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United States of Africa, inverser pour remédier
Africa Paradis, de Sylvestre Amoussou (Bénin, 90 min)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 28/03/2007

Dans Le Rire d'Henri Bergson, il est question, parmi toute une palette de mécanismes déclencheurs de rire, de l'inversion. Cette figure, dont le réalisateur en fait le principe même de la diégèse du film est d'autant plus marquante et marquée qu'elle sous-tend l'idée matrice d'où le projet du film a émergé. Quel parti pris plus ingénieux que de renverser les rôles, engageant ainsi le spectateur à prendre part dans une réalité qu'il n'aurait jamais eu l'occasion de vivre les péripéties en dehors des limites de l'imagination ?
Donner corps au mental, matérialiser en vertu en rendant vraisemblable ce qui aujourd'hui se considère (peut-être par manque d'esprit d'initiative), un exploit est la tâche qu'Amoussou s'est assignée. Tourner en dérision, amener un rire incoercible pour mieux sentir l'ampleur de la tragédie, c'est ce que le film s'est proposé d'atteindre à travers ce jeu d'inversion, de transfert et de transplantation. Tant de synonymes qui peuvent dans ce contexte s'attribuer comme définition : la parodie. Ce procédé, relevant de la rhétorique antique et dont Gérard Genette réexplore les différents avatars, est ici d'un grand intérêt dramatique. À la vertu à la fois stylistique et cathartique, la parodie permet d'une part une stigmatisation implicite d'une situation alarmante et d'autre part – sous l'angle de la théorie de la réception – une immersion thérapeutique.
La transposition des données réelles jusqu'au détail près, non seulement confirme l'acuité de l'observation mais encore redouble de "l'effet de réel". L'histoire en elle-même – une série de mésaventures que subit un couple désespéré d'un pays stérile et désolé – est des plus ordinaires si l'on pense qu'il s'agit du sort de milliers d'immigrés africains. Cependant, projeter le même tableau dans une France en profonde détresse, installe une dimension visionnaire encline à déconcerter le spectateur, habituellement témoin d'un paysage immuable. Deux protagonistes tentent légalement de traverser la Méditerranée fuyant ainsi la misère et aspirant à une vie digne des diplômes dont ils sont affublés. L'affliction, qui suit l'instant où ils se voient catégoriquement refuser le visa, se transforme en challenge. Le suspense se déclenche, une atmosphère de tension s'instaure au sein du couple qui n'entrevoit dès lors comme seule exutoire qu'une escapade clandestine. S'enchaîne alors le tourbillon de péripéties où sont pris les deux "suspects sans papiers". Après une séparation infligée et dans la douleur, la suite de l'histoire nous les montre chacun se débattant à contre courant, en s'accrochant à cette terre censée offrir "luxe, calme et volupté" mais qui en réalité, présente tellement des écueils et des épreuves insurmontables que la volonté, qui a nourri leur rêve au début, s'en est trouvée éteinte. Le film aurait pu prendre fin à ce moment paroxystique d'exacerbation. À ce niveau de climax, le retour au pays – comme l'issue la plus fortement envisageable – prend le dessus sur l'alternative de continuer à vivre dans l'hostilité et l'humiliation. Mais il est évident que le projet d'Amoussou n'embrasse aucunement l'idée d'atrophier un processus déjà entamé, ni de trahir l'attente du spectateur. Fidèle à la logique du déroulement de l'histoire en version réelle, les deux clandestins se trouvent toutes les raisons pour ne pas rebrousser chemin. Pauline, figure le thème de l'ascension sociale. De la femme de ménage de la famille du ministre aux idées humanistes, elle accède en s'élevant à la position de l'amante, à la vie mondaine. À l'abandon, se substitue la résistance. Olivier et son groupe d'amis de "la cité des blancs" en sont la figure de proue. Une séquence quasi mythique nous les montre autour d'une table préparant une marche pour la revendication des droits des immigrés. Une marche qui finit par un accrochage sanglant avec la police et dont on devine qu'il s'agit en vrai d'une mascarade fomentée par le parti nationaliste. Magouille politique et manipulation médiatique de l'opinion publique transforme alors ce cri pour plus de considération envers les demandeurs d'asile en une atteinte à la sécurité de l'État. Il faut un martyr pour creuser davantage le tragique de ces réclamations aux promesses avortées. Le choix tombe justement sur Charlotte, personnage incarnant dès son apparition la rébellion.
La fin du film prend un tournant absurde. Olivier qui a le plus tenu à s'enraciner dans le sol d'une Afrique riche et prospère, rentre le moral à plat. Pauline, qui affiche au début une peur réitérée de s'embarquer dans une aventure hasardeuse, tourne le dos au passé et ouvre une nouvelle page qui s'annonce ensoleillée. Le tableau est désormais complet. Tous les ingrédients y sont. Le film ne semble avoir oublié aucun des aspects qui vont du psychologique au politique, en passant par le social et l'idéologique. En dehors de la morale, et se fiant au concept selon lequel l'essence de l'histoire de l'humanité a toujours prouvé sa cyclicité, il est clair que l'idée légitime de croire au changement et à l'interversion des rôles existe.

Mériam Azizi

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