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Une manière de perception
Parole sans paroles, d'Idriss Diabaté
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 21/11/2006

"Si eux ne parlent plus, ils sont des paroles que nous devons écouter pour nous interroger, pour nous remettre en cause". Tels sont les propos dits d'emblée par la voix off du réalisateur, qui, a priori, nous situe sur l'objet et l'objectif de son documentaire de 52 min. Nous nous attendons donc à voir des objets apparemment muets, mais lourds de significations, tout au moins de par la symbolique qu'ils sont susceptibles de dégager.

Et lorsque le film de l'Ivoirien Idriss Diabaté s'ouvre, il nous plonge directement dans un atelier de peinture. Autrement dit, sa caméra nous introduit dans l'intimité d'un artiste plasticien béninois vivant en Côte d'Ivoire, Ludovic Fadaïro. Ici s'expriment les talents en recherche esthétique et thématique d'un homme qui, outre le fait de mettre en évidence la subjectivité de sa culture, s'est donné pour objectif d'en rendre compréhensibles les différentes composantes. En somme, comment Ludovic Fadaïro s'y prend-il pour rendre sa perception du monde ? Comment recherche-t-il la Vérité derrière l'apparence de ses toiles, de ses peintures ? Quelles vérités, d'ailleurs, s'y cachent ? Comment les traduit-il ? Au travers de tout ce questionnement se subodore dans Parole sans paroles la problématique du rapport entre forme et contenu. Et les premières images du film tendent vers cette assertion.

Une fois dans l'atelier de Fadaïro, la caméra de Diabaté effectue un travelling horizontal et vertical pour nous présenter des tableaux entreposés çà et là au milieu de sculptures. L'artiste est donc un plasticien complet ! Elle en ressort sans s'y être attardée, pour nous emmener dans un paysage où domine la verdure. Synonyme de régénération, cette verdure du paysage reflète ici un besoin d'épanouissement, de valorisation, de culture et de connaissance de l'artiste. C'est un tableau magnifique ! Dans ce paysage, ou mieux, dans ce jardin, sont plantées des statues géantes, sortes de totems représentant des défunts.

Cette visite guidée, panoramique de l'œuvre de Fadaïro, qui en fait "plane entre cour et bosquet", nous révèle le monde de l'artiste, qui "s'élance de la maison, elle-même reflet du village et de la société". De là, "le savoir de la cour, la connaissance du bois sacré, l'expérience du village et de la ville se rejoignent en une véritable alchimie. Autant de messages codés d'univers parallèles". Ces univers parallèles représentés sur la toile qu'il peint par des traits, purs produits du hasard, mais qui finissent par devenir expressifs. Cette peinture, exécutée non pas par un pinceau, mais par la main de l'artiste, montre l'importance de cet outil dans cette œuvre créatrice qui devient re-présentation, c'est-à-dire qui présente autrement la réalité. Cette main qui dessine des signes cabalistiques, mélange les couleurs, pétrit la pâte, efface, gratte, caresse, tapote, frémit, frétille et danse une chorégraphie traditionaliste et symboliste - en ce sens que celle-ci est extérioriste et révélationniste - faisant parler et les totems, et les peintures, et les sculptures, ne prend-elle pas ici la dimension de la véritable main de Dieu ?

Artiste plasticien complet, Ludovic Fadaïro crée des œuvres ayant la double approche picturale et sculpturale. C'est la raison pour laquelle il aplanit les formes. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il peint le beau pour le beau. Il s'en défend. Sa peinture "interroge notre histoire, notre être afin de ramener ce qui est en train de se perdre au détriment de la culture africaine". Un artiste engagé sous influence du mouvement de la Négritude ? Toujours est-il que Parole sans paroles bascule, le verbe prenant la place des tableaux, le documentaire se muant en interview. Dès lors, les propos de Ludovic Fadaïro résonnent aux oreilles du spectateur sans le raisonner, car il ne s'en dégage aucune originalité. De plus, ils ne sont pas cinématographiquement accompagnés, quand on sait que le septième art, c'est avant tout l'image.

Fadaïro dit ce qu'est pour lui la peinture, sans qu'on le voie vraiment. Il donne sa position par rapport à l'art, aux arts, à l'interconnexion de certains d'entre eux, sans que cela soit porteur de vision. Le tout se limite alors à ce qui apparaît comme la revendication d'un espace, de son espace, au milieu de ce mouvement frénétique vers la globalisation. Le film qui dès sa séquence d'exposition a laissé augurer de l'expressivité d'une certaine forme d'art s'est décliné en un simple hommage à un peintre frustré de ne pas trouver d'espace d'exposition. Ce qui peut être considéré comme sa plus grande faiblesse. Mais, le réalisateur n'a-t-il pas délibérément choisi de substituer la parole inaudible des peintures et des sculptures aux paroles du peintre sculpteur ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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