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"Un bon film doit accrocher du début à la fin"
Joseph Muganga, lauréat du Grand prix TV Vidéo au Fespaco 2007
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 30/03/2007

Avec son moyen métrage Les frères Kadogo, le réalisateur rwandais Joseph Muganga a dompté le prix TV vidéo à la 2Oème du Fespaco à Ouaga. Sa première œuvre d'auteur, qui a aussi remporté au même festival le prix Cirtef de la meilleure œuvre de fiction, se situe au confluent du drame et de l'humour, désamorce le soupir pour mieux le fixer. Un angle de vue que défend l'ancien assistant d'Henri Duparc.

Dans votre film, vous faites abstraction des non-dits : presque tout se dit dans les conversations…
Pour moi, il ne faut pas cacher ce qu'on veut dire aux téléspectateurs ou aux spectateurs. Il faut donner le message. Lorsqu'on a quelque chose à dire, il faut le dire directement sans passer par quatre chemins. Surtout dans un film comme le mien qui traite d'un sujet très important ; car en fait, quand on maîtrise le sujet, on sait comment rendre le message. Il ne faut pas ouvrir des fenêtres pour chercher autre chose. Il faut que les gens comprennent. Si ce n'est pas le cas, tu as raté ton film.

D'où les nombreuses redondances qu'adoptent certains films pour donner des pistes au public ?
Exactement. Quand on ne maîtrise pas le sujet, on piétine et cela fatigue le téléspectateur. Il risque de décrocher. Je vais vous donner un exemple : lorsqu'on regarde un film et que pendant les 15 premières minutes on n'entre pas dans le film on décroche. Alors que, peut-être, les bonnes choses viennent vers la fin ou au milieu et ça ce n'est pas bon. Il faut donc accrocher le téléspectateur du début à la fin. Même si cela exige de faire 1 heure de film au lieu de 2 heures, ou bien carrément un court métrage. Cela ne sert à rien de faire un long métrage si vous ne pouvez pas accrocher du début à la fin le téléspectateur.

Un message totalement limpide dans votre cas ?
Pour moi, mon message est très clair dans le film : après les conflits, les enfants soldats sont abandonnés. Ceux qui utilisent ces enfants n'osent pas l'avouer de peur que les associations et autres ONG des droits des enfants leur tombent dessus. Donc ils passent l'éponge et ils n'en parlent plus. Moi je voudrais attirer l'attention sur le fait que ces enfants qui donnent le pouvoir aux gens sont après abandonnés. Lorsque les deux enfants dans le film discutent, l'un d'eux affirme : " Tu oublies que nous avons la visite du secrétaire général ! ". L'autre lui répond : " Écoute : lui c'est un politicien, moi je suis un guerrier, s'il m'emmerde, moi je le descends ; il a oublié que c'est moi qui l'ai rendu célèbre ". Voilà en fait la vérité, la réalité.

Pourquoi le choix de l'humour pour traiter un sujet aussi grave ?
J'avais un objectif que je voulais atteindre : comment emmener le téléspectateur à suivre mon film du début à la fin ? Donc, le sujet est dramatique, mais je dédramatise pour qu'on puisse le suivre. Les gens n'ont pas la même sensibilité. Il y a des gens qui ne supportent pas la violence dans les films. Alors mon film physiquement n'est pas violent, mais intérieurement oui. C'est cela en fait le challenge. Il faut pouvoir donner et faire suivre le film par tout le monde. Je montre le viol qui est très dramatique, mais sans choquer. Le jeune enfant soldat vole. Il a également tué… mais je dédramatise cela. En quelque sorte, je montre la réalité sans toutefois choquer.

Quelle a été la partie du tournage qui vous a semblé la plus difficile ?
Ce qui a été difficile c'est d'avoir habité avec ces enfants quand j'écrivais le scénario. J'habitais donc avec leurs souffrances. Cela a été très dur. Quand j'écrivais ce film, je voulais que le message soit bien perçu. Cela a aussi été difficile. J'avais tendance à écrire ce qui se passe dans la réalité. Mais je me rendais compte que ce regard me conduisait vers l'échec. Or je ne voulais pas échouer. Je voulais livrer un message clair sans toutefois choquer tout en captivant les gens. Et c'est ce que j'ai fait. Pendant le tournage, je me demandais comment rendre digeste mon témoignage. C'est pourquoi mon film est très calme (J'étais serein lorsque je montais le film. J'allais doucement). Les enfants ne devaient pas parler beaucoup. Les gestes sont importants. Les enfants réfléchissent. Rendre le film moins violent alors que le sujet, lui, est violent.

Quelles sont les perspectives qui se dessinent depuis que vous avez remporté un prix au Fespaco ?
J'ai eu beaucoup de contacts au Fespaco, pas parce que j'ai gagné ce prix, mais tout simplement parce que les gens qui viennent à ce rendez-vous sont à la recherche de cinéastes africains, de films africains ou veulent tisser un partenariat avec l'Afrique. J'ai donc eu par ce biais beaucoup de contacts que je vais exploiter. Pour moi, la suite de ma carrière repose sur ce film qui est ma première œuvre d'auteur (les autres films ont été les films institutionnels ou sur commandes). Je crois que je suis sur la bonne pente pour poursuivre ma carrière et que cela promet.

Entretien réalisé par
Fortuné Bationo

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