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Cinéastes d'Afrique noire : parcours d'un combat révolu
Afriques 50 : Singularités d'un cinéma pluriel. (L'Harmattan, 2005)
critique
rédigé par Clément Tapsoba
publié le 08/01/2007

L'histoire du cinéma africain est d'abord et surtout celle d'un engagement. Celui, d'abord individuel de passionnés de cinéma, comme Paulin Soumanou Vieyra, Robert Caristan, Mamadou Sarr, Jacques Mélo Kane ; collectif, par la suite, à partir du moment où Vieyra et ses amis constituent le Groupe Africain de Cinéma (le groupe qui n'avait aucun caractère juridique a été créé en 1952 et a cessé d'exister après 1966). À la naissance du cinéma d'Afrique noire il était une évidence que l'engagement des cinéastes ne pouvait qu'être à la fois idéologique, économique et culturel.
Aux cotés des autres intellectuels africains qui se sont organisés en syndicats, partis politiques, associations d'écrivains dans le mouvement de revendications pour l'émancipation le Groupe Africain de Cinéma a joué un important rôle pour imposer le cinéma en tant que moyen d'expression et de liberté en Afrique.
Paulin Soumanou Vieyra dans son ouvrage Le cinéma et l'Afrique rappelle : "en 1955, lorsqu'un petit noyau d'Africains et d'Européens discutait de cinéma dans les salles enfumées des salles d'Europe, on ne leur prêtait guère attention. En voulant d'un cinéma africain, et travaillant à son avènement, à l'époque, ils combattaient pour l'indépendance à leur manière ; car il ne faisait aucun doute que seule la souveraineté nationale des pays africains permettrait l'expression cinématographique de la réalité authentiquement africaine".
Faire le parcours de cinquante ans de cinéma d'Afrique noire, c'est examiner le parcours d'un combat, d'un engagement collectif et ses effets sur l'évolution des cinémas d'Afrique noire, tant sur le plan des choix thématiques et esthétiques des cinéastes qu'au plan des politiques cinématographiques envisagés au cours de cette période.
En 1955, l'Afrique noire était encore en grande partie sous domination coloniale européenne. Les revendications pour l'indépendance des peuples colonisés prennent un nouveau ton avec le discours pamphlet contre le colonialisme, prononcé en 1950 par Aimé Césaire : "Le discours sur le colonialisme" (publié plus tard en 1956 par Présence africaine) Celui-ci reprend, en les radicalisant, les idées exprimées dès les années 30 par les intellectuels africains et antillais au sujet du rôle de l'entreprise coloniale dans la désorganisation des sociétés et la négation des cultures des peuples colonisés…
La conférence de Bandoeng qui se tient en Indonésie en 1955 permet, pour la première fois aux peuples d'Afrique et d'Asie, de faire entendre leur voix pour réclamer le droit à l'émancipation des peuples, à la revalorisation de leur image. La réalisation d'Afrique sur seine constitue le symbole d'une telle revendication. L'organisation, en septembre 1956 à Paris, du premier congrès des écrivains et des artistes noirs "qualifié de Bandoeng culturel" consacre l'importance de la culture dans le combat pour l'indépendance. Le groupe africain de cinéma y prend part pour affirmer avec ses homologues écrivains, poètes, "qu'il n'y a pas de peuple sans culture, pas de culture sans ancêtres, pas de libération culturelle authentique sans libération politique préalable".
Mais c'est surtout à l'occasion du deuxième congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Rome, en 1959, que le groupe africain de cinéma, sous la houlette de Paulin Vieyra va jouer un rôle dans la rédaction des textes pour le développement de l'art en Afrique. Pour ce qui est du cinéma, la résolution indique que le cinéma avait servi jusqu'alors les objectifs du colonialisme et souligne la nécessité pour les africains de s'approprier ce moyen d'expression pour l'éveil des consciences. La résolution stipule en outre que les prochains congrès doivent être accompagnés d'un festival sur l'Art africain.
Cette résolution est concrétisée en Avril 1966 par l'organisation du premier festival des arts nègres de Dakar où les films du continent sont projetés (en tout 26 films représentant 16 pays africains). À l'issue du colloque sur l'art nègre et sous l'instigation du groupe africain de cinéma, il est préconisé la création d'un organisme inter-africain de la cinématographie qui aurait notamment son siège à Dakar, l'organisation régulière de rencontres des professionnels africains du cinéma, la formation des cinéastes, techniciens, comédiens africains ; l'adoption de mesures en faveur du développement de tous les secteurs de l'industrie cinématographique.

Le groupe africain de cinéma affiche sa détermination pour le contrôle du secteur de la distribution de films en Afrique, alors sous tutelle des sociétés COMACICO et SECMA. Un long combat venait d'être lancé.
Certaines de ces résolutions ne tarderont pas à être mises en pratique.
Au nord, la Tunisie crée en 1966 les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC).
Trois années plus tard, en 1969, s'organise au Burkina la première Semaine du cinéma africain qui deviendra en 1972 le festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Auparavant, dans le secteur de la distribution et de l'exploitation, le Burkina nationalise, en 1970, son marché cinématographique et s'approprie les salles de cinéma avant de créer une société nationale de distribution et d'exploitation. L'acte est salué par l'ensemble des cinéastes qui s'offrent cette année-là une organisation continentale : la fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI).

Création de la FEPACI

Il est incontestable que la création de la FEPACI a été un pas décisif dans l'engagement collectif des cinéastes. On le doit au Groupe africain de cinéma et en particulier à Paulin Vieyra, qui ont contribué à en jeter les bases lors du Festival Culturel Panafricain d'Alger tenue en 1969. Une année plus tard, la FEPACI devient réalité, à Tunis, à l'occasion des troisièmes Journées Cinématographiques de Carthage. Le premier secrétaire général élu est le sénégalais Ababacar Samb Makharam. Les pionniers de cette organisation ont pour nom : les Sénégalais Paulin Vieyra, Sembène Ousmane, Momar Thiam, les Nigériens Oumarou Ganda, Moustapha Alassane, Zalika Souley, les Tunisiens Tahar Cheriaa, Hassan Daldoul et Hatem Benmiled, le Mauritanien Med Hondo, le Malien Souleymane Cissé, le Guinéen Moussa Diakité, l'Ivoirien Timité Bassori, le Sud africain, Lionel N'Gakane.
La FEPACI apparaît alors comme une organisation unique du genre dans la mesure où, jusqu'à ce jour, elle n'a pas son équivalent, ni en Europe, ni en Amérique, ni en Asie. Elle ne se contente pas d'exister. Elle traduit l'engagement des cinéastes d'un continent pour un combat anti-impérialiste à travers la fameuse Charte d'Alger adoptée à l'unanimité le 18 janvier 1975 lors du deuxième congrès de la FEPACI dans la capitale algérienne : "…le cinéma a un rôle primordial à jouer, parce qu'il est un moyen d'éducation, d'information et de prise de conscience et également un stimulant de créativité… La réalisation de tels objectifs suppose une interrogation du cinéaste africain sur l'image qu'il se fait de lui-même, sur la nature de sa fonction et de son statut social et d'une façon générale sur sa situation au sein de la société."…
Cet engagement des cinéastes couvre approximativement la période 1960 à 1980. Elle peut être qualifiée de période de "militantisme politique". Ce militantisme se manifeste sur le terrain par les réalisations de la FEPACI. À la suite de Tahar Cheriaa, citons pêle-mêle, l'élaboration, l'adoption, en congrès ou en assemblées générales et la divulgation de textes directeurs, idéologiques et stratégiques, notamment la charte d'Alger, les résolutions de Niamey (mars 1982), le soutien à la création du FESPACO et du MOGPAFIS en Somalie en 1981(ce festival a disparu après quelques éditions), la création du CIDC CIPROFILM en 1974, dans la suite logique de la résolution préconisée par le groupe africain de cinéma etc.
La FEPACI est en outre reconnue dès sa création comme membre observateur par l'Organisation de l'Unité Africaine et comme ONG représentative par l'UNESCO et d'autres instances internationales comme l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie, la Ligue Arabe, l'Union Européenne, etc.

Militantisme et choix thématiques et esthétiques

Qu'en est-il de l'impact de cet engagement militant sur les choix thématiques et esthétiques des films réalisés durant cette période. ?
À l'image de certains films comme Afrique sur seine, Borom sarret, La Noire de…, les films tournés dans la première décennie des indépendances sont précurseurs par leur thématique mais en conformité avec l'esprit de la Charte d'Alger. Durant cette période de militantisme politique - à l'exception de Sembène Ousmane, qui rappelle avec son film Emitaï (1971) la résistance opposée par des paysans et des paysannes de Casamance à des réquisitions de riz pendant la seconde guerre mondiale - peu de cinéastes d'Afrique noire se sont intéressés à décoloniser l'histoire en réalisant des films sur la résistance au colonialisme - à l'instar des cinéastes maghrébins. La majorité des films tournés en Afrique noire francophone, se caractérise essentiellement par la contestation, qui s'illustre dans la permanence des thèmes que les cinéastes développent et les problèmes qu'ils racontent : difficultés des gens du peuple dans Borom sarret, (1963, de Sembène Ousmane) considéré comme le premier court-métrage authentiquement africain ; dénonciation du néocolonialisme dans La Noire de…, (1966, Sembène Ousmane) ; dénonciation de la nouvelle bourgeoisie africaine dans Xala, (1974, Sembène) ; opposition entre tradition et modernité dans Kodou, (Ababacar Samb Makharam, Sénégal, 1971) ou dans Muna moto (Dikongué Pipa, Cameroun, 1975) ; les séquelles de la décolonisation avec Concerto pour un exil (Désiré Ecaré, Cote d'ivoire, 1968). Pour les cinéastes de cette génération, il s'agit de remettre en question le système qui a succédé à l'ère coloniale, voire d'interpeller la conscience des jeunes africains. Dans ce sens, le film Touki Bouki (1972) de Djibril Diop Mambety, qui marque la rupture avec la forme narrative classique des films de cette période n'en demeure pas moins un film militant.



Le temps des interrogations et la crise

L'engagement des cinéastes pour une cause commune au sein de la FEPACI, s'est trouvé émoussé, il faut en convenir, au milieu des années 70, précisément à partir de 1975 et ce jusqu'en 1985 avec la léthargie vécue par la fédération. Certes, des films ont continué à se faire durant cette période, mais la léthargie n'a pas été sans conséquence sur les orientations des politiques cinématographiques des États dans la mesure où la voix des cinéastes n'a plus compté dix ans durant. C'est un signe que le réveil des consciences des cinéastes, pour renouer avec leur engagement militant d'antan, ait été sonné par le régime révolutionnaire du Burkina dirigé par le capitaine Sankara en 1983. C'est en effet à l'occasion du FESPACO de cette année-là, que les autorités burkinabées s'engagèrent à permettre à la FEPACI de relancer ses activités. Paulin Soumanou Vieyra eut la charge de préparer le troisième congrès qui se tint effectivement lors de la neuvième édition du FESPACO en 1985. Les discours sur le nécessaire engagement des cinéastes furent à la mesure de l'environnement politique ambiant. Ce congrès dit de la renaissance décida d'établir le siège de la FEPACI à Ouagadougou et propulsa le cinéaste Gaston Kaboré au poste de secrétaire général. Il y restera jusqu'en 1997. Les résultats enregistrés sur le terrain par Gaston Kaboré et son équipe sont probants : crédibilité retrouvée de la fédération auprès des institutions dont l'Union européenne (celle-ci finança un plan de relance du cinéma africain et s'investit dans la production des films africains). L'ouverture de la FEPACI en direction des associations des cinéastes d'Amérique latine permit de former des cinéastes dans les écoles de Cuba. La visibilité du cinéma africain fut matérialisée par une ouverture d'un stand à Cannes, la publication d'un magazine de cinéma "Écrans d'Afrique" avec le soutien de l'ONG italienne Centro orientamento educativo (COE), le soutien à la création de la cinémathèque africaine de Ouagadougou en 1995, la détaxation des films africains lors de leur exploitation dans certains États qui appliquèrent la recommandation de la FEPACI dans ce sens, etc.
(...)
Sur le plan des choix thématiques et esthétiques les cinémas d'Afrique ont mûri au cours de cette période qui s'étend de 1985 à 1997, pour conquérir les écrans étrangers à l'image de Yeelen (1987) ; Wend Kuuni (1982), Bal Poussière (1988), Tilai (1989), Yaaba (1989) ; Hyènes (1992) ; Sankofa (1993) etc. Cependant, c'est au cours cette période qu'apparaît au grand jour la dimension sans doute essentielle du cinéma : la dimension économique. La crise qui frappe le secteur de la production, confine davantage les cinéastes à "mégoter" pour reprendre le terme de Sembène Ousmane. On peut remonter à 1980 pour situer le début de cette crise qui survient avec la rupture des subventions des cinémas francophones par le ministère français de la coopération qui avait contribué depuis les débuts des indépendances à la finition des films. Les effets conjugués des échecs des sociétés nationales de distribution et du CIDC CIPROFILM, l'absence de politiques de financement au niveau des États ; les mutations sociopolitiques et économiques (notamment la dévaluation du franc CFA en 1994) intervenues au début des années 90 ont contribué à amenuiser l'engagement collectif et par ailleurs le militantisme politique. La nouvelle génération des cinéastes, ceux nés après les indépendances, ne se reconnaît plus dans le combat des pionniers. Pour n'avoir pas été capable d'offrir des alternatives à la crise, l'organisation continentale, la FEPACI, focalise les critiques, principalement de la part des jeunes cinéastes. De fait, on a pu assister au milieu des années 90, à une prolifération des regroupements des cinéastes, sous forme de sociétés privées de productions, d'association de cinéastes visant parfois les mêmes buts que la FEPACI : l'UCECAO au Mali (1995), "la Guilde africaine des réalisateurs et producteurs" (qui réunit ceux établis à Paris) en 1998, l'ARPA (Association des producteurs réalisateurs africains créée en 2001 à Ouagadougou) etc… S'il faut y voir un signe du dynamisme des cinéastes africains, on se doit aussi de reconnaître que cet émiettement a fragilisé l'engagement collectif dont la FEPACI était le symbole. Preuve de ce désengagement, l'inertie des associations nationales et par voie de conséquence celle de la FEPACI, le manque d'intérêt des cinéastes aux congrès et autres assemblées générales de la FEPACI, qui n'ont cessé de perdre leur frénésie des années 70 et 80. Aujourd'hui la FEPACI ne représente plus que l'ombre d'elle-même - ou peu s'en faut... Depuis le dernier congrès en 2001, les cinéastes ont du chemin à parcourir pour crédibiliser à nouveau cette structure (qui fête en 2005 les vingt ans de sa renaissance) et prouver que leur combat pour le cinéma africain n'est pas révolu. Les cinéastes sauront-ils jamais retrouver l'esprit de la Charte d'Alger pour réaliser une "complémentarité des humanismes" grâce aux images d'Afrique, selon la formule de leur pionnier, Paulin. S Vieyra ! On ose l'espérer.

Clément Tapsoba
Critique de cinéma

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