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L'amazighité à l'écran
l'invitation au voyage identitaire, culturel et linguistique.
critique
rédigé par Mohamed Bensalah
publié le 12/02/2007

Il est des rencontres, en règle générale, et cinématographiques en particulier, dont il est difficile de parler tant elles sont magiques ; elles ne se racontent pas, elles se vivent. Feu clair comme le cinéma sait en provoquer, le 7ème rendez-vous du 7ème art de Tlemcen s'est transformé, malgré le froid glacial, en un buisson ardent où fraternité sans faille, connivence et complicité se sont liées inextricablement. La capitale des Zianides a tenu son pari. Dans cette ville si attachante, l'expression cinématographique amazighe a réussi à se frayer un chemin royal.
Après des décennies d'efforts et de persévérance, la cinématographie algérienne dessine ses contours dans le nouveau paysage culturel qui se met en place: nouvelles structures de gestion et d'animation cinématographiques (Centre National du Cinéma et de l'Audiovisuel, Institut Supérieur des Métiers des Arts et du Spectacle…), nouveaux projets en gestation de festivals dédiés au 7ème art, rencontres prestigieuses telle "Alger capitale de la culture arabe"… Tout cela offrant une impulsion au cinéma et à l'audiovisuel algérien. Année faste, 2007 donnera le jour à pas moins d'une soixantaine de films et de téléfilms. Espérons que, de ces frémissements passionnés, renaîtra le phénix de ses cendres.
Au lieu de se lamenter au chevet d'une cinématographie nationale malade, au lieu de se perdre en conjonctures sur les raisons de la désaffection du secteur audiovisuel, au lieu de cultiver regret et nostalgie sur les heures de gloire passées, certains cinéphiles téméraires ont préféré aller de l'avant, tracer des pistes et redonner au cinéma en particulier et à la culture artistique en général, leurs lettres de noblesse. Considérant que le 7ème art, produit d'une création artistique spécifique, instrument de pédagogie culturelle et moyen d'éducation de la sensibilité et du goût dans le domaine artistique, pouvait être aussi un puissant vecteur d'information, de conscientisation et de communication, les promoteurs de l'idée de rencontres autour d'un cinéma d'expression amazighe (avec comme cicérone Si El Hachemi Assad) était loin de se douter que leur obstination allait être un jour récompensée : un véritable festival du film amazigh a fini par voir le jour et s'imposer.
Encouragés par le succès très relatif des premières éditions, ces battants dont la puissance de travail ne cesse d'impressionner, sont résolus à aller de l'avant, en cessant de faire croire, comme certains s'y exercent, que le cinéma et ceux qui l'exercent sont maudits dans notre pays et que tout effort est vain. Allant donc à contre courant du pessimisme ambiant, ils s'engagèrent avec ardeur dans l'action pour la promotion de la culture amazighe véhiculée par le film. La qualité des films d'expression amazigh en compétition cette année prouve, à l'évidence, que le cinéma national est à même de sortir du sous développement. La preuve est donnée qu'il est possible de trouver en Algérie, toute proportion gardée, un certain nombre de talents qui ne demandent qu'à se perfectionner et à s'épanouir. La promotion de sa diversité linguistique, composante essentielle de sa diversité culturelle, passe par le partage des valeurs communes, au premier rang desquelles se trouvent l'ouverture et le respect des autres langues et des autres cultures.
L'Algérie a la chance d'être tout à la fois multiple et diverse. Son amazighité – est-il besoin de le rappeler – ne se résume pas à l'usage de la langue Amazighe, à travers toutes ses variantes (mozabite, tergui, chaoui, kabyle, chleuh etc.). Si l'émergence d'une expression cinématographique amazighe spécifique ne fait plus de doute aujourd'hui, il reste cependant à souligner que la réhabilitation de l'identité amazighe, langue, culture et traditions, exige encore des efforts soutenus. Elle implique tout à la fois, que la production littéraire et artistique puisse se diversifier, s'étoffer et se multiplier et également que le public ait accès à toutes les œuvres culturelles dans ses langues nationales. Cela, pour l'heure, n'est guère évident en ce qui concerne l'art cinématographique. Enfin, ce qui semble également important parallèlement à la production, à la diffusion et à la circulation des œuvres culturelles sous tout support, c'est la préservation, donc l'assurance de la pérennité de ce capital culturel.
"L'objectif du festival est de présenter la production filmique nationale et internationale sous une optique culturelle, artistique et sociologique. Il se veut aussi le reflet des expressions nationales dans leur diversité de mosaïques et le signe visible de notre attachement à toutes les expressions qui composent notre personnalité, notre mémoire et notre histoire", dira en substance la ministre de la culture, Khalida Toumi. Un grand pas vient d'être franchi cette année : l'institutionnalisation du Festival Culturel National Annuel du film amazigh (FCNAFA). Désormais, la culture cinématographique constitue l'une des actions phares pour la promotion de la diversité linguistique et culturelle. Les cinéastes amazighophones, qui la vivent et qui la mettent en œuvre dans leur travail, disposent aujourd'hui du créneau de création et d'expression spécifique qui leur faisait cruellement défaut. Le Fcnafa, qui dispose d'un siège permanent au sein de la Bibliothèque nationale d'Alger, (grâce au soutien actif de son Directeur Général, M. Amine Zaoui), constitue désormais le cadre idoine où débats, rencontres, séminaires et autres tables rondes pourront se poursuivre durant toute l'année, (grâce au concours de Mohamed Aït Oumeziane, Directeur Général du CNCA : Centre National du Cinéma et de l'Audiovisuel et des autres membres du comité d'organisation, dont Mme Nadia Ali-Yahia et Aderezzak Douari).
Encore une fois, le cinéma d'expression amazigh vient de prouver son professionnalisme. Les films programmés durant cette 7ème édition lui ont permis de franchir la rampe. Le Jury, composé de Farida Aït Ferroukhi, Sadia Saïghi, Boualem Aïssaoui, Amor Hakkar, Rabia Boualem, Aggar Salim et présidé par A. Bouguermouh, n'a pas eu la tâche facile pour distinguer les lauréats. Le palmarès est assez éloquent à ce sujet (voir ci-dessous). Avec Taggara L Ejnun ("La Fin des Djins"), Chérif Aggoun, a tracé la voie. Cri de pierre et La Colline oubliée de Abderrahmane Bouguermouh, La montagne de Baya de Azzedine Meddour, Machaho de Belkacem Hadjadj, M'hand U M'hand de Rachid Benallal et Yazid Khodja... constituent les premiers jalons d'une production qui ne cesse de s'étoffer et de s'améliorer, non seulement du point de vue thématique et linguistique, mais également du point de vue technique, narratif et esthétique. Trop longtemps ignorée, l'amazighité à l'écran émerge au grand jour. Son incursion remarquable et remarquée, ces dernières années, sur la scène nationale et internationale, constitue un plus pour la cinématographie nationale.
Après avoir longtemps germé dans les esprits, l'idée de création d'une rencontre cinématographique spécifique a fini par voir le jour en 1995, quatre ans après la création du Haut Commissariat à l'Amazighité (HCA), grâce aux efforts soutenus d'un petit groupe de militants de la cause amazigh. Conçues au départ, dans les limites strictes des missions imparties au HCA, dans le principe de la promotion et de la réhabilitation de l'Amazighité dans toutes ses dimensions, les premières journées du film amazigh n'avaient suscité que peu d'engouement. Redoublant d'efforts, les organisateurs poursuivirent leur mission sans trop se soucier des critiques acerbes et des jugements sévères qui ont failli faire chavirer le projet. C'est à Annaba que l'acte de naissance du "Festival" fut confirmé. L'actrice et réalisatrice, Djamila Amzal, fut la première à se voir décerner le premier grand prix pour son film intitulé : Le tuteur de madame la ministre.

Depuis lors, furent mis en place, des ateliers de sensibilisation et d'initiation à l'image fixe et animée, des formations aux métiers du cinéma, des conférences-débats autour de "La Critique cinématographique" et des séminaires sur les "Rapports littérature/cinéma", encadrés par des nationaux et des partenaires professionnels étrangers, ouverts aux enfants, aux adolescents, aux étudiants, aux professionnels du 7ème art et au grand public sans exclusive et tout cela, en parallèle avec les projections de films. Les citoyens des périphéries des grandes villes, n'étaient pas oubliés puisque le cinéma allait vers eux, grâce au Ciné Bus mis à leur disposition. Le rythme d'évolution très rapide et l'ampleur grandissante de la manifestation nécessitent davantage de moyens humains, matériels et financiers. L'événement culturel cinématographique phare, aujourd'hui autonome, a besoin d'une plus grande implication des autorités départementales et locales pour maintenir son itinérance à travers le territoire national. Son institutionnalisation, cette année, lui a permis de prendre son envol. Reste aux pouvoirs publics et à la société civile de s'impliquer un peu plus afin que le Festival du film amazigh algérien puisse se mouvoir dans la cour des grands.

Outre le séminaire "littérature et cinéma", animé par madame Rahmouna Mehadji, messieurs Mohamed Bensalah et Kacem Mebarki, mesdemoiselles Hanane El Bachir et Safia Boudaraoui, le festival s'est fixé pour objectif de faire connaître les autres cinémas du monde. À l'honneur cette année, les cinéma libanais (en présence d'Eliane Raheb, Cynthia et Dimitri Khodr), irlandais (Edith Pieperhoff, Tony Langlois, Desi Wilkinson, Sean Corcoran…), marocain (Mohamed Bakrim) et français (Festival du cinéma d'Amiens, Journées cinématographiques de Manosque….). Les projections furent suivies de débats forts intéressants avec, entre autres, Daniele Maoudj, qui fit découvrir à travers sa propre expérience le cinéma corse, Pascal Privet, qui présenta ses Rencontres cinématographiques tout en se disant favorable à un partenariat. Enfin, il nous faut signaler la table ronde "Le Carnaval de Yannayer (Ayrad), aux sources de notre imaginaire pour réhabiliter l'identité amazighe", coordonné par Mme Abdennebi Houria.

Dans le cadre du festival (qui a réuni cette année plus de 400 participants), tables rondes, ateliers et séminaires furent nombreux. Les jeunes étaient de la partie (près de 48 stagiaires ont pris part aux actions de formation à la critique). Les enfants aussi : une vingtaine d'écoliers ont planché autour de Sylvie Texier, de Suzanne Chupin de Limoges et de Abdelatif Bouriche. Animée par Tahar Houchi, Olivier Barlet, Tahar Bakri, Tahar Yami et Dominique Maillot, une table ronde a permis aux participants de souligner le rôle essentiel de la critique cinématographique. Au terme des débats, un noyau fut mis en place en prévision du lancement d'une association nationale de critiques algériens. Il nous faut enfin souligner le rôle essentiel des journalistes et des médias (presse écrite, radio et télévision) qui n'ont ménagé aucun effort pour assurer la couverture de la manifestation, prise en charge par le Ministère de la culture, et l'ONDA qui a offert les Oliviers d'Or et exceptionnellement parrainé, cette année, par le Président de la République.
Les retombées du festival sont d'ores et déjà encourageantes. Tlemcen a désormais une salle de cinéma professionnelle opérationnelle, sise à la maison de la culture Abdelkader Alloula. Le wali, qui n'a pas ménagé ses efforts pour la réussite de la rencontre, annonce l'ouverture imminente d'autres salles. Le directeur de la télévision s'est dit prêt à acheter et à diffuser les films primés. Une revue de cinéma Asaru-Cinéma, vient de prendre son envol. Une association des critiques cinématographiques est en gestation. Un ouvrage portant sur "Littérature et Cinéma" va bientôt être publié. Bref, même si beaucoup reste à faire, disons que la locomotive est sur ses rails.

Par Mohamed Bensalah

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