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Blancs sur Noirs…. Basculement
Africa Paradis, de Sylvestre AMOUSSOU (Bénin, 90 min)
critique
rédigé par Godefroy Macaire Chabi
publié le 12/03/2007

Il y a ici quelque chose de vraiment décapant. L'Europe sombre et vit sa galère. L'Afrique entre dans la prospérité et l'opulence puis se pose comme alternative. C'est l'hémorragie des Blancs vers le continent noir à la recherche de l'Eldorado perdu. Olivier et Pauline sont emblématiques d'un destin collectif qui s'écroule. Ils mettent tout en œuvre pour voyager vers cet ailleurs rempli de promesses. Faux papiers, voyage clandestin…. Sur place, c'est la mésaventure : sales boulots, tracasseries avec la police et l'immigration, chasse à l'homme et expulsion.
Le scénario joue l'inversion des rôles. Ce sont les Blancs qui doivent maintenant vivre leur part du drame noir en Occident. À eux de vivre les sensations, les visions et les approches des immigrés Noirs.
Africa Paradis oppose deux visions du monde. La vision noire feutrée qui entend se sortir d'une injustice en se projetant dans un avenir radieux et lavé de malédictions. La vision blanche, implacable, marquée ici par une certaine fierté incontrôlée, mais rapidement inversée par l'inattendu. Et ce sont ces deux visions qui créent le basculement, trame de fond de ce film. Basculement, on le voit bien dans le sort de deux mondes que tout semble confiner dans une immuabilité. Basculement dans le destin de Pauline et Olivier qui débarquent en Afrique avec un projet commun. Mais l'un se révolte, l'autre pas. Comme eux, beaucoup de "sans voix" vivent cet isolement dramatique. Basculement aussi pour le député Modibo Kodossou défenseur d'une intégration ou d'un maillage inter sociétal. Lui qui finit par s'éprendre de Pauline par la force d'un simple engagement politique. Devrions-nous y voir une invite à l'effondrement des barrières pour construire un monde plus juste, serti sur la prise en compte des diversités ? Sylvestre ne traite-t-il pas ici de façon lisse et novatrice la question de l'immigration avec de nouvelles approches fondées sur le respect de l'humain tout court ?
Effectivement, il y a dans Africa Paradis, un aller-retour de regards. Sylvestre suggère que le Noir en position de force développe le même regard que le Blanc. Les fragiles réflexes de Pauline ne tiennent pas le choc face au discours et au regard du député Yokossi et du commissaire, encore moins aux propos naïfs mais sensés de la fille de Modibo. Une appréciation hâtive pourrait y déceler l'apologie du racisme. Ce qui de toute évidence ne permettrait pas de traduire la pensée de Sylvestre. En clair, le député Yokossi et ses suppôts incarnent en tout une "extrême droite africaine" se nourrissant de l'Occident par opposition à une gauche minoritaire dont Modibo est le porte étendard. Partir de l'Afrique pour montrer l'Europe dans son quotidien, est manifestement le désir de Africa Paradis. Partir de l'Afrique pour montrer l'Afrique reste aussi calé dans le projet. Ce qui introduit tout simplement l'image d'une auto culpabilité qui prend appui sur querelles intestines, intrigues diverses et violences gratuites.
Voilà la question que ne cesse de poser ce film, non sans une certaine gravité. Juste un moment de vraie hilarité, lorsqu'au parlement on pose une question à Modibo distrait par une caricature. "Qu'est ce que vous pensez de cette éruption volcanique ?" Réponse "Je suis contre". Tout le reste du temps, on s'interroge. Les jeux de lumières sombres sur les visages et les nuances qu'ils introduisent puis les illustrations par la musique originale composée par Wasis Diop évoquent peur, anxiété et doute. Avec des acteurs qui jouent bien leur rôle : Sylvestre Amoussou devant et derrière la caméra, Eriq Ebouaney tient bien son personnage comme dans Lumumba ; Cheik Doukouré, malgré de timides apparitions, en impose. Il y a bien entendu Sandrine Bulteau qui non seulement produit mais joue.
La fin est presque pathétique. Et pour les Noirs. Et pour les Blancs. On est donc tous dans un mélodrame. C'est sans doute le courage que Africa Paradis a de poser le problème et de foncer dans ses approches qui lui a valu l'accueil très réservé au niveau de la distribution en Europe.
Ce cinéma est bon, il distrait et remobilise vite. Paradoxalement, comme premier long métrage du réalisateur, il annonce une carrière non pas paradisiaque, mais d'enfer.

Godefroy Macaire CHABI

Africa Paradis, de Sylvestre Amoussou, Bénin, 86'. Scénario : Sylvestre AMOUSSOU et Pierre SAUVIL. Images : Guy CHANEL. Musique : Wasis DIOP. Avec Eriq Ebouaney, Sylvestre Amoussou, Émile Abossolo M'Bo, S. Roux, Sandrine Buteau.

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