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Une face cachée de la guerre
Daratt, de Mahamat Saleh HAROUN
critique
rédigé par Souhir Driss
publié le 21/12/2006

… Une certaine humanité tremblait dans la main armée de Atim… En effet, le personnage de Atim, l'orphelin qui a grandi bercé par la haine contre l'assassin de son père incarne majestueusement une question importante : Est on capable de pardonner un acte criminel ? Question si pointue et difficile dont les caractères peu évidents ne cessent de proliférer au long du film de Mahamat Saleh HAROUN.
Dans une démarche qu'on peut situer au bord du tragique, s'effectue une remise en question du principe de la vengeance comme acte juste ou encore équitable.

Atim est hanté depuis son enfance par un seul événement : que son père était sauvagement assassiné par un certain soldat pendant la guerre civile. Poussé par son grand père, qui se préparait depuis à cette heure, Atim part à la poursuite de l'assassin pour se venger. Paradoxalement la cible, qui se manifeste en un vieux boulanger paisible et n'ayant aucune idée sur ses véritable intentions, l'accueille avec une hospitalité inattendue. Tout en se laissant aller par les faits nullement prévus, Atim multiplie les tentatives d'accomplir sa mission. Tandis que son hôte s'attache de plus en plus à lui, au point de lui proposer l'idée de l'adopter. Comble de l'ironie… ce sera lui aussi qui conduira Atim à son supposé père pour en lui demander la permission. Et c'est ainsi que s'établit un face à face crucial anéantissant plusieurs années écoulées entre l'ex-criminel de guerre et le père aveugle qui n'attendait que ce moment. Ce serait le grand procès dont Atim est le juge.

Le film semble n'être qu'un processus de déception de toutes nos assurances acquises au début. Atim, dont le nom même ("Yatim" signifiant "orphelin" en langue arabe), inscrit décisivement le destin dans une mémoire ou mémorisation vouée à la vengeance, se trouve entièrement désarmé et dépouillé. Le jeune homme qui croyait plaider une cause juste, qui se préparait à confronter un monstre humain, duquel il aurait tracé le pire des profils, se trouve plutôt face à un vieil homme, de conduite correcte. Même plus, cet homme, converti à la vie civile, devient un bienfaiteur généreux qui offre régulièrement le pain aux enfants pauvres, il n'hésite pas de recruter Atim qu'il croyait un chômeur en difficulté et de le loger chez lui tout en lui apprenant les secrets de son métier. Atim découvre que le vieux boulanger n'est cependant point heureux, qu'il est meurtri de maladie et de malaises. Tous ces constats rendent la tâche de Atim pénible. Celui-ci, s'il n'a pu modifier son attitude haineuse et méfiante envers son hôte, il n'a également pas pu se livrer à l'exécution. Sa main tremblante le trahit chaque fois qu'il saisit son arme pour tirer sur le boulanger. Voici que les repères se brouillent, laissant Atim dans la perplexité, car la situation, nullement évidente, s'ouvre plutôt sur des interrogations difficiles : A supposer que Atim achève le vieil homme, qui serait le criminel ? Car, qui saurait trancher quant à la prétention de la justice ? Et, si le vieux guerrier est un monstre, Atim n'en semble pas l'être moins. Or, si les actes du premier étaient en quelque sorte justifiés par la logique de la guerre qui avait lieu au moment de son crime contre le père de Atim, le second n'aurait aucune justification pour offenser un vieil homme chez lui, après la fin des hostilités. Ce sont les dilemmes au centre desquels s'ouvre dans le film une nouvelle optique de questionnement : Est on capable de pardonner ? Le pardon n'étant pas un don absolu, mais plutôt une conscience aigue d'une certaine complicité, au point de couper court à toute réponse décisive et tranchée. Car il s'avère bien que le vieux, le monstre du passé, est capable de manifester le mieux de ce qu'on peut appeler noblesse humaine. En revanche, Atim qui ne portait aucun doute sur la noblesse de sa cause, s'avère être préparé à se réduire à la monstruosité pure et brute, poussé par une passion vengeresse aveugle. C'est alors qu'advient le thème du pardon, comme acte généreux aussi bien envers l'autre qu'envers soi même. En effet, au cœur de la décision s'inscrit une conscience qui apprend son appartenance à la même humanité qui, vraisemblablement, peut unir le bourreau et la victime. Humanité qui n'est foncièrement ni bonne ni méchante, mais elle n'est pas moins gérée par les conflits (pour lesquels il revient aux humains seuls de les maîtriser).
Toutefois, une telle décision n'était pas facile pour Atim qui a tenté l'évasion pour fuir des résolutions dont nulle n'est aisée. Elles sont toutes problématiques.
Par là même, le film s'inscrit dans la ligne du tragique, ou les personnages sombrent dans la perplexité. Atim, désorienté, n'est plus dans sa première assurance qui le conduisit à la poursuite de l'assassin de son père pour accomplir un acte héroïque. Toute la lucidité se dissipe pour céder la place à l'ambiguïté et l'indécision. Ciblant sa proie, il devient lui-même proie du plus dur des conflits.
Le boulanger de sa part n'a pas pu regagner la paix et le bonheur. Affaiblit par la maladie, il devrait affronter tragiquement une solitude terrible. Il est bien conscient qu'il est haï par tout le monde, les regards furieux de Atim ne lui échappaient pas, il sait que sa jeune épouse éprouve des affinités envers son nouvel apprenti, il les soupçonne même de complicité. Même l'espoir d'avoir son propre enfant s'envole avec l'avortement accidentel de sa femme. Encore plus, il était lui-même victime d'un attentat où l'on a essayé de l'égorger, échappant à la mort, il est condamné à un handicap permanent. Pourtant le vieil homme semble être conscient qu'il est fouetté par son propre passé, il l'assume sobrement comme l'on assume un destin. Et comme le veut toute tragédie, ce destin va le mettre, par son propre vœux, et sans qu'il le sache, devant le père de sa victime où il devrait rendre les comptes anciens. Mais la décision n'était pas dans une fatalité quelconque, mais plutôt entre les mains d'un humain, Atim, qui, cette fois-ci arrive à se résoudre. Sa main tranquille et assurée, s'éloigne de la silhouette du vieux malheureux pour tirer les balles dans l'air…
Toutefois, une question se pose : Atim en fait, a-t-il pardonné le vieil homme ou bien aurait il préféré l'abandonner à son destin ? La réponse à une telle question reste suspendue, Atim l'emporte en disparaissant progressivement dans l'étendu du désert avec son grand père. Quoi qu'il en soit, c'est bien "une saison sèche", mais de sècheresse si désirée d'autant qu'elle s'abstienne à la moisson de la vengeance.
Quant au style, le film ne manque pas l'originalité et la force. Il s'affranchit délibérément de la narration directe pour se livrer à un jeu d'allusions et de révélations qui arrivent seules à nous mettre dans l'histoire. Le dialogue aussi est bien épargné, ne paraissant que dans des conversations brèves et pointues où la communication s'établit presque unilatéralement, car l'on se rappelle à peine avoir entendu la voix de Atim qui a été au long du film quasi silencieux. Mais dans ce silence de mort, et peut être grâce à lui, fleurissent les émotions les plus ardentes, qui dans leur grande intensité tracent la démarche du film comme une série de situations limites : la quête de la vengeance, le vieux face à son destin, le conflit interne de Atim, la décision finale…Se passant du discours, la caméra a pu mettre en évidence les attitudes des personnages dans leurs tensions, dans leurs confrontations et dans leur évolution Ayant recours aux gros plans, et poursuivant minutieusement les expressions de visages et les gestes, la caméra dépeint d'une manière saisissante des sentiments : haine, hostilité ou hésitation, perplexité…, et des attitudes : main tremblante indécise, main assurée et résolue…
Il reste à dire que le film de Mahamat Saleh HAROUN nous interpelle encore à une réflexion sur la guerre, non pas comme évènement dont nous connaissons plus ou moins les atrocités, mais plutôt comme destin qui contraint les humains à en endurer les conséquences après les fins des hostilités guerrières. Les règlements de comptes qui en suivent ne pouvant que continuer la guerre par d'autres manières, voire les régénérer et les reprendre.

Souhir DRISS

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