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La leçon des indépendances
Juju factory, de Balufu Bakupa-Kanyinda (Congo RDC)
critique
rédigé par Ludovic O. Kibora
publié le 19/03/2007

Matonge est le quartier congolais de Bruxelles. Dans ce véritable melting pot culturel où vivent des Congolais et des NGM (Nègres Génétiquement Modifiés), le bien nommé écrivain Kongo Congo et son épouse étudiante en histoire, occupent un modeste appartement. Pour vivre, le couple doit compter sur les petits boulots de Madame, pendant que Monsieur s'endette en attendant de publier son roman. Mais voilà que Kongo Congo tombe sur un éditeur délégué qui veut faire de lui son "nègre" en le contraignant à produire une œuvre sur Matonge digne du Guide du routard, ce qui débouche sur une confusion de rôle.

Film autobiographique ? Le réalisateur congolais Balufu Bakupa-Kanyinda, est lui-même écrivain avant d'être cinéaste.
Juju factory est une fiction aux allures de documentaire qui traite de la vie au quotidien, dans Matonge, quartier en plein cœur de la capitale belge, point de convergence de personnages aux itinéraires différents. Au-delà de l'histoire de l'écrivain qui se démène avec son éditeur NGM, c'est la difficile condition de production artistique dans le sud qui est mise à nu, surtout lorsque le bailleur estime que "les mots et les images doivent rester neutres et beaux" comme le dit l'éditeur (Joseph Désiré) à son écrivain. La juxtaposition de certaines images font alterner censure et autocensure.

De façon méthodique, la camera de Balufu, se balade dans les méandres de cet imbroglio, où l'artiste est ballotté entre le besoin de vivre et le désir de s'affirmer. Situation difficile qui nécessite beaucoup d'ingéniosité. Après de nombreuses tractations, il procède à un subtil détournement de sujet et impose du coup sa propre vision.

Ce film pose une véritable question sur la liberté de création. Comment résister aux sirènes de la manipulation, lorsqu'on ne dispose pas des moyens de sa politique ? Pour ne pas mourir (idiot) comme l'âne du philosophe qui n'a pas su choisir entre la botte de foin et le seau d'eau, posés à égale distance.

Personnage déterminé, Kongo Congo est le prototype de l'émigré africain bien intégré dans sa société d'accueil et qui garde le lien indéfectible avec la mère patrie. Téméraire et positif, sans en avoir l'air, Kongo Congo est plus " Black que Nègre". Dénonciations subtiles d'un réalisateur engagé, qui a consacré des œuvres précédentes à la dictature de Mobutu (Le Damier) ou à la révolution d'août au Burkina Faso, à travers un portrait de Thomas Sankara.

Colonisation, exil, condition des émigrés africains en Europe, autant de sujets qui sont traités avec un réalisme décapant entretenu par une musique congolaise d'hier et d'aujourd'hui qui laisse difficilement indifférent. Dès le début de l'intrigue, la bande son, meublée d'une musique psychédélique, nous fait pénétrer dans les rêves tourmentés du héros. Images fortes de la patrie et du pays d'accueil. Puis progressivement la réalisation efficace permet au spectateur de se repérer avec précision dans la galerie des personnages qui vivent ensemble, dans une grande proximité, partagent des repas où la discussion est très présente.

Ponctués d'images d'archives de Mobutu et de Patrice Lumumba, ce film, au-delà du destin de Kongo Congo, revient sur la question des indépendances en Afrique et particulièrement celle du Congo Kinshasa. L'auteur saisit l'occasion pour revenir sur le pillage colonial, l'assassinat de Patrice Emery Lumumba, et la versatilité des élites africaines avec en plus la mythique chanson "Indépendance cha cha" des années 60, du chanteur Joseph Kabasselé.

Avec Juju factory Balufu Bakupa-Kanyinda signe une œuvre qui titille la conscience.

Ludovic Kibora (Burkina Faso)

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