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Un festival au forceps
Quintessence 2007 (OUIDAH, Bénin)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 30/01/2007

Jean Odoutan est un homme courageux, très courageux même. De plus, il a foi en ce qu'il fait. Cette espèce de foi qui soulève les montagnes. Sinon, la cinquième édition du Festival international du film de Ouidah, Quintessence de son nom propre, n'aurait jamais eu lieu. Courageusement, celle-ci s'est donc déroulée du 06 au 10 janvier 2007, non seulement dans la ville historique de Ouidah, mais aussi à Cotonou, capitale du Bénin, où le Centre culturel français de la ville a abrité et l'atelier d'initiation à la critique cinématographique, et quelques séances de projections de films.

L'extension du festival à la capitale du pays n'aura d'ailleurs pas constitué la seule innovation de Quintessence 2007. L'autre aura été la création du prix Henri Duparc, du nom du célèbre cinéaste ivoirien connu pour la touche d'humour de ses films, et qui est décédé en avril 2006. Le prix ainsi baptisé aura récompensé le film qui se sera le mieux distingué par son côté humoristique. En l'occurrence, Bul déconné de Marc Picavez et Massaër Dieng, une œuvre franco-sénégalaise. Elle raconte l'histoire d'un jeune homme, Sogui, qui, confronté à la vision du monde de ses examinateurs, en est très affecté. Il en ressort cependant combatif et fougueux, au point de franchir la limite de l'illégalité pour rejoindre son ami Max et le milieu de la pègre. Le prix Henri Duparc 2007 a été remis en personne par Mme Henriette Duparc au représentant des lauréats.

Par ailleurs, pour célébrer le centenaire de Léopold Sédar Senghor, la journée du 10 janvier 2007, jour de clôture de Quintessence, lui fut consacrée. À cette occasion, les festivaliers ont été éblouis par la science et la culture du professeur Aguessy, dont la conférence rendait hommage non seulement à l'homme d'État, mais aussi et surtout à l'homme de lettres, promoteur de la diversité culturelle, et co-fondateur de la Francophonie.

À ces quelques motifs de satisfaction peuvent s'ajouter bien d'autres dus à la qualité de certaines oeuvres. Il en est ainsi notamment du magnifique Si le vent soulève les sables de Marion Hänsel, Python Royal ou Grand prix du festival, qui aura retenu le souffle des spectateurs pendant 95 mn, grâce à une histoire captivante, servie par une très bonne approche technique. Le film raconte l'histoire de Rahne, seul lettré d'un village où la sécheresse fait rage. Les puits sont asséchés, et le bétail meurt. Pendant que la majorité des villageois partent vers le Sud pour fuir cette calamité, se fiant ainsi à leur instinct, Rahne décide de partir avec sa femme, ses trois enfants et son bétail vers l'Est. Et dans cette région, les guérilléros font la loi.

Les festivaliers de Ouidah auront également eu le bonheur d'assister à la première mondiale du dernier-né de Mama Keïta, Le sourire du serpent, dont la copie de travail leur a été projetée. C'est un film hermétique et très psychologique, dans la pure tradition de l'écriture de Mama Keïta, où tout part d'un chaos qui s'organise progressivement. Le monde de la nuit et ses peurs y sont scrutés, au travers de certaines survivances mystico-superstitieuses africaines. Malgré ces notes heureuses, la cinquième édition de Quintessence s'est déroulée sous une chape de précarité qui aura laissé comme un goût amer aux festivaliers.

Il faut sauver le cinéma

Quintessence est un festival à taille humaine. Qui peut être entièrement financé par l'État béninois ou par des sociétés étatiques, sous l'impulsion de celui-ci. Et un festival de cinéma constitue non seulement l'un des meilleurs creusets de la visibilité d'un pays, mais aussi l'un des vecteurs importants des recettes touristiques. Pourquoi donc les États africains en général, et l'État béninois à l'occasion, délaissent-ils et la culture, sur un plan large, et le cinéma, sur un plan plus serré, pour financer si promptement les activités sportives ou même politiques, qui génèrent moins de flux financiers que la culture, deuxième activité lucrative au monde après le commerce des armes ?

Depuis 2003, année de lancement du Festival international du film de Ouidah, l'État béninois n'a contribué qu'à concurrence de 9,8 millions de francs Cfa. Une misère ! De plus, de ces 9 millions, seul 1,8 million a effectivement été perçu par les organisateurs du festival. Le reste se trouve encore à ce jour dans la paperasse, c'est-à-dire les 3 millions de 2004, et les 5 millions de 2006. Dès lors, comment ne pas se tourner vers les bailleurs de fonds internationaux si l'on veut continuer à vivre son rêve ? C'est ce que fait Jean Odoutan depuis 2003. Jusqu'à quand l'Afrique va-t-elle donc se tourner vers les autres, pour assurer la continuité des événements qu'elle peut, quand même, elle-même gérer ? Et cette année, non seulement les habituels sponsors tant nationaux qu'internationaux ont réduit à la portion congrue leurs contributions, mais en plus, le délégué général de Quintessence a été confronté aux forces d'inertie qui ont failli entraver le déroulement de son festival. Ce qui fera dire au cinéaste Mama Keïta : "si vous ne l'aidez pas, ne l'empêchez pas de faire". Mais, ceci ne dédouane en rien Jean Odoutan quant à la "mal-organisation" de Quintessence.

D'année en année, il est reproché au délégué général de Quintessence l'organisation approximative de son festival. L'improvisation qui s'y est érigée en mode de gestion et la manière cavalière de l'articuler commencent à lasser. Il est temps que cet amateurisme cesse et que les choses soient faites de façon professionnelle. Et cela doit commencer en s'assurant que les invités conviés à y assumer certaines tâches les assumeront effectivement, car à Quintessence, une fois de plus, des gens ont été sollicités pour remplacer au pied levé tel membre du jury introuvable ou tel animateur de débat absent. Des membres du jury ont visionné en une seule après-midi tous les films mis en compétition ! Et certains même n'ont pratiquement pas pris la peine de regarder le moindre film ! Des invités ont été mis au courant de leurs responsabilités une fois à Ouidah ! Quand on veut être sérieux, on s'y prend autrement. Cela évite de gaspiller de l'argent pour des touristes, même si parfois c'est leur présence à certains festivals africains qui détermine du financement de ceux-ci. Dans cet ordre d'idée, la présence à Quintessence du très célèbre comédien français Richard Bohringer est sujette à questionnements.

Le cas Bohringer

Il se proclame "l'Africain". Lors du Fespaco 2003, sans trop savoir quelle a été jusque-là sa contribution pour l'avancée du cinéma africain, il en a été fait parrain. Au Centre culturel français de Cotonou où il est venu présenter, dans le cadre de Quintessence, son film, C'est beau une ville la nuit, il a redit aimer l'Afrique, car celle-ci a sauvé son âme. Les Africains qui le découvraient de près pour la première fois peuvent se demander comment, car à l'observation, Richard Bohringer ne semble pas avoir beaucoup de considération pour les autres, ni même pour les choses des autres. Apanage cependant des peuples dont il se réclame.

L'homme est célèbre. Pas seulement par son talent, mais aussi par ses frasques. Il est riche. Et humble seulement d'apparence. Arrivé à Ouidah pour la première fois, il a été logé à Casa del Papa, un somptueux hôtel situé au bord de l'Atlantique, un endroit digne de sa réputation. Les autres invités occupaient les locaux de l'Institut régional de santé publique (IRSP). Mais, dès le lendemain, la star française décide de quitter son hôtel pour l'IRSP. Motif : "Ce sont des cons, des Libanais, je suis là-bas avec des cons". A-t-il eu maille à partir avec le gérant ou les autres occupants ? Cela ne justifie nullement de tels propos. Une fois à l'IRSP, il prend sur lui de repartir pour Casa del Papa. Pourquoi : "C'est un poulailler". Si Bohringer est connu et reconnu comme un instable, il a été égal à sa réputation à Ouidah, scandalisant même les hôtesses d'accueil par ses propos à l'endroit de Mama Keïta lors d'une discussion avec celui-ci sur les prochaines élections françaises : "Toi tu es un esclave, si tu soutiens Ségolène, c'est peut-être parce qu'elle t'a promis un poste… Peut-être va-t-elle bientôt se retrouver dans ton lit". Bohringer a certainement l'habitude de faire des blagues osées avec Mama Keïta, mais dans un continent qui a sauvé son âme, certaines blagues ont des limites. Invité au festival de Ouidah comme président du jury de la compétition Long métrage, Richard Bohringer a-t-il pris le temps de regarder tous les films ? Nous aimerions tant le savoir, car l'homme a plus été vu dans les sites touristiques de cette ville chargée d'histoire et au-delà que sur les lieux de projections. À l'avenir, les organisateurs doivent être plus regardants sur la disponibilité de certains de leurs invités. En attendant, Jean Odoutan n'a pas rassuré les fidèles de Quintessence lors de la soirée de clôture quand il a déclaré : "L'année prochaine, je ne serai pas là. D'autres prendront ma place. Il faut que je recommence à tourner. J'ai des films à faire". C'est une bonne nouvelle pour sa filmographie et pour le cinéma béninois, mais elle pourrait aussi être interprétée comme une sortie élégante pour un héros déçu. Il devient donc urgent de sauver ce festival qui demeure la seule opportunité pour les Béninois de voir les films africains.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun
à Ouidah 2007.

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