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Oui ! L'Algérie prime… mais sans parti pris
Bled Number One, de Rabah AMEUR-ZAÏMECHE
critique
rédigé par Abdelfattah Fakhfakh
publié le 15/11/2006

Pour un grand nombre d'Algériens - dits de la seconde génération - et dont beaucoup ne sont pas nés en Algérie et qui n'y ont pas grandi, le Pays Numéro Un c'est l'Algérie. Pour eux dès lors qu'il leur faut trancher entre deux pays et s'identifier à l'un des deux (la France ou l'Algérie), ils considèrent que c'est l'Algérie qui "prime" c'est à dire que c'est elle qui est la "première", à entendre la première dans leur cœur.
Et pourtant que de malentendus ! Que de déceptions ! C'est entre autres, ce que raconte le film et ce que vit Kamel, le "héros", un jeune immigré, vivant en France, qui se retrouve du jour au lendemain, nez à nez, avec la réalité nue du "Pays, Numéro Un". A peine sorti de prison, Kamel est expulsé de France, vers son pays d'origine, l'Algérie. Cet exil forcé le contraint à observer avec lucidité un pays en pleine effervescence, tiraillé, lit-on dans le synopsis, entre "un désir de modernité et le poids des traditions ancestrales".
Que de barrières ! Que d'obstacles ! Que de différences ! Quand Kamel atterrit en Algérie dans un village isolé, il y est accueilli de manière plutôt impersonnelle, froide, par quelques parents et quelques badauds curieux de découvrir "Kamel, la France".
Pas de youyous, ni de longues et interminables embrassades, ni de déballage de cadeaux pour la "famille", encore moins de grosse cylindrée pour "frimer", Kamel semble arriver les poches vides, le cœur tout autant…
Kamel n'est pas "d'ici", il est "d'ailleurs". Cela se voit. Cela va lui coller à la peau, du début du film à la fin. Au point où on sent qu'il est quasiment "déconnecté" de l'environnement dans lequel il s'est retrouvé et dans lequel il essaie de se mouvoir. . Le "look" de Kamel, avec sa casquette et ses lunettes de soleil "made in France ou ailleurs", le classe, le distingue des habitants du pays.
Kamel va quand même tenter de se mêler aux siens, de s'intégrer l'espace d'une fête, d'une zarda, une procession traditionnelle organisée dans le village en l'honneur d'un saint là où on égorge un veau qu'on partage entre tous. Tout le monde rit, danse, se parle.
Kamel le fait à sa manière, c'est à dire maladroitement. Il fait spontanément le contraire de ce qu'on lui dit. On lui dit par exemple de ne pas se mêler aux femmes, on le met clairement en garde, en lui rappelant que la société ne tolère pas la mixité et que c'est "haram" qu'un homme aille à la rencontre des femmes et se mêle à elles, Kamel s'en moque, non seulement il va vers les femmes, pis encore, il les embrasse affectueusement sur les joues, en plein sentier, bavarde avec elles publiquement comme si de rien n'était…
Kamel est assis à la terrasse d'une maison avec des parents. Il entend le muezzin annoncer la prière. Sa réaction ? "Ah ! Cela fait longtemps que je n'ai pas entendu "ça". Pas plus que ça. Et quand on lui demande de manière toute naturelle s'il prie, il répond de manière tout aussi naturelle "non" et quand on lui dit "tu ne pries pas parce que tu ne sais pas prier, n'est-ce pas ? sous-entendu "tu es évidemment croyant comme nous, comme tout le monde ?" il répond "oui, c'est ça" sans grande conviction..
Ne voyant pas le pays venir à lui, Kamel va essayer d'aller vers le pays, mais déçu, il abandonne sa quête au bout d'un certain temps. Il est là, il ne bouge pas ou presque, il est seul, isolé, il ne parle pas la langue des autres, il ne comprend pas les usages du pays, il est "étranger" dans le "Pays Number One" auquel il s'est accroché mais cela semble tourner à vide. Il ne fait aucune rencontre authentique et ce, à l'exception de celle qu'il fait avec Luisa (le second personnage important du film) qui préfère elle aussi le laisser tomber pour ce qu'elle aime faire le plus au monde : "chanter".
Luisa, elle aussi, à l'instar de Kamel, semble "déconnectée" : elle veut faire de la chanson son métier. Elle est rejetée par un mari arriviste et opportuniste. Elle va, elle aussi, quasiment, tout louper.
Forcée de se séparer d'avec son fils que son propre mari "a réussi à lui enlever" et ce, après qu'il lui ait fait croire, suite à une première dispute au sein du couple, qu'ils allaient tous trois reprendre la vie commune, elle se retrouve seule, totalement marginalisée. Sa dignité est bafouée, tant au niveau de sa propre famille que de sa belle famille. Elle est perçue comme une "débile" au sein de sa propre famille, par sa mère et son frère. Battue à mort par son frère qui lui reproche d'avoir "déshonoré la famille" bien que si victime il y avait, c'est bien elle, flouée et piégée par son mari, elle est "cloîtrée" par son frère dans une chambre située sur la terrasse.
Désespérée, déprimée, elle s'échappe et se met à errer jusqu'au moment où on la retrouve à Constantine dans un hôpital psychiatrique là où elle semble renaître à la vie en renouant avec la musique.
Les personnages principaux (Kamel et Luisa) nous interpellent, nous émeuvent mais le réalisateur en a fait des personnages "déconnectés". Une telle option l'amène à un moment à perdre de vue "carrément" ses personnages principaux. Est-ce délibéré ? Nous ne pourrons y répondre. Ainsi Kamel, personnage pivot s'efface à un moment du film et disparaît quasiment dans la nature sans véritable motif apparent. On comprend que le personnage n'a plus rien à attendre, ni du pays ni des siens, et qu'il n'a rien à dire.
Le film souffre de certaines digressions – à l'instar de certaines scènes, certes d'une grande beauté mais qui sont très gratuites, des scènes qui n'apportent rien du côté dramatique et qui nous n'apprennent pas davantage ni sur les personnages ni sur leur entourage…On voit un guitariste débarquer dans le film sans crier gare…On apprendra grâce au générique qu'il s'agit de Rudolphe Burger, un musicien perdu dans l'étendue de la nature de la région de la Kabylie, en train de jouer à la guitare…Si la musique est belle, on se demande ce que vient faire le bonhomme dans le film…Qu'apporte-t-il à Kamel ? à Luisa ? Mystère et boule de gomme !
Des digressions, auxquelles s'ajoutent des "invraisemblances" lesquelles dénotent d'un parti pris du réalisateur de donner à voir des scènes, qui l'obsèdent probablement, qui sont en outre belles et émouvantes mais qui "ne cadrent ni avec le lieu ni avec le public impliqué dans le film".
Luisa chante du "blues" en anglais – s'il vous plaît - devant des patients algériens mal dans leur peau et dans leur âme, dans l'hôpital psychiatrique. Il est fort à parier que quiconque donnait un tel concert pour de vrai devant un public non familiarisé avec le blues se retrouverait seul au bout de deux ou trois couplets….Nos patients sont émus, suivent religieusement le concert. Heureusement que le réalisateur les restitue rapidement dans leur véritable "profil" en les montrant arracher le micro des mains de la chanteuse pour chanter en arabe….
Voilà donc une ènième fois où on mystifie – au cinéma - la douleur et la solitude des "malades mentaux" - hé oui - pour leur faire porter des messages qui ne sont pas les leurs…
Pourtant malgré les invraisemblances, les digressions, les faiblesses, le film plaît. Nous avons affaire à une caméra attentive, intelligente, observatrice qui ne loupe pas l'essentiel de l'Algérie d'aujourd'hui : la présence d'un intégrisme "fascisant", un intégrisme au quotidien qui n'en finit pas de faire régner la terreur, les tentatives d'y faire face par des groupes d'auto-défense, le statut de la femme, le déboussolement d'une jeunesse prise entre "l'occidentalisme" et "l'intégrisme", tentée par la violence, le "business"…
Peut être que cette attitude non-partisane de l'auteur, son parti pris délibéré de ne pas prendre un personnage comme porte-étendard sauve-t-il le film des didactismes de pacotille et des messages généreux mais foncièrement creux. Il semble dire comme le héros de son film (car le film serait dit-on autobiographique) : je suis venu, j'ai vu, je vous montre ce que j'ai vu, faites en ce que vous voulez, mais ne dîtes jamais que je n'aime pas l'Algérie. Rabeh AMEUR-ZAÏMECHE aime son pays, aime les siens, aime les beaux et magnifiques paysages d'Algérie. Il le dit simplement et sans fioritures…

Abdelfattah FAKHFAKH

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