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Du féminisme précoce
Binta et la grande idée, de Javier FESSER
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 01/02/2007

Le film qui a remporté le Python Pygmée, prix du Court métrage, au festival Quintessence 2007, n'est pas un chef-d'œuvre au sens où l'entendent les puristes de la critique cinématographique. S'il a retenu l'attention d'une bonne partie des membres du jury constitué d'adolescents, c'est indubitablement parce qu'il touche une question sensible, celle de la non-scolarisation de la jeune fille. Plus qu'un problème d'humanisme dont il faut "parler avec amour et tendresse", c'est une question de justice.

Pour l'aborder, Javier Fesser choisit une enfant, Binta, pour porter son message de sensibilisation, pour attirer l'attention sur l'urgence de construire, de créer une nouvelle société. Dans un monde où très peu de gens savent lire et écrire, Binta a la chance d'avoir pour père un homme qui, s'il s'inspire de la nature pour apprendre - "Mon père dit que les oiseaux sont très intelligents, et que si tu les observes, tu peux apprendre beaucoup d'eux" - admire aussi le développement technique des Blancs. Conséquence, Binta fréquente l'école occidentale. Mais, celle-ci est chagrinée du fait que sa cousine, Soda, ne soit pas aussi chanceuse qu'elle. Elle court donc le risque, à cause de son analphabétisme, de demeurer ignorante de certaines valeurs qu'on acquiert grâce à l'instruction. La voix off, conscience du réalisateur, n'est-elle pas là pour rappeler l'utilité de l'école ? Pourtant, des Soda, il y en a beaucoup dans l'entourage de Binta. Comment donc lutter contre cette injustice, dont le corollaire est la misère - intellectuelle et matérielle - et qui pourrait pérenniser le retard du développement de la jeune fille, sinon par la communication, la sensibilisation des adultes à la scolarisation de cette enfant qui est l'adulte de demain?

Fesser convoque pour ce faire la bonne vieille méthode ayant fait ses preuves du temps des classiques, et reprise par la Renaissance, celle du castigat ridendo mores, autrement dit, du théâtre qui corrige les mœurs en riant. Sous cette forme, le combat de Binta prend tout son sens. Et le film acquiert une certaine dimension artistique. Dans un contexte où il n'est pas permis que les moins âgés heurtent de front les aînés, pour se faire comprendre, on fait appel aux allusions, symbolisées par l'utilisation des ellipses. Le spectateur est alors amené à voyager entre théâtre et cinéma, comme si le réalisateur voulait interpeller les mentalités passées et présentes, pour venir au secours du futur de la collectivité.

Le théâtre et le cinéma se fondent ici dans une parfaite interaction où l'un vient allègrement au service de l'autre. Le réalisateur donne ainsi une piste supplémentaire de compréhension au double destinataire de son message, c'est-à-dire le spectateur - direct - de la pièce de théâtre jouée, et centrée sur la nécessité d'envoyer toutes le jeunes filles à l'école, et l'autre, le spectateur - indirect - de la salle de cinéma. Comme élément constitutif du sens à donner au combat de Binta, le théâtre apparaît ici plus persuasif que le cinéma. Les deux destinataires à qui s'adresse en réalité Javier Fesser ne s'y retrouvent-ils pas plus facilement au travers d'une gestuelle quotidienne que d'une gestuelle de représentation ? Dans Binta et la grande idée d'envoyer toutes les jeunes filles à l'école, le théâtre ne s'empare-t-il pas du sujet pour devenir le substrat de cette espèce de féminisme révolutionnaire ?

Interprété par de très jeunes comédiens, l'on peut regretter que le film ait laissé libre cours au jeu des différents acteurs. Ce faisant, il en résulte une prestation trop enfantine, avec des dialogues tenant davantage de textes lus d'une voix rappelant parfois les récitations de l'école primaire que d'échanges professionnellement restitués. En somme, une direction d'acteurs approximative. De plus, la fin du film est si prévisible qu'elle enlève le plaisir de la surprise ou du suspense au spectateur.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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