individus. Élevée par Azeta et Ali dans un milieu où elle peut apprendre à lire et à écrire, le destin de Bintou sera forcément différent de ce qu'il a failli être. N'est-elle pas devenue une petite fille rangée chez ses parents adoptifs ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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