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DARATT ou l'initiation au pardon
Daratt (Saison sèche), de Mahamat-Saleh Haroun
critique
rédigé par Mohamed Nasser Sardi
publié le 20/11/2006

Daratt (Saison sèche) de Mahamat-Saleh Haroun s'ouvre sur un vieux qui appelle son petit fils, Atim. Ils attendent le verdict de la commission de la réconciliation concernant les crimes pendant la guerre civile au Tchad. L'amnistie est proclamée pour tout le monde. Ce verdict clément déclenche la colère de la population dans cette terre de désolation qu'est ce petit village du Tchad ; colère très vite matée par la force. Le vieux donne à son petit fils un revolver et lui demande de chercher le meurtrier de son fils (père de Atim) et de le venger.
Première constatation : M.-S.Haroun n'exprime la colère de la population et la réaction violente des forces de l'ordre qu'à travers des sons off.
Seconde constatation : le grand-père, aveugle, ne voit pas les dégâts (des chaussures de différentes pointures et sans l'autre paire) qui restent après la "bataille". Son petit-fils, si !
Ceci va conditionner toute la quête de vengeance du jeune homme, où la violence n'est suggérée qu'à travers les sons, ce qui la rend plus pesante, et où c'est le regard (ce qu'on voit) qui permet de comprendre le fond des choses.
Mahamet-Saleh Haroun épure son film de tout ce qu'est superflu à l'histoire. Le décor, naturel, rend compte du dépouillement dans lequel vit les personnages. Les dialogues, rares, ne sont là que pour faire avancer l'histoire ou pour éclaircir quelques situations comme, par exemple, donner la raison de la vengeance, ou celle du mutisme du boulanger (Nassara). Le jeu des acteurs (superbes Ali Barkai et Youssouf Djaoro) est sobre, plein de retenue et entièrement basé sur les regards, les gestes et les postures. Les plans sont, la plus part du temps, larges et avec une profondeur de champs accentuée ; ceci pour situer les personnages dans cet environnement qui conditionne leurs comportements ; sauf dans les moments où ils expriment une opposition ou une complicité ; alors ils sont plus serrés et cherchent à nous faire passer les émotions qui assènent les personnages, sans pour autant tomber dans un sentimentalisme qui fige la réflexion du spectateur.
Cet itinéraire qui part d'une situation de haine viscérale exprimée à travers un regard terrible, finit par initier le jeune homme au pardon. M.-S. Haroun ne situe pas ce pardon dans le contexte de l'oubli, puisque Atim refuse la paternité du meurtrier de son père. Il amène Atim, petit à petit, à travers un processus d'apprentissage qui permet au meurtrier de transmettre à Atim son savoir faire, sans que ce dernier n'oublie le passé (il repart avec son grand-père).
L'apprentissage de ce savoir faire, la boulangerie, va en parallèle avec le changement que subit Atim au contact de son "ennemi". Faire du pain, "qui doit être fait avec amour" (dans le film), passe obligatoirement par un processus long et sensible : doser exactement les ingrédients, les ajouter au bon moment, les mélanger, bien pétrir la pâte et enfin cuir le pain. Tout oubli, maladresse ou empressement, gâche le tout.
C'est ce que fait le réalisateur avec Atim. Il lui donne le temps de connaître le boulanger, non à travers le prisme de ses sentiments haineux qui sont en lien avec le passé, mais à travers sa position de témoin du comportement actuel de Nassara qui distribue gratuitement du pain aux enfants pauvres (mettre les ingrédients en place) ; puis il tisse un lien qui évolue progressivement entre les deux hommes (doser et mélanger) ; ensuite, il rend ces liens plus intimes et plus complexes avec l'introduction des sentiments de paternité et de filiation entre les deux, ainsi que les sentiments de tendresse que suppose la présence de la femme (pétrir la pâte) ; et enfin l'accomplissement quand Atim décide de partir sans accomplir sa vengeance (Atim saute de joie en réussissant à cuir du bon pain).
Certes cet itinéraire a eu quelques cahots : Atim mire à plusieurs fois Nassara parce qu'il n'était pas encore prêt au pardon (il rate le pain en oubliant de mettre la levure), mais il finit par aboutir parce que Atim a su prendre de Nassara ce qu'il a de meilleur : faire du bon pain et en distribuer aux nécessiteux, et refuser d'être comme lui dans ce qu'il a de pire : tuer.
Avec ce message à double portée : une première, interne au Tchad (voire même de plusieurs pays africains), qui demande l'arrêt de ce cycle "vengeance / contre vengeance" qui ne peut cesser que si quelqu'un prend sur lui la décision de couper ce cercle vicieux au milieu ; une seconde, universelle, qui fait des actions de l'humain, bonnes ou horribles, les conséquences d'une situation donnée, mais que ceci n'est nullement une fatalité puisqu'il a le pouvoir de changer le cours des choses.
C'est ce qui fait de Daratt, en plus d'une maîtrise narrative et esthétique, un film loin de toute "sécheresse" émotionnelle ; loin de là.

Naceur SARDI

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