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Descente vers le nord
Parfum de mer, de Abdelhaï Laraki
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 31/01/2007

La mer est cette limite illimitée qui permet toutes les tentations. De la plus simple à la plus obscure et complexe. La mer permet de vivre, de fuir ou de s'aventurer. Surtout si cette mer côtoie un bout de petite ville comme Asilah. C'est ce que Parfum de mer essaie de tracer et de révéler à travers une histoire de petites gens, une histoire sociale en diapason avec l'actualité. Encore une fois tout en essayant de ne pas laisser tomber la cinéphilie, cette passion qu'on connaît au réalisateur Abdelhaï Laraki.
Et ça commence par une image fort cinéphilique. Un homme vénérable, joué par le vétéran Mohammed Majd, et d'un certain age avance à pas décidé sur la plage, les pieds dans l'eau, un luth à la main et un sac sur l'épaule. Le tout accompagné d'une musique de circonstance. Ça fonctionne comme une entrée en matière filmique des plus attirantes. Ce qui se passe après donne plus un film axé sur l'action que sur l'intime, avec une prédilection poussée pour les gros plans sur les figures des différents protagonistes que sur les enjeux artistiques ou d'idées. Le réalisateur semble porté plus sur l'expérimentation d'un genre que sur autre chose comme témoigner tel qu'il l'a fait dans son précédent film.

Le cinéma du "le bien et le mal"

Voilà que notre homme est témoin d'un accident où une petite fille périt par la faute de jeunes gens qui conduisent une voiture à toute vitesse. Il s'avère qu'ils étaient saouls et qu'ils sont des bandits à la solde d'un grand trafiquant de drogue, de ceux qui sévissent dans le Nord du pays, et dont la presse parle sans cesse. Le cinéma marocain en a déjà fait état auparavant. Le réalisateur A. Laraki les met en scène, fidèlement, à la manière d'un film du genre comme on l'habitude de les voir, avec l'idée du bien et du mal en lutte, en arrière fond. Le spectateur a droit alors à des scènes de bagarres, de violence, de courses poursuites, et de suspense. Tous les ingrédients du genre sont tentés là. Les méchants d'une part, violents et sanguinaires et le langage ordurier, et les bons de l'autre part avec à leur tête Simo, le pêcheur meurtri par la perte de sa fille. Et surtout le témoin. Ce sont deux mondes opposés qui sont mis en scène. Un monde de la nuit, des pratiques hors norme. Les bons concoctent des scénarios de vengeance (plus morale que physique), et les méchants traficotent de par les frontières et par delà la mer. Ainsi le réalisateur donne à voir cet univers connu de la drogue. La drogue, dans sa variante populaire et qui est d'un côté consommée par les pêcheurs entre eux, et commercialisée par le autres à l'intérieur du pays et avec l'Espagne. Comme quoi, le film actualise une pratique largement répandue dans la société.
Or, ce qui est vu au juste, c'est une image. Car les protagonistes du côté des bandits sont des types de cinéma, de ceux déjà tracés, le boss mafieux trentenaire et le visage sec, est peint de telle façon qu'on dirait qu'il est sorti, justement, d'un film du genre, et d'ailleurs bien joué par Mohammed Merouazi. Ses compères aussi, ils sont dessinés comme des bagarreurs sans scrupules et sans morale, aimant la luxure et les vices. Ils entretiennent ce côté " action" du film, sans toute fois accentuer l'effet qui est plus suggéré. Le film d'action demandant une écriture précise et des moyens fort onéreux. D'ailleurs ce côté cinéma est souligné par les différents affiches de films qui jalonnent le bureau du boss, toutes faisant état de ses rêves et ses ambitions, mais en même temps elles sont des clins d'œil que le réalisateur lancent vers les spectateurs.

Des lieux et des personnages


Or, ce qui est mis en cause, à vrai dire, tend vers l'action. Le film oscille largement. Car ce qui est donné à voir tout au long du film ce sont les personnages et les lieux. Et ce parce que le film, en beaucoup de moments, s'en va montrer la ville d'Asilah, la décrire et la porter à l'écran. Cette ville imprégnée par la mer et par la couleur bleue. De ce bleu qui donne son nom au célèbre café " Zrirek", célébré par les peintres et les écrivains. Le film le montre à plusieurs reprises comme mu par le désir de l'éterniser à travers l'image, mais en y installant le cadre des intrigues de vengeances des pêcheurs. Il montre cette communauté réunie, fumant du " Kif", cette drogue nationale, et buvant le thé marocain à la menthe. Un lieu pris dans le vif de son intimité. Il est en plus le pendant de l'autre grande ville qu'est Tanger, autre lieu de trafique de drogue et qui est vu par l'œil du trafiquant comme une conquête de pouvoir. Et il l'avoue, satisfait de lui même, dans un grand plan le montrant regardant la ville la nuit illuminée et la mer à côté.
Mais en face il y a les "bons" chez qui l'accident causé par le gendre et le larbin du trafiquant réveille la dignité face aux coups fourrés des bandits à la "mafiosi". Le résultat est un film où l'action laisse le terrain aux grands ellipses pour aller cadrer les visages, les regards, avec moult champs, contre-champs, plans séquences et gros plans. Le réalisateur privilégie les sensations dessinées sur les visages. Le malheur sur celui de Simo; l'amour meurtri sur celui de l'innocente fiancée Naima, institutrice de son état ; la détermination sec et impitoyable sur celui du boss Driss, et enfin le désenchantement sage sur celui de l'homme témoin, Mahmoud Saber. Une suite de tableaux qui prend la majeure partie du long-métrage.
Mais ce qui retient l'attention c'est ce dernier personnage. Il est SDF, il est témoin, et il est silencieux. Il fonctionne comme un hors champ qui influence sur les événements de la plus étrange des façons. Abdelhaï Laraki le met en scène comme pour casser le genre choisi au début. Car il est témoin inclassable ! Sa part de gros plans est significative, il est cette part de cinéphilie dans le film et qui équilibre la part du "populaire" qui circonscrit le film tout entier. Et ce puisque la parallèle du récit est celle de la recherche de la vengeance "digne", il y participe étrangement par son silence et son luth, sur lequel il joue la nuit sur la plage ou au sein dudit café ! Ou bien en concourant à lutter contre les bandits! Ainsi le réalisateur travestit le genre en y introduisant l'étrange qu'est la musique à tendance ghiwanie, et le personnage atypique.

Conclusion

Ce qui nous pousse à poser la question sur ce que veut dire Abdelhaï Laraki. Simple. Le film vient corroborer une certaine tendance au sein du cinéma marocain. C'est celle de faire des films "populaires", mais sans tomber dans la facilité ou la superficialité, autrement dit raconter une histoire avec forts rebondissements, suspense et une variété de situations et de personnages inspirés de la réalité réelle et actuelle. Exercice fort périlleux de la part de cinéastes qui jusqu'à ici ont brassé des idées de cinéma plus qu'autre chose dans leur filmographie précédente. A. Laraki tente l'expérience par Parfum de mer. D'un seul coup, il fait un film sur le trafic de drogue qui est d'actualité, mais en parlant sommairement et au passage de la situation politique du pays. Quelques paraboles sur les droits de l'homme et la fin de l'impunité sont introduites. Le larbin criera face à un policier venant l'arrêter que les temps ont changé et on ne torture plus ; les mêmes paroles sur le changement sont proférées par un inspecteur véreux au moment où il touche l'argent de son silence!
Comme quoi le réalisateur témoigne en même temps qu'il raconte son histoire sociale. Ça passe largement.

Par : M'barek HOUSNI

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