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Échos des guerres en Guinée
Rencontre avec Cheick Fantamady Camara, Rà propos de Bè Kunko
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 30/11/2006

L'instabilité politique répandue dans plusieurs pays d'Afrique, ne favorise pas la production de longs métrages. La violence qui en découle est dénoncée de front ou évoquée en toile de fond, dès que les artistes peuvent s'exprimer par le cinéma. Ainsi la tension subie par l'Angola durant de longues années de guerre, sert d'axe aux récits de Un héros de Zézé Gamboa, 2004, et Dans la ville vide de Maria Joao Ganga, 2004. Les douleurs de l'apartheid qui a déchiré l'Afrique du Sud, sont à la base de Lettre d'amour zoulou de Ramadan Suleman, 2004. Les traumatismes liées aux guerres avant les indépendances, se retrouvent dans Fatima, l'Algérienne de Dakar du Mauritanien Med Hondo, 2004.
Ces longs métrages récents s'articulent sur la représentation des effets de la violence plus que sur son illustration directe. Les réalisateurs d'Afrique Noire semblent plus enclins à suggérer les chocs provoqués par les conflits, qu'à les montrer. Cette position va à l'encontre des fictions occidentales traitant des guerres et des affrontements. Elle s'appuie sur des regards sensibles, ouverts aux dimensions symboliques, sur les événements qui secouent les sociétés africaines. Et les jeunes cinéastes veulent aborder les conséquences des guerres et des troubles sociaux, en s'exprimant sur des supports et des formats diversifiés.
La pratique du court métrage qui permet de s'émanciper des coûts de production lourds, témoigne de la volonté des réalisateurs d'employer le cinéma pour sonder l'impact de la violence. Cheick Fantamady Camara, né à Conakry, s'est fait connaître avec Cahier de mémoire, 1997, et Konorofili, 2000, avant de tourner en Guinée, Bè Kunko (2004). Il y raconte le quotidien d'adolescents dans un camps de réfugiés. Leurs péripéties rebondissent sur la violence qu'ils ont connue pendant la guerre, en alimentant une fiction, faite pour émouvoir.

Michel Amarger: - "Pourquoi prendre une situation particulière comme celle d'un camp de réfugiés, pour réaliser Bè Kunko ?

Cheick Fantamady Camara: * Bè Kunko veut dire "Nos problèmes". Ce sont nos problèmes sociaux. Ce camp parle en nous. Il y a des adolescents, sauvés par miracle d'une situation de guerre, qui se retrouvent là. Mais ils vivent une autre guerre : c'est l'après guerre qui les désintègre. Leur adolescence a été volée par les adultes. L'autre guerre, c'est le nouveau chemin de la vie qu'ils se sont donné.

- Vous avez donc choisi de raconter ce qui fait écho à ces guerres déclarées dans plusieurs pays d'Afrique…

* La Guinée est entre deux pays qui ont été en guerre, la Sierra Leone et le Liberia, mais aujourd'hui, heureusement, ça c'est calmé. La Guinée a ressenti ces guerres à travers les réfugiés qui sont venus s'y sauver.

- L'arrivée de ces réfugiés vous a marqué ?

* Oui, ce film a germé dans ma tête depuis 1996. A ce moment, la Guinée était peuplée de réfugiés. Un jour, j'étais en promenade à Conakry, et j'ai rencontré un groupe d'enfants réfugiés. J'ai pris le temps de discuter avec eux et c'est à partir de là que j'ai eu l'idée de faire un film. C'était ma seule arme. J'étais révolté en entendant ces enfants parler. Je voyais dans leurs yeux ce qui leur avait été volé.

- Est ce plus efficace de parler de la violence sans la montrer directement ?

* C'est ma manière de raconter. La guerre est dramatique mais l'après guerre l'est aussi. Elle dure beaucoup plus longtemps. L'efficacité de ce qu'on raconte dépend de la manière dont on le fait et comment on montre les effets de la guerre, les réactions des gens.

- C'est pour cela que vous mettez en scène un groupe de jeunes qui ont des comportements différents par rapport à la violence reçue ?

* Mon film ne raconte pas une histoire, il montre différents personnages. Ca peut symboliser toutes les situations de guerre. Un garçon réagit par la violence, l'autre par sa mémoire. Il vit toujours la guerre dans sa tête. L'un refoule la guerre par la violence et l'autre par tout ce qui lui revient: les scènes vécues, les cauchemars. L'un cherche à en sortir mais l'autre s'y enfonce encore plus.

- Comment les filles sont-elles touchées dans le film ?

* Il y a plus de garçons que de filles qui ont été enrôlés dans la guerre. Pour elles, le fait d'être arrachées de leur milieu familial, de l'amour des parents, les conduit à se construire une autre vie. Elles préfèrent se prostituer, voler. Les garçons volent, braquent et reconduisent la violence qu'ils ont vécue.

- Comment suggérez vous cette violence ?

* Je l'exprime par les braquages et aussi par les rêves, les cauchemars et même dans leur langage. Quand John fait un cauchemar, il le raconte à Tom. Et celui ci dit: "Fous moi le camp. Toi, tu as vécu ça en rêve, moi je l'ai fait. Donc je ne veux rien entendre." C'est aussi violent que de tirer sur quelqu'un.

- Vos jeunes interprètes ont ils été marqués par la violence des situations qu'ils avaient à exprimer ?

* Il y en a parmi eux qui étaient de vrais réfugiés et qui avaient connu cette situation. Beaucoup d'interprètes étaient de Sierra Leone et ils avaient vécu ça. Ils jouaient bien parce qu'ils savaient ce que je leur demandais de faire.

- Cela réveillait-il des choses personnelles en eux, que vous avez utilisées pour donner de l'intensité au film ?

* On n'a pas vraiment discuté de ça. Au contraire, j'évitais d'en parler parce que je travaillais dans un camp de transit, à 100 kilomètres de Conakry, et je ne voulais pas en rajouter. Je les ai juste pris comme acteurs et ils ont joué.

- Estimez vous que la violence est moins forte aujourd'hui ?

* Le camp est fermé. Il y a toujours de la violence à Conakry mais elle n'est pas aussi intense. Seulement il n'y a pas que les réfugiés qui accroissent la violence, il y a une délinquance locale qui l'accroît et les armes circulent. Dans tous les pays où il y a eu la guerre, les armes circulent toujours.

- Quel est le pouvoir du cinéma par rapport à cette violence ?

* Il peut sensibiliser les gens, les chefs de guerre sans coeur. J'ai une haine illimitée contre ceux qui attisent les guerres. Il y a une scène violente que j'ai tournée. C'est quand la fille de 14 ans, vient parler de ses qualités corporelles pour se vendre en disant: faire ça coûte tant, faire ça coûte tant. Elle raconte des choses horribles pour un parent qui est face à cette image. Je l'ai voulu pour provoquer, pour que les gens sachent, qu'ils imaginent leur propre fille à la place de cette fille… Nous cinéastes, on ne peut que dire. J'ai fait ce film pour sensibiliser."

par Michel AMARGER
(février 2005)

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