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Les souvenirs oubliés
Ezra, de Newton Aduaka (Nigeria)
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 15/03/2007

Voici un film où la violence parle plusieurs langues. Un film où les images parlent dans leur nudité absolue. Newton I. Aduaka veut-il mettre à nu cette violence devant les consciences ou cherche-t-il à l'exorciser ?

Ezra, du nom de cet enfant capturé, fait suite à Rage, beaucoup primé dans les festivals internationaux, mais aussi au magnifique court métrage Aïcha qui, déjà, explorait la mort et sa présence. Il nous plonge dans la douloureuse mémoire d'une Sierra Leone rendue exsangue par des années de guerre. L'enfance y souffre mais aussi y fait souffrir.
Les élèves d'une école, enlevés en ce 13 juillet 1992 où ils rédigent une rédaction "Pourquoi j'aime mon pays ?", serviront de soldats à des chefs de guerre qui leur font croire qu'ils sont "les enfants de la révolution". Sous l'effet de la drogue et de l'alcool, leurs armes décrètent, de façon toute mécanique, la mort dans les villages, en proie aux esprits de vengeance.
"À partir de maintenant, vous êtes des cercueils ambulants" : cette phrase du chef du gang des "Blood Brotherhood" ("La fraternité du sang") banalise la mort et, par effet, la vie. Une banalité qui se décline en "rats", "renégats", "cafards", etc. Portée par une caméra à l'épaule active durant les attaques, l'image rend ce sentiment de l'écrasement, de l'effacement de soi devant la "cause".

Ezra ressuscite l'âme et la vision noires et barbares de Fodé Sankoh qui demandait à ses soldats de couper la main aux hommes et femmes pour leur empêcher de voter, afin de contrer le gouvernement qui décrétait "les élections avant la paix". Pour rendre ces antagonismes, le film charrie la noirceur des lieux, expose la matérialité des cadavres, alimente les pleurs, laisser deviner la chaleur du sang qui coule, sans pourtant jamais se livrer à une quelconque fascination pour la violence. On est proche du roman "Allah n'est pas obligé" d'Ahmadou Kourouma. Le spectateur ne peut que (re)saisir dans l'effroi son émotion en entendant un chef clamer que lui et ses protagonistes luttent "pour la grandeur de ce pays".

Quelle que soit l'intensité de la violence, la mémoire et l'oubli défilent dans une sorte de dialectique. Mais une mémoire qui refuse de s'exprimer, parce qu'elle se veut muette et absente face à la nécessité de savoir pour pardonner. Onitcha la muette et l'amnésie d'Ezra durant les audiences du "Comité vérité et réconciliation" semblent lui permettre d'avancer masquée. Jouant l'évitement, elle nargue ceux qui cherchent pourtant le sens du pardon. Le mal qui s'avoue ne chercherait pas l'apitoiement mais à enclencher "le processus de guérison" dont parle le juge. Ezra ne parvient cependant pas à se souvenir de l'attaque dramatique du village. Son traumatisme est à l'égal de ses victimes. Il oublie son souvenir. C'est là toute l'énigme sur laquelle bute la détermination d'hommes et de femmes demeurés longtemps dans les couloirs de la violence où la mort leur parlait à mots découverts. Les couleurs des habits militaires comme les décors renforcent le sentiment d'embrouillement. Tout s'enlace : "Je me souviens seulement du sang et des cris", dira une religieuse dans sa déposition. Comment tirer de cette confusion de quoi vivre ensemble ? Sans apporter de réponse mais en dégageant l'ambivalente humanité des bourreaux, Ezra nous met sur la voie d'une possible réconciliation.

Bassirou Niang (Sénégal)

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