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Pour un fonds d'aide au cinéma très autonome
entretien avec le cinéaste Amadou Moustapha Diop
critique
rédigé par Maman Sani Soulé Manzo
publié le 29/03/2007

"Tous les pays qui ont fait décoller leurs cinémas ont un fonds d'aide au cinéma très autonome par rapport à l'État ", assure le réalisateur du film Le médecin de Gafiré.

Vous êtes, en tant que réalisateur des films Le médecin de Gafiré et Mamy wata notamment, l'un des grands noms du cinéma nigérien : pourquoi n'étiez-vous pas au 20ème FESPACO tenu du 24 février au 3 mars 2007 au Burkina Faso ?
La réponse coule de source : je n'ai pas de film à proposer à la compétition officielle de ce festival et, de toutes les façons, je n'y étais pas invité. Si encore j'avais des contacts à nouer à Ouaga, j'y serai allé, mais en aucun cas pour faire du tourisme.

Où va le cinéma nigérien à ce rythme ?
Oh, rassurez-vous ! J'ai personnellement un grand film en projet, sur la vie d'un héros nigérien. Je dispose du tiers du financement de ce film grâce à des accords passés avec certains pays. Vous savez que le cinéma exige beaucoup de fonds et qu'il n'est pas toujours aisé de boucler le budget d'un film. Il y a certes des opportunités dont les cinéastes nigériens peuvent profiter comme celle offerte par l'Afrique du Sud qui rachète aux cinéastes africains les droits sur les films qu'ils ont déjà réalisés.

Est-ce que tous les cinéastes nigériens sont au parfum ?
Bien sûr, y compris leurs ayants droits comme la famille de Oumarou Ganda. Mais, certains cinéastes ont quasiment hypothéqué les droits de leurs films, tandis qu'on ne sait toujours pas, à ce jour, qui détient les droits sur les films de Oumarou Ganda. Or, les Sud Africains paient quinze millions (15.000.000) de francs CFA pour chaque film pour les droits non commerciaux. Djingarey Maïga aurait ainsi pu finir son tout dernier film avec cette somme. Cela pose d'ailleurs la problématique des Cinémathèques nationales d'Afrique car seuls l'Afrique du Sud et le Burkina en constituent une chacun…

Les NTIC permettent quand même de tourner des films à faible coût.
Oui, la possibilité existe de réaliser ce que j'appellerai des "films jetables". Mais, je ne me bats qu'en faveur des films d'auteur qui sont certes plus chers, mais qui permettent un vrai travail de création. Le coût d'un grand film d'auteur peut varier, en Afrique de l'ouest, de 300 millions à un milliard de francs CFA. C'est d'ailleurs pourquoi les réalisateurs ouest africains se tournent vers l'extérieur pour financer ce type de films.

Mais il y a risque de voir le Nord dénaturer les scenarii de départ du Sud car, comme on le dit, "qui paie commande"…
Naturellement ! Mais, même la technique que nous utilisons pour réaliser nos films n'est pas neutre puisque les cameramen ou monteurs européens, employés en Afrique, filment ou montent les images selon leurs sensibilités, a fortiori les producteurs de nos films. Or, dans tous les cas, il n'y a par exemple que deux vrais directeurs photo pour toute l'Afrique de l'ouest francophone : notre compatriote M'Baké Kâ Amar, qui a d'ailleurs raccroché, et le Burkinabé Ouédraogo. Donc, consciemment ou non, les cinéastes africains tiennent compte de la sensibilité du Nord. En fait, tous les pays qui ont fait décoller leurs cinémas avaient créé un Centre national de la cinématographie autonome de l'État mais susceptible de générer un fonds d'aide au cinéma ; c'est la petite dotation de 10 à 20 millions de francs CFA, accordée par le fonds d'aide aux réalisateurs, qui permet aux cinéastes de constituer leurs apports personnels au budget d'un film et de donner confiance aux bailleurs de fonds en vue de débloquer les gros financements extérieurs. Bref, c'est la volonté politique des États qui permet d'ouvrir toutes les portes verrouillées. Pour tourner un film de 400 millions de francs CFA, le réalisateur peut trouver 390 millions si son pays met dix millions dans la balance. Si une telle structure légère existait au Niger, j'aurais déjà bouclé le budget de mon prochain film.

Le Niger dispose quand même depuis cette année d'un programme de 300 millions de francs CFA pour la relance de son cinéma !
C'est une bonne chose mais il y a une échelle de priorités et la première priorité au Niger c'est un Centre national de la cinématographie indépendant qui ne doit pas forcément être doté de matériel de tournage – puisque, même en France, ce matériel se loue et est compté dans le coût du film – mais qui permette une certaine souplesse dans la gestion.

Les premiers cinéastes n'avaient pas eu besoin de cette structure pour s'imposer et, à la fin des années 90, beaucoup de réalisateurs nigériens avaient même combattu le projet de création d'une Société de production proposé par l'ancien ministre de la Culture, M. Inoussa Ousseini. Que voulez-vous finalement ?
C'est vrai que nous n'avions pas voulu nous associer au projet de Inoussa Ousseini parce qu'on n'en avait pas compris l'essence ou l'idée. En vérité, soucieux d'assurer la formation des jeunes et donc la relève, nous voyions son projet comme un cheval de Troie du Nord alors que nous étions focalisés sur une espèce de "préférence nationale" en l'occurrence.

Quel est en définitive l'espoir du cinéma nigérien ?
Du point de vue des ressources humaines, l'espoir est représenté par Mahamane Souleymane, réalisateur de la série Fils à papa, Sadou Adamou, qui est l'auteur de Denké denké, etc.

Yassine Abdou Garba et Rabé Oubandawaki leur contestent la paternité de ces films, semble-t-il…
Allons, donc ! Ces jeunes ont le feu sacré quelque soient leurs rapports difficiles avec les autres. Je vous dis seulement que, pour être compétitifs, les scénaristes et les réalisateurs doivent laisser les techniciens faire leur travail et éviter, pour tourner un film, de faire des économies de bout de chandelle. Autant la première génération des cinéastes nigériens (Oumarou Ganda, Moustapha Alassane, etc.) a dû subir des privations pour pouvoir créer, autant la génération actuelle doit éviter de dilapider l'argent du cinéma dans les virées nocturnes ou l'achat de voitures et de villas, si elle veut s'imposer au sommet.

Il n'y a pas de relance du cinéma possible sans salles de projection et circuits de distribution des films, entre autres : alors ?
Alors, puisqu'il ne reste que les télévisions nationales qui sont d'ailleurs trop pauvres pour acheter les films et nous les diffuser, je dis que le FESPACO a le devoir, la lourde responsabilité, d'amener les décideurs politiques du continent à créer une société panafricaine de distribution cinématographique car seuls les grands ensembles ont plus de poids et sont plus rentables.

Mais, le CIDC – Ciprofilm a échoué…
Ce n'est pas de notre faute mais de la faute de M. Pascal Leclerc pour qui l'argent prime sur la culture.

Interview réalisée par
Sani Soulé Manzo

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