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Tragique solidarité organique
Bana ba nyoué, de Toussaint Adrien Eyango
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 26/12/2006
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa

Furieux contre leur frère Dina, Eyoum et Ndomè se mettent à ses trousses pour dénoncer les termes de la succession de leur père. Ce dernier aurait négligé leur éducation au détriment de leur frère Dina, jeune homme d'affaires très riche qui a bénéficié d'une bonne formation avec, à l'appui, des études en Occident, "gage d'une réussite sociale garantie". Et aujourd'hui, Dina devrait leur être infiniment reconnaissant. La réaction de Dina est sans équivoque, il s'occupe déjà assez d'eux et ne saurait aller au-delà de ses possibilités. Entre autres raisons qu'il évoque : la dilapidation des biens, la paresse et l'attentisme dont ils font preuve. Plusieurs conseils de famille se tiennent et Dina campe sur sa position. Des tribulations diurnes et nocturnes s'ensuivront, ses frères décideront de "donner une bonne correction à ce téméraire". Au bout du compte, des morts sur le carreau : l'élimination physique du couple de Dina et laissant par l'occasion quatre enfants, quatre orphelins d'où le titre du film. Mais cette tragique et précoce disparition des parents n'est pas d'humeur à ébranler la conscience des enfants. Habitués, eux, à travailler ensemble et unis dans la prière, les orphelins de Dina réussiront à fructifier le chiffre d'affaires de leurs parents malgré tout.

Toussaint Adrien Eyango entre officiellement dans la loge des réalisateurs en matière de film avec Bana ba Nyoué (Les orphelins). Il confirme par-là son faible pour le social, depuis ses passages sur plusieurs plateaux de films qu'il a écumé en tant qu'assistant et qui ont traité pour l'essentiel de la question du social. Le plus illustre de ses mentors est Dikongué Pipa, réalisateur du classique africain Muna Moto (1971). La première livraison cinématographique de ce dernier présentait déjà un réquisitoire contre le phénomène de la dot dans la société camerounaise. Le système social camerounais à travers le cliché d'une famille parle de la solidarité à l'intérieur du noyau familial africain dit organique. Avec Bana ba Nyoué, le réalisateur s'offre le plaisir de raconter une histoire simple avec des faits réels pleinement situés sur le terrain de l'actualité quotidienne de la société africaine moderne, enclin à des mutations diverses.

Flash back

Le film se construit autour du flash back, sur le principe de l'antériorité et de l'intériorité avec un luxe de détails fascinant. Une idée à peine développée se noie dans une autre. Ouverture par l'annonce du décès des parents sur un long travelling qui sinue à l'intérieur de l'appartement hypermoderne de la famille de Dina. Le film nous transpose ensuite dans l'univers de la tristesse (les parents donnent aux enfants les séances de prière réguliers). Et puis, il nous ramène à l'intérieur de l'harmonie qui régna autrefois dans cette famille, du vivant de leurs parents. Le réalisateur décide de se mettre en scène (Dina dans le film) pour mieux intégrer le monde de son histoire dans le temps et l'espace. Un lyrisme humble qui n'exclut ni des scènes fortes d'action (chaudes prises de bec au village) ni des moments touchants. On traverse l'intérieur du sentiment familial en remontant en surface, les sacrés moments unis dans, l'effort, la paix et la crainte de Dieu. Ajoutés à cela des plans larges, en guise d'exposition, dans la ville de Yaoundé. Et le film se dénoue progressivement autour de ses différentes problématiques qu'il évoque en passant avec beaucoup de manière. Et le spectateur pénètre dans ce qui constitue le débordement de la limite sociale de l'esprit. Après la mort de leurs parents, les enfants réussiront à faire prospérer les affaires au grand dam de leurs oncles paternels. C'est là le côté innovant du scénario. Il ne s'apitoie point sur le sort des simples orphelins comme dans bien des contes sur l'Afrique. Il leur donne une force physique et mentale.

Enlèvement

Ses personnages se situent à des extrémités bien précises – milieu urbain avec des influences fortement moderniste (père Dina et sa famille en ville) - traditionaliste et borné en zone rurale. Le contraste se lit facilement dans les appréhensions qu'ils ont chacun de la société actuelle. On est tout même loin de la critique convenue et vainement provocatrice qui, sous un sceau polémiste, présente les antagonismes traditionalité-modernité. Le réalisateur sait justement contenir ses ardeurs et interroge plutôt l'existence. La technique d'écriture s'inspire étrangement à Muna Moto de Dikongue Pipa.
Dans la seconde partie du film (la plus mouvementée) le rapt de Reina, la benjamine des Dina est orchestré par ses oncles paternels qui continuent à en vouloir à la richesse de leur défunt frère, ajouté à l'opulence insolente des enfants (voitures de luxe, construction constante des immeubles etc..).
Le film présente en outre une enquête policière qui aboutit. Et c'est là que le sujet se détache de la réalité pour la vraisemblance. En opérant une incursion dans ce qui en fait constitue un pilier majeur du développement social. Dans un système étatique connu de tous pour sa lenteur administrative et judiciaire, où le moyen de recours le moins indiqué, en cas de problème, est la justice et de surcroît la police, le réalisateur introduit une histoire une traque policière contre les assaillants, avec des éléments de recherches bien modernes (recherches à partir des numéros de téléphones, hébergements des victimes par le commissaire à son domicile). À partir de là, le réalisateur montre qu'il croit à la réussite possible dans sa société.
Tourné en numérique, on a une photographie remarquable de Bonaventure Takoukam, le directeur de la photographie, qui signe ici, l'une des dernières oeuvres de son voyage terrestre.

Bana ba Nyoué, est une chronique sociale douce d'un réalisateur qui cherche à exprimer avec lucidité et intelligence, son monde : celui de l'Afrique moderne. En touchant la question de la solidarité organique africaine, il restitue sans pathos, les déviances fortes de cette société actuelle : paresseuse, orgueilleuse et narcissique. C'est une belle manière d'assouvir un besoin profond. Celle de dire les choses sur sa propre réalité et d'en éveiller en même temps le sens critique.

Martial E. Nguea

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