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Mode de la Poupée en mode majeur
Les Poupées de sucre de Nabeul, de Anis Lassoued
critique
rédigé par Amel Safta
publié le 23/12/2006

La poupée envahit de plus en plus divers genres de l'expression artistique et littéraire ; et ce depuis plus d'une vingtaine d'années. Longtemps, il y a eu un intérêt pour la poupée. Nous sommes nous même auteur d'une petite pièce de théâtre pour enfants intitulée Addumya ("La Poupée", revue R.T.T., Tunis, 09/05/1992) et de plus d'une quarantaine de gouaches et d'acryliques créées à Paris en 1984 et exposées en partie à Tunis au centre culturel russe en novembre/décembre 1995.

Ainsi, il n'est pas aisé pour nous de lire par exemple un poème comme Dumyat ettin "Poupées d'argile" de Hafedh Mahfoudh, 1989), Ara'is Allah ("Poupées d'Allah", toujours de Hafedh Mahfoudh, roman, 1997), ou Dumyat attin ("Poupée de Soleil", poème de Amira Errouigui, revue Mir'at al-wasat, Sidi Bouzid, n° 94 novembre 1998) de voir La Poupée (court métrage amateur, N.B., 17 min, Ahmed Khechine, 1971) ou encore Ara'is attin ("Poupées d'argile", long métrage, Nouri Bouzid, 2002) ou même l'exposition de photos intitulée "Acte de naissance : poupée incassable, inflammable, lavable" (Amel Bouslama, Hammamet 2003 et Tunis 2005) sans éprouver le besoin de réagir aux poupées, cette fois de sucre, de Anis Lassoued.

Projeté pour la première fois lors des J.C.C. 2004, ce film s'annonce dès l'attaque, autobiographique : "Depuis ma plus tendre enfance et à chaque Nouvel An de l'hégire, mon père n'a jamais manqué de ramener nombre de figurines de sucre à la maison" (informations qui nous parviennent par la voix du narrateur).
Toutefois, on ne tarde pas à se rendre compte que le film est hybride. Son caractère investigateur valorise un objet à la fois puéril, ludique et folklorique. Bibelot et/ou fétiche, l'objet cible et/ou pivot est une miniature en sucre obtenue à partir de moules en plâtre et habillée d'une palette de couleurs fort chatoyante.
Quel est le statut de cet objet ? Paradoxalement, la fabrication de ce "jouet" est loin d'être destinée au jeu. Cette friandise non périssable (rappelant les petites pommes enrobées de cire rouge qu'on rencontre ainsi que les "barbes à papa", à la sortie de certaines écoles du centre de la ville de Tunis) n'est pas non plus destinée à la consommation des enfants.
Qu'adviendrait-il si un enfant, par mégarde ou par gourmandise, venait à la porter à sa bouche ? Nous ne relevons aucune information rassurante sur le caractère non nocif de ces produits chimiques sans doute bien étudiés et adaptés au destinataire. Cet objet matériel et solide mais fragile et donc pas aussi ludique qu'on le croyait est tout simplement et en priorité destiné à la petite fille nabeulienne en quête du grand bonheur : s'uda (en hébreu) ou sa'd (en dialecte tunisien).
La coutume nabeulienne veut que l'objet soit caché durant de longues années dans le mathrid (assiette creuse en argile peint) de la petite fille, objet quelque peu superstitieux constitutif de son trousseau qui ne réapparaîtra que le jour de son mariage. Les petits garçons, quant à eux, ont droit à des animaux tels que coqs, chatons, lionceaux,… Ceux là, par contre, ont plus un statut de bibelot que de fétiche ou de gris-gris.
Construit sur des témoignages vivants et sympathiques de petites gens (femmes tunisiennes musulmanes et hommes tunisiens juifs et musulmans), les Poupées de sucre nous a pertinemment transmis une note affective, à peine redondante quelquefois, à l'égard de cette vieille coutume en voie de disparition.
Ces témoignages nous ont laissée sur notre soif quant à la poupée du diable (arousit iblis).

Grâce à sa veine à la fois historique et anthropologique, le plan de l'ethnologue italien corrobore les origines tant siciliennes que juives de la poupée de sucre en Tunisie et particulièrement à Nabeul. Ainsi, apprend-on que l'artisan précurseur de cette poupée (hélas pour les enfants, non consommable) n'est autre que le pâtissier monsieur David PARIENTE, installé à Nabeul depuis le premier quart du siècle écoulé.

Qu'en est-il à présent des défauts de ce film ?
Les Poupées de sucre souffre, nous semble t-il, de trois faiblesses principales :
1- L'absence déconcertante de l'enfant,
2- La dilatation,
3- Le glissement dans le hors sujet.

D'abord, notre poupée de sucre est une fête pour les enfants. Seulement, cette fête se révèle sans enfants ! L'enfant brille par son absence : aucun témoignage de petites filles ou de petits garçons (ou même d'adolescents se souvenant) ; aucun plan individuel et/ou collectif d'enfants au contact avec l'objet noyau.
Ensuite, les documentaires dépassant la durée d'un court métrage sont à notre connaissance, rares dans le cinéma tunisien. Notre film d'une durée de trente quatre minutes, aurait gagné à être contracté à vingt ou vingt cinq minutes maximum.
Enfin, le rythme du film s'est relâché à cause de longueurs injustifiées. Une série de plans sur le cimetière punique, sur les rues de Nabeul, sur des jeunes filles en vélo, sur la poterie de la région, sur la mer et la pêche, installent une confusion thématiques assez perturbante.
Un seul plan bref et percutant sur la religion musulmane, par exemple, aurait largement suffi. Le documentaire en question n'a pas pour thème cette belle région du Cap Bon, encore moins la religion musulmane mais bel et bien comme l'annonce déjà le titre, les poupées de sucre de Nabeul.
Certes l'apport du réalisateur est d'avoir exhumé (dans une veine anthropologique) un aspect folklorique du patrimoine populaire tunisien. Mais, pour un objet de fantaisie si gentil et si innocent, le ton du commentaire nous parait par moments un peu trop sérieux.
Le dernier plan avant le générique fin s'avère réussi : la poupée coquette vedette de Nabeul, enveloppée dans un papier cellophane comme dans une gaze ou dans un voile de mariée, trône sur l'étagère d'une échoppe des souks parmi d'autres poupées du monde entier (de matières différentes quant à elles). Par ses couleurs et par son message, ce dernier plan déborde de gaieté et de fierté.
En somme, la poupée du Nord de la Tunisie : de Sejnane (Poupées d'argile) à Nabeul (Poupées de sucre de Nabeul) a commencé enfin à faire parler d'elle ; qu'en est-il de celles du Centre, du Sahel et du Sud tunisien ?

Amel Safta

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