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La Production africaine en éveil
Afriques 50 : Singularités d'un cinéma pluriel. (L'Harmattan, 2005)
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 08/01/2007

Les cinémas de l'engagement éclatent ça et là comme des défis aux problèmes qui freinent la production des Africains. Le manque de soutien des États, les difficultés matérielles, la pénurie de techniciens perdurent sur le continent, accentués par une diminution sensible des aides européennes, recentrées vers d'autres priorités. L'expression du cinéma reste un luxe, malgré les avancées notables des réalisateurs en Afrique. Ils intensifient leur action, en multipliant les tournages en vidéo, en numérique, les courts métrages, plus légers à produire. Ils développent des collaborations avec les télévisions locales et se lancent dans le long-métrage quand des producteurs européens sont prêts à les soutenir. La tentation de sortir du continent pour échapper aux problèmes matériels pousse les cinéastes loin de leurs frontières, pour mieux y revenir quand ils y ancrent leurs meilleures histoires. Ce mouvement vers les racines se double d'une implication personnelle essentielle pour élaborer les films.
De manière significative, la production de longs métrages d'Afrique Noire qui a connu une progression notable autour de 1990, semble en déclin. Ceux qui parviennent aujourd'hui sur les écrans sont poussés par l'énergie têtue des auteurs au terme d'un long combat financier, bouclé en Occident. C'est le cas de Fragments de vie du Camerounais François Woukouache, installé en Belgique. Il s'enfonce dans les paysages urbains pour esquisser trois récits autour d'une ville africaine équatoriale. Ce retour aux racines propose un témoignage vif des réalités urbaines. Le chômage, les rapports de pouvoir, les compromissions font partie du quotidien et secouent la jeunesse. Comme si le propos imaginaire de l'auteur de fiction ne pouvait fonctionner qu'en renvoyant à la réalité.
Le mixage d'une observation documentaire de l'état des salles de cinéma au Tchad, avec une structure de fiction se renverse pour Bye Bye Africa de Mahamat Saleh Haroun. Il s'agit là encore d'un premier long-métrage, imaginé d'Occident pour accompagner le voyage du cinéaste dans son pays. Le désir de mesurer sa position de réalisateur africain exilé, en porte-à-faux entre l'Europe où le travail l'éloigne de ses racines culturelles et le Tchad où il ne peut assumer sa vocation de cinéaste, motive Haroun à s'impliquer totalement dans son projet. Il offre son corps à la fiction et devient acteur de ses vrais déchirements en jouant la carte du spectacle. Mais le cinéaste sait aussi prendre ses distances avec le réel, lorsqu'il met en scène Un thé au Sahel. Ce petit récit, basé sur un gag, réunit un père et un fils dans la même ivresse de cinéma. Leur confrontation humoristique est soutenue avec légèreté par la vidéo qui sert les fins du réalisateur tchadien.
Le jeu avec le "je" est aussi posé dans Vacances au pays du Camerounais Jean-Marie Teno. Exilé en France pour développer son cinéma, il revient périodiquement tourner à Douala et ses environs pour y mesurer l'état de sa société. Cette fois, Teno touche ses racines personnelles en filmant la région de son enfance. Le commentaire subjectif qu'il énonce lui-même marque de son empreinte le documentaire critique sur les blocages du Cameroun. Là encore, l'engagement du cinéaste est primordial pour la vie même du long-métrage dont il est aussi le producteur.
Le documentaire pour réévaluer le passé

La démarche subjective qui caractérise les regards des Africains sur leurs réalités contemporaines les conduit aussi à considérer les leçons du passé. Le retour dans le temps s'accompagne souvent d'un retour dans l'espace originel. Monique Phoba, du Bénin, réveille les échos de l'époque coloniale en approchant l'histoire de ses ancêtres à travers Un rêve d'indépendance. Ce documentaire, produit de Belgique, est le fruit des déplacements physiques et culturels de la réalisatrice. L'introspection familiale de la cinéaste est soulignée par une voix "off" qui donne sens à la quête.
La même implication pousse Félix Samba Ndiaye à relire l'histoire du Sénégal pour signer sa Lettre à Senghor. Cette figure emblématique de la culture et de la politique du Sénégal est questionnée par le regard critique que pose le cinéaste sur un personnage marquant de sa jeunesse. Le parcours de Senghor s'éclaire par une enquête respectueuse qui remonte aux "racines" de son éducation. L'engagement dans l'Histoire fait corps avec la démarche du cinéaste qui revient vers ses origines en exprimant ses émotions par un texte subjectif servant de conducteur au film.
L'Afrique résonne d'un passé glorieux qui a précédé les occupations coloniales. Il en résulte des villes phares, aux architectures raffinées, ouvertes aux rencontres des ethnies comme le montre L'Esprit de Mopti de Moussa Ouane. Son voyage vers la cité malienne s'organise comme une fiction. Chaque personnage se pose en définissant ses occupations pour mieux s'introduire au milieu des marchés animés de Mopti. Les racines des populations maliennes s'y mêlent sans se confondre puisque chacun revendique fièrement son ethnie. La cohabitation, parfois difficile, perdure grâce à l'organisation d'un système d'échanges relationnels efficace, saisi avec acuité et parfois malice par l'objectif.
Le mélange de cultures au sein du continent imprègne d'autres documentaires plus intimes tels Diaspora Conversations de Manthia Diawara. Ce réalisateur, né au Mali, établi aux États-Unis, revient vers le continent à l'occasion d'un voyage où il accompagne l'acteur américain Dany Glover en tournée diplomatique. Le parcours de reconnaissance relie les fils des regards africains américains sur leurs racines africaines. Le questionnement de ces racines passe directement par les questions personnelles lorsque Cal Callam, élevé au Royaume-Uni, y tourne A Part of Me. Ses Images donnent à voir les Blancs qui l'ont éduqué tandis que ses origines africaines parviennent seulement par la voix de sa mère, retrouvée sur le continent d'où elle téléphone. L'introspection du passé a valeur de règlement de compte autour de l'identité noire. La caméra qui tourne autour des racines africaines tisse des liens constructifs entre les continents comme l'indique Hal Singer, Keep the Music Going, de Guetty Felin.
Cette réalisatrice d'origine haïtienne, remonte le fil de la musique noire américaine qu'elle a capté en France en écoutant Hal Singer. Elle touche aux États-Unis, les éclats de la mémoire de la belle époque révolue des clubs où brillait le saxophoniste. Ainsi l'évocation du passé des Noirs Américains renvoie à leurs itinéraires croisés hors des frontières.
La diffusion de la musique noire importée des États-Unis a parallèlement pu faire pâlir en Afrique, l'éclat des plus belles chanteuses, comme le suggère Moussa Sene Absa dans Blues pour une diva. Mais le cinéaste sénégalais s'enflamme pour célébrer la carrière de Aminata Fall, chanteuse plus que fameuse de Saint Louis dont il caresse l'image présente en rappelant ses racines de conteuse. Le souffle des artistes noirs les rapproche autour des mêmes combats pour le cinéma.
Et quand le Camerounais Jean-Pierre Bekolo cadre le déjà mythique Djibril Diop Mambety pour écouter La Grammaire de Grand-mère, la poésie du septième art est au rendez-vous !
La fiction comme alternative pour réfléchir le présent

L'énergie tenace, indispensable pour s'engager dans le cinéma lorsqu'on vit sur le continent africain éclate dans les fictions les plus indépendantes. Ce sont souvent des courts métrages, tournés avec les moyens du bord, de plus en plus en vidéo, ou en haute définition, transcendés par la sensibilité des jeunes cinéastes. À l'écoute des mouvements de leur environnement. Alassane Diagne braque sa caméra sur la décomposition qui gagne la société sénégalaise pour composer Ganaw Ker, les chemins insalubres.
Les problèmes sociaux reposant sur l'affrontement des classes sociales sont pointés directement par Alhamdou Sy dans Kinkeliba et Biscuits de mer. Le cinéaste s'appuie sur la réalité des conflits dans le monde du travail au Sénégal pour atteindre les racines des rêves qui font marcher ses personnages dans tous les sens. La dérision et l'humour caustique sont sur leurs pas.
Les sociétés africaines avancent en tout cas moins vite que l'inspiration des artistes. Kibushi Ndjate Wooto, du Zaïre, dépasse l'évocation des troubles qui déchirent son pays pour s'évader vers la poésie du cinéma d'animation. Dans Muana Mboka, élaboré grâce aux moyens techniques d'un studio belge, il relate les péripéties d'un garçon des villes, bousculé par la violence du quotidien. Ses blessures sont peut-être les racines d'un avenir plus radieux si la sagesse traditionnelle africaine permet d'en tirer les leçons. Le désir de transmettre autrement et à tout prix illumine les nouvelles visions des artistes noirs. Celles qui surgissent autour des réalités africaines reposent profondément sur les cinémas de l'engagement.

par Michel Amarger
(Catalogue de Racines Noires 2000, rencontres des cinémas du Monde Noir.
Organisées à Paris en 2000, par l'association Racines)