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La société au miroir du cinéma
Les Anges de Satan, d'Ahmed Boulane (Maroc)
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 27/03/2007

Le mois de mars 2007 est porteur d'un programme chargé en termes de sorties nationales : c'est une bonne année qui s'annonce pour le cinéma marocain. La première semaine de mars par exemple, deux nouveaux films sont au rendez-vous : Deux femmes sur la route de Farida Bourquia, annoncé en projection spéciale pour le 8 mars, journée internationale de la femme et Les Anges de Satan d'Ahmed Boulane, présenté jeudi dernier en avant première au public casablancais et programmé à l'affiche dès cette semaine.
Les deux films ont un point commun : ils sont attendus avec intérêt, du point de vue de la filmographie des deux cinéastes. Dans les deux cas, ils en sont à leur deuxième long métrage. Farida Bourquia avait réalisé son premier film La Braise en 1982 et Ali, Rabéa et les autres de Boulane remonte à 1999. Le hasard fait que Boulane ait également participé au premier film de Bourquia en tant qu'assistant. La comparaison peut s'arrêter à ce niveau.
Le nouveau film de Boulane, Les Anges de Satan, offre cette particularité qu'il s'adosse du point de son scénario à un fait divers qui avait défrayé la chronique il y a quelques années avec l'arrestation d'un groupe de jeunes musiciens accusés de pratiques sataniques. Globalement, on peut aborder le film à trois niveaux : socio-culturel ; filmographique et cinématographique.
Le film confirme une vérité dont la configuration commence à se dessiner depuis quelques années : le cinéma est la forme artistique essentielle, aujourd'hui au Maroc, pour exprimer l'imaginaire collectif. Plus que le roman ou la poésie, le cinéma est le vecteur principal emprunté par les grandes problématiques sociales de notre époque. Après le devoir de mémoire qui a caractérisé le scénario de la fin des années 90 et du début de la nouvelle décennie, nous retrouvons avec le film de Boulane une nouvelle articulation du cinéma à un fait de société majeure. C'est l'un des points mis en exergue par de nombreux observateurs internationaux quand ils analysent le cinéma dans une approche comparative avec ce qui fait dans d'autres cinématographies. Seul, dans la région arabe, le cinéma égyptien avait cette faculté à fonctionner en tant que capteur social et qui lui a permis de réussir son ancrage dans le tissu socio-culturel du pays. Et du coup à gagner en légitimité. Le cinéma marocain semble réussir sur cette voie.
Le film souligne en outre, d'un point de vue synchronique cette fois, la diversité de ce cinéma : le film appartient, en effet, à un paysage où l'on retrouve Parfum de mer de Laraki, WWW de Faouzi Bensaïdi, Abdou chez les almohades de Naciri, Le Gosse de Tanger de Smihi… (je cite les films sortis fin 2006, début 2007) : diversité de parcours ; diversité thématique et diversité des approches esthétiques. Boulane apporte une autre expérience, forgée principalement dans la confrontation avec les grosses productions internationales, une pratique du terrain nourrie d'interventions à tous les niveaux de fabrication d'un film.
La question centrale qui devrait alors orienter la réception de son film est le Comment ? Comment a été menée l'adaptation d'un fait divers, sa transposition cinématographique. D'emblée on peut relever un premier constat, Boulane est fidèle à lui-même à plusieurs niveaux : une maîtrise du rythme du récit, un bon casting avec de belles trouvailles quant à certains rôles (comme ce fut le cas avec le jeune journaliste)… Le débat reste cependant entier quant à la pertinence cinématographique du propos, à commencer par la structuration dramaturgique des faits rapportés. Serge Daney faisait une distinction qui me semble toujours opératoire ; il y a, écrivait-il, deux types de films : des films qui impliquent le spectateur et des films qui concernent le spectateur. Ceux qui l'impliquent le bousculent dans ses certitudes et ses vérités initiales et l'impliquent dans un processus de construction proposée par le cinéaste ; ils l'impliquent en tant qu'individu, en tant que sujet dans sa solitude. Ceux qui le concernent s'adressent au citoyen en lui ; l'amènent à une position confortable où ils retrouvent ses convictions de départ, où il rejoint une communauté d'opinion (la télévision en quelque sorte). Je pense que le premier film de Boulane relève d'une logique d'implication ; le second, Les Anges de Satan fonctionne davantage sur une logique de spectateur concerné.

Mohammed Bakrim

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