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Identité compliquée
Mon ayoñ, de Blaise NNOMO ZANGA
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 13/01/2007
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa

Le réalisateur pose le problème de la paternité du garçon dans les communautés de la forêt équatoriale.

Tirée de la tradition Fang béti que l'on retrouve au Cameroun, au Gabon et en Guinée Équatoriale, l'histoire de Mon ayoñ est une incursion furtive dans la tradition des peuples de la forêt, en tant qu'elle met en surface la réalité des normes collectivement conçues, individuellement vécues et socialement éprouvées.

Zollo et Eda, deux jeunes mariés, vivent paisiblement dans un village de la forêt tropicale du sud Cameroun, jusqu'à la naissance de leur troisième enfant. La venue au monde du nouveau-né intrigue les matrones et tout le village d'ailleurs, car le bébé refuse le sein de sa mère. Un fait plutôt atypique qui ouvre la voie à toutes les supputations, dont la moindre n'est pas le délit d'adultère présumé de la mère avec le pasteur de l'église du village, sévèrement réprimandée au sein de cette communauté encore profondément ancrée dans la superstition de la tradition. Une situation cocasse qui va consacrer le début d'une entrée en zone de turbulence du jeune couple, jusqu'à la déchirure totale : un divorce.

Mon ayoñ, littéralement, "l'enfant du peuple" ou "l'enfant pleure", selon les intonations linguistiques, est le condensé de la question existentielle de la place de l'enfant de sexe masculin au sein des peuples de la forêt. Appartient-il au père, à la mère ou au clan ? C'est la recherche d'une réponse crédible à cette lancinante question que le réalisateur nous confie tout au long de son œuvre. À travers des chroniques simples et séduisantes du quotidien de gens ordinaires, des pèquenots, Nomo Zanga a su, autant qu'il a pu, créer une homogénéité où les éléments n'étaient pas faciles à faire cohabiter a priori. Les risques d'antagonisme sont par trop permanents : l'Église, cause de tous les malheurs et dont le rôle est souvent perçue ici comme trouble, face à la tradition, dernier bastion d'un machisme récalcitrant, elle-même sérieusement ébranlée dans ses fondations par la femme rebelle, et dont Eda se fait le héraut flamboyant. Le matériau hétéroclite rassemblé de façon harmonieuse est ainsi à mettre à l'actif de son auteur, car la tâche n'était pas aisée au départ.

La progression du film est résolument militante. Mon ayoñ déconstruit le principe de l'essence, de l'appartenance génétique et sociale d'un individu au sein des sociétés de la forêt, et au-delà notre propre conception de l'existence. Dans sa recherche, l'auteur bouscule les clichés dits dogmatiques. L'homme est-il une finalité ou un moyen ? Comment faire admettre à Zollo, l'époux cocufié, de continuer de s'accommoder de la présence d'une femme qui l'a trompé au point d'avoir un enfant adultérin ?

Grégoire Belibi, un comédien du théâtre national camerounais, dans le rôle de Zollo, est l'époux cocu de Eda (magistralement interprétée par Blanche Bilongo), qui se révèle par l'occasion même dans les rôles de mauvaise épouse ou mauvaise mère, à l'instar de Enfant Peau Rouge de Gérard Essomba. Ils tiennent à eux deux le haut du pavé, à côté de beaucoup de figurants et de silhouettes dont le jeu d'acteur ne souffre que d'imperfections mineures. En 45 minutes, le réalisateur a pris un risque maximum, mais résolument payant, en faisant jouer les comédiens dans une langue nationale, le béti, favorisant par le fait même une gestuelle fluide et assez maîtrisée, devant des décors naturels qui en rajoutent à cette poétique de la forêt, source de vie et d'espoir.

Programmée dans la catégorie court métrage aux Journées cinématographiques de Carthage, JCC, en 2006, l'œuvre de Blaise Nomo Zanga, n'a pas encore récolté les lauriers qu'une telle audace mérite, en tant qu'elle ressuscite le cinéma anthropologique de fiction, même si la post-production est à parfaire dans un projet futur. Elle invite pourtant à un débat qui avait tendance à s'enliser dans les abysses de l'oubli.

Jacques Bessala Manga
Martial E. Nguea
Cinepress Cameroun

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