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Bled number one, de Rabah Ameur-Zaïmeche
Cinéma sans territoire
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 29/11/2006

Paradoxalement, Bled number one de Rabah Ameur-Zaïmeche est passé inaperçu lors de la dernière session des JCC 2006. Or, depuis sa première mondiale au festival de Cannes (mai 2006) ce film a eu un grand succès partout où il a été programmés. Déjà, sur la croisette, il remportait le Prix de la jeunesse. Ce réalisateur algérien est l'un des porte-drapeaux de cette jeune génération de réalisateurs africains qui défendent un cinéma très original et qui s'impose de plus en plus sur la scène mondiale non seulement par la force des thèmes : émigrations, sociétés en crise, situation de la femme, économie sous-développée, etc., mais aussi par une mise en scène qui laisse une grande place à la réalité d'où le mélange insolite entre documentaire et fiction.

Rabah Ameur-Zaïmeche s'était déjà distingué par son premier film Wesh wesh, Qu'est-ce qui se passe. Celui-ci finissait sur une poursuite de Kamel, un jeune beur, par la police française. Cette fin laissait attendre une suite de l'histoire, c'est Bled number one. Dans ce second film Kamel, toujours interprété par Rabah Ameur-Zaïmeche lui-même, est expulsé de France. Il rentre en Algérie, plus précisément dans son village natal.

Présentée ainsi, l'histoire est tout ce qu'il y a d'attendu, tout ce qu'il y a de cliché. Un jeune maghrébin en mal d'intégration reçoit la double punition : après la prison, l'expulsion. On s'attendrait à un déchirement entre deux pays, deux cultures comme l'on a vu souvent dans des films sur l'émigration, ou sur l'identité…Il n'en est rien dans Bled number one. On chercherait en vain le deuxième pays parce que pour le trouver il faudra d'abord définir le premier pays. Or ceci est loin d'être évident.
Il est vrai qu'arrivé en France à l'âge de deux ans, Rabah Ameur-Zaïmeche est régulièrement retourné au pays à partir de neuf ans. Il est vrai également que dès le début du film nous accompagnons Kamel, à travers un travelling avant, dans la découverte progressive de la région de l'est algérien puis du petit village natale du réalisateur. Il est vrai enfin que c'est effectivement dans son propre village natal que Zaïmeche a tourné son film avec ses cousins et avec les membres de sa propre famille et dans les mêmes endroits où il jouait lorsqu'il rentrait en vacances.

L'Algérie est là, par sa montagne et par sa mer. Elle est là aussi par l'image d'une société violente et écrasée par le poids de ses traditions et de sa crise politique et spirituelle. Elle est là en la personne de Louisa (alias Meriem Serbah), la jeune femme qui se bat contre une société entière pour garder son fils. L'Algérie c'est aussi Bouzid et toute sa génération en proie à un conflit absurde. Ce "Bled" (le mot signifie en arabe "la patrie") est un pays qui se construit pièce par pièce dans la tête du réalisateur et devant les yeux du spectateur.

Mais on se perdrait facilement à ne voir dans ce pays que l'Algérie, le pays d'origine. Ce n'est pas "[...] une terre particulière mais "la" terre au sens universel, mythique,…" C'est en ces termes que Ameur-Zaïmeche répond lorsqu'on lui demande si c'est de l'Algérie qu'il parle. Perdu entre deux pays, Kamel est complètement dépaysé. Louisa aussi est égarée après avoir perdu son unique point de repère : son fils. Les deux personnages se retrouvent dans une très tendre complicité qui les renvoie l'un à l'autre comme un miroir renvoyant à chacun son reflet.

En fait les deux personnages ne se retrouvent que dans un monde d'exil intérieur. Louisa ne retrouve sa liberté que lorsqu'elle pourra donner libre court à son violent désire de chanter le blues. Cela a lieu dans un asile psychiatrique. Kamel lui, n'embrassera sa liberté que dans un monde fantasmatique où il rencontre comme par enchantement Rodolphe Burger guitare à la main, ampli à ses côtés sur une colline de la région de la Kabylie.

Dans les deux cas nous sommes projetés dans un monde irréel. Les deux personnages sont comme la tortue : condamnés à porter leur carapace sur le dos. Louisa a fini par intérioriser son rêve. Kamel a compris qu'il doit porter son pays en lui-même. De la même manière, pour Rabah Ameur-Zaïmeche, le Bled number one n'est finalement ni la France ni l'Algérie, mais tout simplement son cinéma. C'est le cas de cette génération de cinéastes africains condamnés à vivre en Europe et à puiser leur cinéma dans leur pays d'origine et qui se retrouvent en train de faire un cinéma sans territoire, un cinéma qui n'a pour pays que lui-même.

Par Hassouna Mansouri

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